jueves, 24 de noviembre de 2016

Article de journal après el décès de Bruno Dumoulin, handicapé



Bruno, une personne extraordinaire, Pedro Pierre.

J'ai bien connu Bruno : il était né avec de nombreux handicaps dans une famille amie de la France. Il vient de décéder à 43 ans. "Il nous a changé la vie; grâce à lui nous sommes allés à l'essentiel", affirme son père. "Il est devenu pour toute la famille le centre et le critère de notre façon de vivre", selon sa mère. Brun avait des difficultés pour marcher, s'exprimer, attraper n'importe quelle chose; il ne voyait et n’entendait pas bien. Mais ses parents, son frère et sa sœur se sont appliqués à qu’il puisse avoir une vie heureuse ; ils l'ont obtenu parce que sa vie était une explosion de joie et d'amitié. Ils ont changé de maison pour qu'il ait plus de facilités pour se déplacer et pouvoir jouer avec les animaux : chien, chat, lapins, agneaux, poules, oiseaux… Il a appris d’eux les envies de marcher, de sauter, de chanter, de rire… en faisant de grands progrès que ses parents perfectionnaient.
Il a appris aussi à rencontrer Dieu, car que ses parents étaient actifs dans la paroisse et participaient dans des groupes de solidarité. Un jour Bruno a fait comprendre ses parents qui allaient à la messe, que lui aussi voulait communier. Avec l’accord du prêtre, toute la famille l'a préparé à la première communion; il avait déjà appris à prier chez une famille et à écouter le Parole de Dieu dans des réunions entre voisins. Sa première communion fut une grande fête parce que tout le monde s'étonnait du développement humain et chrétien de Bruno. Je me rappelle également une réunion où je parlais de l’Equateur: lorsque je demandais à l'assemblée ce qui était le plus important pour Jésus, Bruno fur le premier à répondre, presqu'en criant : "Les pauvres". L'assemblée l'a applaudi. Ensuite je demandais ce qui était le plus important pour nous et Brun a nouvellement répondu le premier: "L’amitié"… à la surprise de tous qui ont recommencé à l’applaudir. J'ai pensé alors: "Oui, ce sont les pauvres et les petits qui nous évangélisent".
En Equateur, les personnes handicapés ont retrouvé leur dignité et des possibilités de grandir et de s’intégrer à l’école, au travail, à la vie sociale. Elles sont devenues visibles et nous avons appris à les respecter et les apprécier. Elles jouissent de beaucoup de droits et grâce aux aides qu'elles reçoivent, elles peuvent être mieux se développer et être intégrées dans la société. Elles nous apprennent que la valeur d’une personne dépasse son aspect physique ; souvent celui-ci nos cache leurs grandes qualités humaines et spirituelles. Elles nous disent ce qui nous est importants de développer en personnellement et ensemble : plus d’humanité, d’amitié et de partage.
A une époque où trop d’importance est donnée à la beauté corporelle, elles nous disent que celle-ci est très secondaire si nous n'avons pas développé une qualité de relations et d’engagements. A une époque où triomphent l'individualisme et le succès matériel, ces personnes nous disent l'amitié et l’organisation sont des valeurs primordiales. A une époque où l’on veut réduire la foi à peu d’importance, elles nous disent que la spiritualité est essentielle chez l'être humain afin que nous soyons plus heureux et plus utiles aux autres.
Merci, Bruno pour ton sourire, au-delà de ta bouche tordue. Merci pour ton amitié qui resplendissait dans tes yeux à un demi fermés et dans tes longues embrassades. Merci pour ta foi qui nous confirme le chemin à suivre. En son temps, Jésus, ému et plein de joie, s’écriait : « Je te bénis, Père du ciel et de la terre, car tu as caché ces choses du Royaume aux personnes érudites ou fameuses et tu les as données à connaître aux tout-petits'."

domingo, 30 de octubre de 2016

Mes articles du journal équatorien au mois d'août et témoignage de 34 ans en Equateur



Equateur, septembre 2016.

Bien chers/ères amis/es, bonjour.
Je pense que vous allez bien.

Après mon séjour en France, je vous envoie une traduction des articles que j’ai écrits chaque semaine d’août dans le journal équatorien qui m’a demandé ce service. C’est une façon de vous partager les options que vous connaissez.
-        L’espérance tenace… message des JMJ.
-        Gagner, être heureux : oui, mais… Messi reste un scandale.
-        Rien n’est impossible… même contre Monsanto.
-        Proaño séquestré… mais en vain.
-        Le diaconat au féminin… pas si simple !

