jueves, 30 de mayo de 2013

Quels prêtres pour quelle Eglise... Une réponse polémique



P O U R   U N E   E G L I S E   S A N S   P R Ê T R E S

Kevin Madigan, The New Republic, Etats-Unis, février 2013.
Présentation du livre ‘Why priests?’ (Pourquoi des prêtres ?), Garry Wills, 2013.

            Face à la crise des vocations, rien ne sert de se demander si la hiérarchie catholique doit autoriser le mariage des prêtres ou l’ordination des femmes. La vraie solution consiste à se passer une bonne fois pour toutes des ecclésiastiques, comme les premiers chrétiens.

            La renonciation du pape Benoît XVI, en février dernier, a réveillé quelques très vieux mythes à propos de la papauté, notamment celui qui prétend que saint Pierre fut le premier pape et Benoît son successeur, comme tous les pontifes. En réalité, différents Saints-Pères ont forgé cette légende pour s’arroger le pouvoir apostolique, le prestige et l’affection attachée à Pierre. (Cette prétention est aisément réfutée par l’examen des textes bibliques du premier siècle.) Plus tard les papes se sont dits les successeurs du Christ pour accroître encore leur puissance.
            Dans ‘Why priests ?’, Garry Wills pose un regard critique sur le lien existant entre prêtres, pouvoir et piété eucharistique. La question qui anime l’ouvrage est en effet la suivante : comment le christianisme primitif qui se pratiquait sans prêtres, a-t-il engendré une tradition où ceux-ci jouent un rôle central et même indispensable ? Comme le fait remarquer l’auteur, ancien séminariste, aucun des livres du Nouveau Testament ou presque ne le mentionne ; le seul qui le fasse -‘l’Épître aux Hébreux’- imagine seulement Jésus en prêtre. Bien que l’Eglise catholique soutienne depuis des siècles la position opposée, il est historiquement faux d’affirmer que le Christ institua le ministère ecclésiastique. Non seulement il n’était pas membre de la classe sacerdotale, mais il est anachronique de dire qu’un seul de ses apôtres était perçu en ces termes, par Jésus ou par eux-mêmes.
            Comment, dès lors, les prêtres sont devenus dominants, puis essentiels dans le catholicisme ? Et pourquoi, s’interroge Wills dans ce livre provocateur, historiquement riche et légèrement donquichottesque, le Vatican continue-t-il d’entretenir pareils mensonges ? De manière encore plus provocante, l’auteur demande pourquoi l’Eglise, en ces temps de scandale et de crise des vocations, ne revient pas à ses origines antiques pour se passer purement et simplement des ecclésiastiques ?
            L’empire des prêtres, explique Wills de manière convaincante, prend sa source dans la célébration eucharistique, où le pain et le vin deviennent le corps et le sang de Jésus de Nazareth. Il montre que l’Eucharistie comme transformation miraculeuse est officiellement une invention du XVIe siècle. Aux premiers temps du christianisme, de l’an 35 à l’an 200 environ, la consécration du pain et du vin n’existait pas et personne n’imaginait le repas comme un sacrifice (les catholiques parlent encore du « sacrifice du la messe » 1). Qui plus est, Jésus-Christ n’a jamais voulu instituer l’Eucharistie au cours de la Cène, contrairement à ce que prétend la tradition absurde depuis le Moyen-Âge.
            C’est précisément la manière dont Wills établit le lien entre le pouvoir ecclésiastique et la prétendue capacité des prêtres à transformer le pain et le vin de la célébration liturgique en corps et sang physique du Christ, qui fait la force et l’originalité de ce livre. Ayant le monopole de cette faculté, les ministres du culte deviennent, de fait, des « faiseurs de Dieu ». L’auteur dissipe aussi les nombreux mythes qui entourent l’origine et le pouvoir de la prêtrise, dont la plupart ont été conçus et entretenus pendant plus d’un millénaire par l’Eglise romaine.