Texte complémentaire : Témoignage d’une religieuse de La Providence (St. Jean de Bassel, Lorraine) qui a passé 34 ans en Equateur, dans le monde Indien des Andes.

Bonne lecture.

Fraternellement.
Pierre.

PS. Je vous envoie 2 textes supplémentaires :
-        Le premier est des plus favorables pour les Communautés Ecclésiales de Base. Il provient du cardinal canadien Marc Ouellet, préfet au Vatican de la Congrégation pour les évêques et président de la Commission pontificale pour l’Amérique Latine. C’est heureusement surprenant.
-        Le témoignage d’Inés Wenner, une amie religieuse présente comme moi en Equateur durant de nombreuses années ; c’était pour ses 60 ans dans la Congrégation des Sœurs de la Providence de Saint Jean de Bassel, Lorraine.

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Paroles du cardinal Marc Ouellet :

… « Parmi ces oasis de miséricorde j’insiste, entre autre chose, sur les Communautés Ecclésiales de Base, nombreuses dans ce continent : elles se constituent autour de la Parole de Dieu méditée, partagée et vécue. Le continent en compte de très nombreuses : elles sont animées par des catéchistes ou des délégués de la Parole ; elles sont d’innombrables étoiles brillantes dans la nuit de l’indifférence religieuse. Leur présence incarnée renforce la sacramentalité de l’Eglise en Amérique Latine, Leur amour pour la Parole de Dieu, alimentée aussi fréquemment que possible par la communion eucharistique, représente un solide rempart face à l’invasion progressive du matérialisme et du prosélytisme des sectes. Leur témoignage de sincère fraternité nourrie de la Parole de Dieu et ouverte à l’œcuménisme n’est pas seulement un signe attrayant de la grâce, c’est aussi une source efficace de miséricorde et de charité active que régénère constamment le tissu social de la population, la ville et le pays »…


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1.   L’ESPÉRANCE TENACE, Pedro Pierre.

C’est le grand message que le pape François nous laisse de son voyage en Pologne pour les Journées Mondiales de la Jeunesse. La présence de deux millions de jeunes enthousiaste est significative. Leurs commentaires montrent à la fois leur préoccupation d’un monde dominé par l'argent et la violence, ainsi que par leur espoir de contribuer à y créer plus de justice et de paix. Le pape a confirmé ces options avec des mots toujours forts et encourageants. Lors de sa visite dans le camp d'extermination nazie, il a rappelé la terrible réalité de la mort programmée de millions de personnes innocentes. Il a clairement condamné les guerres au Moyen-Orient et la faim en Afrique condamnant des centaines de milliers de personnes à émigrer ; plusieurs dizaine de milliers font de la Méditerranée un énorme de vie disparue à jamais.
Au cours de sa visite à Czestochowa le pape a appelé à faire de notre dévotion mariale une joie et engagement à servir les personnes et les peuples plus durement éprouvées. Il a invité les chrétiens polonais à faire de leur tradition catholique leur grande force pour faire face aux défis du monde d'aujourd'hui. Il a demandé au million de jeunes qui se réunirent avec lui dans la capitale polonaise, Cracovie, de se lancer dans «l'aventure de la miséricorde», une aventure qui pour «construire des ponts et de détruire les murs, aider les pauvres et tous ceux qui se sentent seuls, abandonnés ou qui ne trouvent pas de sens à leur vie ".
Selon le pape ces Journées Mondiales de la Jeunesse ne peuvent pas se limiter à être seulement un souvenir heureux ; elles sont un engagement des jeunes et de tous les catholiques en faveur d'une vie plus humaine et chrétienne. Le pape a voulu allumer la flamme de l'espoir capable de briser les montagnes de la haine et de l'injustice: Jésus n’est pas un héros du passé, mais le partenaire actuel de toute vie et de toute lutte qui contribuent à bâtir des espaces de fraternité. Nous pouvons tous apporter notre grain de sable à cette construction en dénonçant les fausses idoles de la consommation effrénée, la drogue destructrice, la communication technologique superficielle : celles-ci n’apportent plus de violence et de mort. "L'ambition pour l'argent est la racine de tous les maux», avait prévenu saint Paul à son disciple Timothée.
La proclamation du pape à « construire des ponts et abattre les murs" a été saluée par les cris de joie. Elle reste un défi pour chacune et chacun d'entre nous. Il s’agit de démolir les murs de l'individualisme et la peur de s’engager, les barrières de l’indifférence et de l’orgueil, les montagnes de médiocrité et de spiritualité désincarnée... Il s’agit de construire des ponts qui unissent les mains au service de la rencontre, de la paix et du respect de la nature. Telle est l’espérance tenace à édifier au milieu des pires difficultés ...
"C’est beau, et cela me console le cœur, de vous voir en rébellion. Aujourd'hui les regards l'Église sont fixés sur vous : celle-ci veut apprendre de vous, elle vous redit avec force que la miséricorde du Père a un visage toujours jeune visage et vous invite à construire son royaume».


2.   GAGNER, ÊTRE HEUREUX : OUI, MAIS… Pedro Pierre.

Avec la Coupe du monde et les Jeux Olympiques le sport se maintient au premier plan des médias. Avant ces deux événements ont eu lieu les grands scandales des responsables du football mondial. En même temps que les Jeux Olympiques de Rio de Janeiro, les manifestations au Brésil ont dénoncé les dépenses énormes des travaux d'infrastructure, comparées aux budgets des dépenses sociales.
Nous admirons les records obtenus dans les différentes disciplines, ainsi que l'esprit d'équipe entre les sportifs. Mais il faut dénoncer les énormes profits de certains joueurs, des organisateurs et des médias. Leonel Messi est l'exemple le plus évident. Combien gagne-t-il par mois? Un million de dollars, deux millions? Son transfert à l’équipe de Barcelone en Espagne a couté plus de 120 millions! Comment ne pas s’indigner face aux dizaines de millions de personnes sans emploi fixe ou face aux salaires de misère d’autres dizaines millions qui n’arrivent pas à remplir ni la moitié du panier de la ménagère!
Dans une lettre fraternelle, le théologien espagnol José Ignacio González Faus écrit à Leonel Messi: «Peut-être que tu es le meilleur joueur du monde. Et qui t’écrit est un admirateur de ton habileté, ton intelligence, ta rapidité, tes heureuses décisions, ton sens du jeu collectif... Mais tu gagnes beaucoup trop et c’est un scandale ... Tu dois te sentir obligé à regarder le contexte où tu vis. L’industrie financière enterre la beauté née du bonheur de se dépasser». Il est plus important d'être une grande personne qu’être un grand joueur.
Quels modèles de personnes nous proposent les médias? Malheureusement leur message met l'argent comme la seule référence. Ce n’est pas la valeur de la personne qui va en premier, mais les résultats et non la responsabilité personnelle ni sa lutte pour un projet de société plus égalitaire. Messi n’est pas une mauvaise personne; il est même sympathique. Mais il est des plus décevants quand il affirme lors du jugement du Trésor espagnol qu’il a signé "sans savoir ce qu'il signait»? Et la signification du signe de la croix en entrant sur le terrain de jeu ou après avoir marqué un but, dénigre le signe de la croix où sont cloués les crucifiés d’aujourd’hui? N'est-ce pas « invoquer en vain le nom de Dieu»?
Où sont les athlètes et les sports alternatifs qui ne se laissent pas corrompre par le système actuel? Comment détruire et remplacer ce système pervers afin d’actualiser la profession de vie et de foi de Marie, la mère de Jésus et notre mère? « Il a frappé avec la puissance de son bras puissant : il a dispersé les orgueilleux et défait leurs plans. Il fait tomber les puissants de leurs trônes et il a élevé les humbles. Il a rassasié les affamés et renvoyé les riches avec les mains vides ». Qui ont la mission de réaliser cette prophétie de Marie, sinon nous autres, en manifestant un Dieu ami et défenseur des pauvres? Notre dévotion mariale, si répandue dans nos églises, nous encourage à mener une vie personnelle responsable et construire une vie sociale plus équitable.