            L’examen des sources du christianisme primitif auquel se livre Wills s’avère particulièrement probant. Il étudie, entre autre document, la ‘Didaché’. Découvert au XIXe siècle, cet écrit prétend livrer « l’Enseignement des 12 apôtres » (‘didaché’ signifie ‘enseignement’ en grec). Les spécialistes pensent qu’il fut rédigé en Syrie dans la 2e moitié du IIe siècle (mais il ne s’agit que d’une forte présomption) et il laisse clairement entrevoir les pratiques rituelles chrétiennes de cette époque, notamment le repas eucharistique commun. Le plus frappant, c’est que ce texte ne contient pas les prétendues « paroles d’institution » figurant dans chacun des 3 premiers évangiles qui ont fait du « dernier repas » de Jésus un repas mémoriel et sacrificiel, et constituent l’un des fondements de la vision de l’Eucharistie comme sacrifice (2). Mais l’analyse que propose la ‘Didaché’ grecque prouve que, dans la méditerranée orientale du IIe siècle, les chrétiens ne concevaient pas ‘leur’ repas d’action de grâces dans les termes des évangélistes, même environ un siècle après que les auteurs des Evangiles eurent composé leur récit de la Cène. L’Eucharistie n’a donc pas toujours été imaginée en termes sacrificiels.
            Le statut et l’autorité de la prêtrise sont fondés -ou infondés- sur l’affirmation que Jésus a institué l’Eucharistie comme repas sacrificiel et que les ecclésiastiques, suivant Son ordre et Son exemple, offrent le corps et le sang du Christ en sacrifice à Dieu au nom de leurs paroissiens. Puisque Wills conclut que cette célébration n’a pas été conçue comme sacrifice offert par le prêtre, la question est alors : pourquoi le catholicisme a-t-il besoin d’eux ?
            Ni ce genre de question ni le titre de cet ouvrage ne doivent laisser penser que l’auteur est hostile aux ministres du culte. Non content d’avoir passé lui-même 5 ans au séminaire, Garry Wills a consacré 3 de ses livres aux grands prêtres érudits et prêtres prophètes de sa génération, comme Dan Barrigan (3).
            Curieusement, l’auteur suggère qu’au lieu de militer pour l’ordination des femmes, de prêtres mariés ou ouvertement homosexuels, le plus logique et le plus honnête historiquement serait d’imaginer un catholicisme sans ecclésiastiques. Voilà, selon Wills, qui serait plus fidèle à la pratique chrétienne originelle que le catholicisme moderne (en tant que catholique, Wills a de la sympathie pour l’évolution de la tradition religieuse, mais, dans le christianisme, les origines restent cardinales). Comme il conclut, « la tendance à condamner, accuser et persécuter » qu’on trouve chez les papes de toutes les époques « vient d’un attachement jaloux à leurs prérogatives et de l’orgueil né de l’exclusivité » du rôle des prêtres. Séparé du reste des humains par leur « pouvoir unique de transformer le pain et le vin en corps et sang du Christ », ces derniers ont donc tenu les catholiques à distance des autres chrétiens et du Jésus des Evangiles. Dès lors, pourquoi les prêtres ?
            Même si elle ouvre sur une réflexion fascinante, la proposition de Wills ne sera jamais sérieusement envisagée par le clergé catholique, ni par les paroissiens. Elle sera donc probablement rejetée comme irréaliste, voire cruelle. C’est dommage. Quoi qu’on en pense, la manière dont l’auteur détruit de nombreux mythes entourant les origines de la fonction sacerdotale, apporte des informations et des éclaircissements essentiels, surtout pour les catholiques pratiquants.

Cet article est paru dans ‘The New Republic’, le 11 février 2013. Il a été traduit par Laurent Bury.

Notes
1. Dans la foi catholique, la messe est le renouvellement, non sanglant mais bien réel, du sacrifice du Christ. Elle est à la fois sacrifice et commémoration du dernier repas que Jésus prit avec ses disciples avant sa mort.
2. « Prenez et mangez-en tous, ceci est mon corps livré pour vous ». Puis : « Prenez et buvez-en tous ceci est mon sang, le sang de l’alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés. Vous ferez cela en mémoire de moi. »
3. Jésuite nord-américain né en 1921, ce militant fut condamné pour avoir brûlé les registres d’un bureau d’incorporation de l’armée en pleine guerre du Vietnam.

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