3.   RIEN N’EST IMPOSSIBLE, Pedro Pierre

"Si les problèmes sont les nôtres, les solutions aussi" C’est ce qu’une ville argentine de 12.000 habitants a confirmé en empêchant l'implantation dans la commune de l'une des plus grandes entreprises mondiales, rien de moins que "Monsanto". La lutte a duré trois ans jusqu'à ce que la société renonce à construire la plus grande usine de semences génétiquement modifiées dans le monde.
"Monsanto" est la plus grande société de production de semences du monde: elle veut avoir la vente exclusive des grains les plus utilisés pour dominer son commerce dans le monde entier. En outre, les produits modifiés par Monsanto ont besoin d'engrais et d´herbicides spéciaux. Les bénéfices de l’entreprise sont immenses et la dépendance des agriculteurs complète. En outre, on ne connaît pas les dommages à long terme qui peut produire ces semences transgéniques sur la santé humaine. Ce qui est certain c’est la disparition de milliers de graines alimentaires qui ne peuvent pas rivaliser avec cette chaîne du commerce international. La conclusion c’est la «perte de souveraineté alimentaire», car ce ne sont ni les gouvernements ni les agriculteurs qui décident ce qu'ils vont planter, produire et commercialiser dans leur pays, mais cette société.
La nouvelle que Monsanto a dû abandonner la construction de l'une des plus grandes usines dans le monde est arrivée le 1er Août. La ville Argentine a gagné la bataille contre d'énormes intérêts qui semblaient impossible à vaincre, s’appelle Córdoba. Cette a été possible grâce à l’inébranlable résistance des voisins, des jeunes et des femmes qui avaient bloqué l'usine depuis 2013. Il s’agit d’un évènement d'une grande importance pour tous les peuples et les pays du monde, car c’est l’arrêt de plus de production d'engrais et d'herbicides qui sont vraies poisons pour la nature et les humains. Il aura un énorme ralentissement au niveau de toute la planète : désormais nous pouvons faire plier n’importe quelle multinationale. C’est également un encouragement pour les groupes et les peuples qui se battent partout dans le monde pour défendre leurs territoires et leurs collectivités, leur vie et celle de leurs enfants, alors que la logique dominante tente de nous convaincre que ce sont des luttes impossibles à gagner. C’est aussi une gifle à tous ceux qui se considèrent vaincus avant même de combattre.
Cette victoire nous fait penser au groupe courageux de citoyens équatoriens de l’Amazonie qui se battent depuis plus de 20 ans contre les contaminations encore mortelles de la compagnie pétrolière Texaco. Est malheureusement particulièrement frappante le peu de solidarité des Equatoriens en général, avec leurs concitoyens. C’est une honte que de nombreux magasins, de nombreuses personnes et de nombreuses institutions continuent de vendre, acheter et utiliser les produits Texaco! Quand donc ouvrirons-nous les yeux et aurons-nous le courage de suivre ces citoyens argentins! C’est un échec dû à notre propre lâcheté et manque de foi dans le Dieu de la vie, si nous pensons que nous ne sommes pas en mesure de transformer en possible l'impossible.


4.   PROAÑO SÉQUESTRÉ... Pedro Pierre.

C’est encore ce qu'ils voulaient de nombreux ecclésiastiques équatoriens ainsi que les grands richards de notre pays: faire disparaître la mémoire et l’héritage de Mgr Leonidas Proaño. Un dernier exemple est la récente disparition de la cathédrale de Riobamba de la peinture des Martyrs de l’Amérique latine offerte à Mgr Proaño par le peintre argentin et lauréat du prix Nobel de la paix Adolfo Pérez Esquivel. Mgr Julio Padilla, actuel évêque de Riobamba, dans un communiqué, a voulu mettre fin à la controverse: «La Curie diocésaine a pris la décision que la fresque des peuples latino-américains reste dans la cathédrale." De fait, Adolfo Pérez Esquivel avait écrit à l’évêque de Riobamba une longue lettre où il exprimait sa surprise devant cette disparition, le sens ecclésial latino-américain de la fresque et l'importance symbolique de son emplacement dans la cathédrale de Riobamba. Plusieurs revues et agences nationales et internationaux de presse ont fait écho de cette malheureuse initiative. Dans Riobamba, il a eu des protestations sur la voie publique.
Un autre exemple d'il y a 40 ans: l'arrestation par la junte militaire alors au pouvoir de Mgr Proaño avec 14 évêques latino-américains et quelques 70 prêtres, religieuses et laïcs réunis à Riobamba. Ce scandale international a éclaté, comme il l'écrit le père Agustín Bravo, vicaire épiscopal de Mgr Proaño, sur recommandations des plus hautes autorités ecclésiastiques de l'Equateur faites au triumvirat militaire. Ces évêques, prêtres, religieuses et laïcs s’étaient rassemblés pour partager leurs expériences pastorales après les lignes pastorales mises en place après la réunion des évêques du sous-continent à Medellin, en Colombie, en 1968. Mgr Proaño a écrit la mémoire de cet événement dans son livre "L'Évangile subversif."
Une autre tentative d'enlèvement a eu lieu peu dès la nomination de Mgr Proaño comme évêque de Riobamba. Il entreprit la visite toutes les paroisses du diocèse. Il fut choqué par la misère et l'esclavage auxquels étaient soumis la grande majorité des Indiens. À l'issue de ces visites qui durèrent plusieurs mois, les autorités civiles et les riches de la ville lui avaient préparé une grande fête dans une hacienda célèbre. Mgr Proaño a refusé d’y participer en faisant valoir qu’un tel repas ne serait possible que lorsque autant d’Indiens que de métisses seraient assis à la même table. De fait, Mgr Proaño a ainsi échappé à son enlèvement et sa soumission aux puissants. Il a donc pu s’engager dans l’évangélisation des indiens, c’est-à-dire l'organisation et la libération des Indiens.
Ces enlèvements démontrent les options de notre Église: d’une part l'option pour les riches, en fait les kidnappeurs, et, de l’autre, l'option pour les pauvres qui fut celle de Jésus. Hier comme aujourd'hui les premiers veulent effacer l’héritage de Mgr Proaño, la mémoire des martyrs de l'Amérique latine, le rôle des populations indiennes, la force des pauvres, une Église au visage latino-américain. Jésus avait d’ailleurs averti ses disciples: «Heureux serez-vous quand on vous insultera à cause de moi, qu’on vous poursuivra et qu'on dira sur vous toute sorte de calomnies». Mgr Proaño et l'Église des pauvres a longue vie car ils ont la force de l'Evangile.


5.   LE DIACONAT AU FÉMININ, Pedro Pierre.

Le pape Francisco a récemment décidé d'entreprendre une réflexion dans toute l'Eglise sur le diaconat des femmes. Le livre des Actes des Apôtres nous parlent du diaconat des femmes. Ce ministère s’est perdu avec le passage des siècles. La cause principale fut l'entrée progressive du machisme et du patriarcat dans l'Eglise, en particulier par le pouvoir donné au clergé par l’empereur Constantin. La hiérarchie s’est alors éloignée du peuple de Dieu et a agi comme une autorité dominatrice. De plus les membres du clergé devaient être exclusivement des hommes.
Au début de l'Église, les prêtres tels que nous les connaissons aujourd'hui n'existaient pas. Les spécialistes de la Bible nous disent que ceux qui présidaient la « fraction du pain » ou le Mémorial de la dernière Cène que nous appelons Eucharistie, étaient ceux qui recevaient la communauté chrétienne dans leur maison : c’étaient donc indistinctement des hommes ou des femmes. Rappelons aussi que Jésus était un laïc et non un prêtre; il n’était pas d’avantage membre d'une famille sacerdotale. Dans les premières églises étaient tous laïques. L'assimilation de la hiérarchie à l'empire romain au 4ème siècle a créé, d'une part, la séparation entre le clergé et le reste des baptisés et, de l'autre, le retour au culte sacerdotal de l'Ancien Testament.
Ce fut le concile du Vatican II, il y a 50 ans, qui a révisé le sens du ministère sacerdotal et a invité à exercer la prêtrise « à la manière des apôtres ». Il a aussi fait remarquer que le sacerdoce des baptisés est premier et que le sacerdoce du clergé est au service de celui-là. Malheureusement trop peu d'efforts ont été faits pour revenir à la pratique des premières communautés chrétiennes. Peut-être les Communautés ecclésiales de Base, nouvel espace d’Eglise, vivent plus effectivement autant le sacerdoce de baptisés que celui des ministres de l’eucharistie: à partir de l'égalité entre baptisés le sacerdoce ministériel est au service du sacerdoce des baptisés, comme de leur mission prophétique et royale. La crise actuelle révèle l'impasse où le sacerdoce ministériel s’est engagé.
Dans ce contexte parler du diaconat ou de la prêtrise des femmes dans le contexte actuel sans retourner aux sources chrétiennes, c’est tout simplement se vouer à l'échec et augmenter les problèmes qui nous souffrons. On comprend les réticences des théologiennes et des possibles candidates au diaconat ou à la prêtrise: ce serait entrer dans une voie sans issue, montrer bien peu de respect pour la dignité des femmes, leurs capacités et leur mission chrétienne.
La décision du pape Francisco va ouvrir une réflexion sur le diaconat féminin. Celle-ci nous précisera le sens de la « diaconie » de toute l'Eglise, la nouvelle identité qui doit prendre à la fois le sacerdoce des baptisés comme celui des diacres, prêtres et évêques ! Tout cela recentrera la mission des chrétiens dans le monde sur leur service du Royaume de Dieu, «l’unique réalité absolue » selon Jésus lui-même.
Avril 2016 : Témoignage d’Inés (Agnès) Wenner pendant la messe paroissiale, lors de ses 60 ans de vie religieuse dans la Congrégation des Sœurs de la Divine Providence de Saint Jean de Bassel, Lorraine.





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Je vais partager avec vous des faits qui sont pour moi motifs d’action de grâces.

Je suis née un dimanche de Pâques et maman me répétait souvent « Bishn e Glekskind » ce qui veut dire « Tu es une enfant née pour le bonheur ». Je peux dire sincèrement que malgré la guerre, l’exode et les difficultés inhérentes à la vie, j’ai toujours été heureuse.
Un autre motif d’action de grâce c’est ma grand-mère maternelle. Elle était Autrichienne et savait la Bible par cœur. Comme je partageais la même chambre, elle me racontait tous les soirs une histoire de la Bible comme on aurait raconté Blanche Neige ou le Chaperon Rouge. Pour moi, Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, David n’avaient plus de secret. De plus elle était très pratiquante. Tous les dimanches elle allait à la Messe, aux Vêpres et même au salut du St Sacrement, et moi je l’accompagnais avec joie. Les plus âgés d’entre vous doivent se rappeler de ce temps là où on passait beaucoup de temps à l’église. Grâce à ma grand-mère j’ai eu une bonne base religieuse. J’en rends grâce à Dieu.
Une autre personne importante dans ma vie, c’est une religieuse de St Jean de Bassel qui était ma maîtresse au cours moyen I et II. C´était juste après  la guerre, nous ne savions plus parler le français. Or cette sœur avait une patience d´ange avec nous, elle rayonnait la bonté et on sentait qu´elle nous aimait vraiment et qu´elle voulait notre bien. Alors en moi est né le désir de devenir comme elle. Tout à l´heure nous avons lu dans l´Evangile c’est à l´amour que vous avez les uns envers les autres qu´on verra que vous êtes mes disciples. Cette sœur est à l’origine de ma vocation religieuse et j´en rends grâce à Dieu.
J´avais 9 ans et cette idée ne m´a plus quitté. Lorsque j´avais 15 ans, la maîtresse de 3e a proposé á toute la classe une retraite durant les vacances de Noël. Le prêtre nous présentait les trois états de vie : le mariage, le célibat et la vie religieuse. Mon cœur battait très fort et je sentais bien que pour moi ce sera la vie religieuse. J´en ai gardé le secret jusqu´au jour où j´ai découvert qu´une autre de ma classe avait ce même désir. Nous en avons parlé. Elle m´a convaincue que je devais parler á mes parents ce que j´ai fait le soir même. Papa m´a dit : « Si tu réussis ton brevet tu pourras y aller ». Maman a pleuré. Pour moi la partie était gagnée. Je vais réussir mon brevet et je pourrai partir. C´était en 1951. J´ai eu la chance d´aller à la prise d´habits de Sr. Ancille Schmitt, Antoinette doit s´en rappeler car c´est la famille Schmitt qui m´a emmenée dans un petit bus. Quinze jours après, le 20 septembre 1951 je suis entrée comme aspirante au couvent de St Jean de Bassel. J’avais 15 ans et demi et la joie habitait mon cœur.
J´ai suivi la filière obligatoire : aspirante, postulante, novice et professe, et j´ai commencé la carrière d´institutrice dans le primaire au pensionnat de Fénétrange. Vous savez que nous faisons un vœu d´obéissance. Eh bien après 14 ans à Fénétrange j´ai été envoyée à Strasbourg-Neudorf durant 3 ans et ensuite 8 ans à la Maison Mère à St Jean de Bassel pour commencer la maison d´accueil. Pour toutes ces années au service des enfants et de l’accueil, je rends grâce à Dieu.
Puis, une lettre circulaire de la Supérieure générale nous informa que la Congrégation va ouvrir une Mission en Amérique Latine, en Equateur précisément. Cette lettre disait que Monseigneur Leonidas Proaño, évêque de Riobamba encore appelé évêque des Indiens, acceptait des missionnaires pour travailler avec les Indiens dans des villages situés à 2.800 m. d’altitude. Que le climat est très varié, les 4 saisons en un jour et les nuits toujours fraîches. Qu’il y avait des pommes de terre, des oignons, des bananes, du café et bien d’autres choses encore. Je me suis dit «Si j’y vais, je ne mourrai ni de faim ni de chaleur » et je me suis manifestée à mes supérieures qui ont accepté mon choix. J’ai commencé à apprendre l’espagnol, la langue officielle du pays.
En 1982, je fus envoyée avec deux autres sœurs dans le diocèse de Riobamba. Dès les premiers temps, l’évêque nous a intégrées dans l’Equipe Missionnaire Itinérante(EMI) pour un an afin de connaître rapidement les lieux et la langue des Incas, le kichwa. C’était une vraie aventure. Je partais le lundi matin pour 8 jours ou davantage avec des missionnaires de l’EMI dans un village qui avait demandé une mission ; nous partions avec le sac à dos qui contenait le stricte minimum et notre sac de couchage. Les voyages se faisaient à pied ou à cheval car on ne pouvait atteindre les villages d’Indiens que par des sentiers. Nous prenions le bus à la ville jusqu’au sentier qui menait au village. Parfois il fallait marcher 2 ou 3 kilomètres. Souvent venaient à notre rencontre 1 ou 2 Indiens pour nous aider à porter nos sacs .L’accueil était toujours très chaleureux. Une fois sur place, on nous indiquait dans quelle famille nous allions dormir ; puis nous visitions chaque famille et nous les invitions à venir à la réunion du soir. Cette réunion avait lieu dans l’école ou dans la chapelle s’il y en avait une. Il n’y avait pas d’électricité et en Equateur la nuit tombe tous les jours de l’année à 6 heures du soir. C’est avec des bougies qu’on s’éclairait. Les missionnaires de l’EMI savaient les chants et les prières en kichwa. Moi je dressais mes oreilles mais je ne comprenais rien. J’étais comme un petit enfant qui écoute et enregistre les sons pour apprendre à parler. C’était une bonne méthode pour apprendre une langue et je remercie Dieu pour ce temps d’apprentissage.
J’ai découvert aussi la vraie pauvreté et la simplicité. Les maisons des Indiens appelées chozas sont creusées dans la terre couverts d’un toit de chaume. Pourquoi dans la terre ? Parce que comme ils considèrent la Terre comme leur Mère, la Pacha Mama, ils veulent vivre dans le ventre de leur mère. Pour la même raison ils marchent pieds nus, pour être en contact avec leur mère et en recevoir l’énergie. Les petits-enfants ils les posent emmaillotés par terre pour qu’ils sentent l’énergie de la Terre Mère. Dans ces chozas, ni table ni chaise, il faut s’asseoir par terre. Au milieu de la pièce il y a le foyer : 3 grosses pierres. Sur ces pierres une grande marmite en aluminium très fin. Dans la marmite, des assiettes en aluminium, des cuillères et une louche en bois. Rien d’autre dans ces chozas : tout est simple et pauvre. Pas de bibelots à épousseter. Je rends grâce à Dieu car les Indiens m’ont appris qu’on peut être très heureux avec bien peu.
Les Indiens sont très religieux, c'est-à-dire, ils ont le sens du sacré. Ils font toujours une prière de bénédiction sur les aliments, c’est tout naturel chez eux. Ils remercient la PACHA MAMA (la Terre Mère) qui leur donne à manger. Ils mangent en silence comme pour apprécier ce qu’ils ont reçu. Cela m’a beaucoup impressionnée au début. Ils ont aussi un grand respect de la Nature. Ils adressent de belles prières à la Pacha Mama, la Terre Mère, avant les semailles et au moment des moissons. Et ces prières ils les disaient avant la venue des Espagnols. Dans leur conversation, ils disent souvent « si Dieu le veut, ou comme Dieu voudra », ils n’ont pas peur des tremblements de terre ni des volcans en irruption. Alors j’ai vu qu’ils étaient davantage abandonnés à la Providence que moi qui suis Sr. de la Divine Providence.
Leur sens communautaire est remarquable. Chaque année ils choisissent entre eux le responsable du village. Comme ça tout le monde y passe, ils savent que ce n’est pas tâche facile. Pour régler les problèmes du village ils convoquent chaque famille à une réunion et chacun donne son avis. Ces réunions peuvent durer des heures parfois toute la nuit, car ils ne lèveront la séance que lorsqu’il y a un accord entre tous. J’ai appris ce qu’est la vraie vie communautaire : j’en rends grâce à Dieu
Les Indiens ont aussi le sens du partage. Ils partagent le peu qu’ils ont. Je vous raconte ce qui m’est arrivé dans une mission. Nous avions l’habitude d’apporter à la famille qui allait nous héberger, un cornet plein de petits pains. C’était reçu comme une friandise et chacun le mangeait tout de suite. Or, ce jour-là j’ai vu que l’un d’eux ne mangeait pas son pain. Intérieurement je me demandais pourquoi. C’est qu’il avait aperçu qu’un des leurs était descendu du bus sur la route principale et qu’une demi-heure plus tard il serait parmi nous après avoir gravi le chemin que nous venions de monter. A son arrivée, après les salutations d’usage, j’ai vu que celui qui n’avait pas mangé son pain, a partagé le sien et lui a donné la moitié et les deux mangeaient avec des yeux remplis de joie. J’ai vu la joie du vrai partage. J’en rends grâce à Dieu.
Les deux autres sœurs ont fait la même expérience que moi mais avec d’autres missionnaires de l’EMI et dans d’autres lieux. C’était très enrichissant et comme nous étions séparées nous n’avions pas la tentation de parler français.
Après l’année d’expérimentation passée dans l’EMI l’évêque nous a demandé de faire partie d’une Equipe pastorale avec un prêtre colombien, un ingénieur agronome, un indien du village et une jeune Indienne. Dans l’Equipe nous avions chacun une responsabilité. Nous nous débrouillions assez bien en kichwa pour organiser les activités. A cette époque ma responsabilité était d’aider les Indiens dans leur démarche pour obtenir leur carte d’identité, car sans ce papier ils ne valaient rien. En effet le gouvernement a accepté pendant un an le certificat de baptême pour la date de naissance. Il fallait faire vite. Comme ils étaient tous baptisés dans les premiers jours de leur naissance à cause de la grande mortalité infantile il fallait rechercher dans les archives de l’Eglise la date du Baptême et là on savait la date de naissance. Il fallait voir le sourire heureux quand ils revenaient avec leur carte d’identité. Je partageais leur joie.
Pendant dix ans j’ai vécu dans ce monde Indien qui m’a appris bien plus que je ne leur ai apporté. Depuis il y a eu de grands changements dans le monde indien. Maintenant Il y a l’électricité, l’eau, des chemins pour que des voitures puissent entrer dans le village. Leur vie s’est améliorée. Il y a un bon président de la République qui n’est pas corrompu comme ceux d’avant.
J’ai donc eu mon changement pour un autre diocèse et dans le monde métis pauvre. C’était à 5 km d’une grande ville LATACUNGA et le village était traversé par un aéroport militaire ; nous étions 2 sœurs. C’était une paroisse avec 12 barrios, c'est-à-dire, 12 quartiers. Il n’y avait pas de prêtre. Un prêtre venait seulement le dimanche pour la messe. Nous étions donc responsables de cette paroisse. Les Sœurs avant nous avaient déjà organisé beaucoup de choses. Il fallait continuer ce qui était commencé : Catéchèse, formation des catéchistes, (il y avait 300 enfants à la catéchèse de 10 à 15 ans), préparation aux baptêmes et aux mariages, Groupes liturgiques, organisation des femmes, banques communautaires, une crèche d’enfants prise en charge par les mamans, visite des malades avec distribution de communion. Dans chaque barrio (quartier) il y avait une personne responsable du religieux et qui faisait le lien avec les Sœurs. On l’appelait le SERVITEUR. Il réunissait son barrio une fois par semaine pour analyser la réalité et partager l’Evangile. Nous réunissions ces Serviteurs une fois par mois pour voir les difficultés qu’ils rencontraient et leur donner une formation biblique. Ces serviteurs faisaient vraiment vivre la paroisse. Nous donnions beaucoup de responsabilités aux laïcs parce que à nous deux nous ne pouvions pas tout faire et aussi pour qu’à notre départ ils continuent à prendre leurs responsabilités. Dans la suite nous étions 3 sœurs.
En l’an 2000 la pauvreté a augmenté beaucoup. C’était dû à la dollarisation. Comme ici vous avez changé les Francs en Euros, là-bas on a changé le SUCRE, la monnaie nationale, en dollars américains. Mais ici un Euro vaut 6,666 francs mais en Equateur 1 dollar valait 25.000 SUCRES. Donc si quelqu’un avait 100.000 SUCRES, c’était une petite fortune mais il se retrouvait avec 4 dollars après le change. Des instituteurs retraités qui avaient une pension de 300.000 SUCRES se retrouvaient avec 12 dollars. La monnaie avait perdu sa valeur et les choses coûtaient cher. La faim commençait à se sentir surtout chez les vieillards. Certains allaient mendier ; d’autres mouraient. Nous avons alors commencé des cantines dans 5 barrios. Nous avons sollicité la générosité de tout le monde pour pouvoir nourrir les vieillards qui avaient faim. Il y en avait une centaine. Le dimanche nous mettions un grand panier devant l’autel et au moment de l’offertoire les gens s’avançaient et mettaient des vivres dans le panier. Des cuisinières bénévoles s’offraient pour préparer les repas. Dans la suite le gouvernement a soutenu ces cantines en donnant chaque mois 8 produits : huile, thon, riz, pâtes, lentilles, haricots secs, sucre, sel. C’est à ces moments-là qu’on voit de belles choses, des miracles du partage entre pauvres. Je remercie Dieu d’avoir vécu cela.
En l’an 2007 un prêtre a été nommé pour cette paroisse alors nous nous sommes retirées pour aider ailleurs. J’étais restée 15 ans dans cette paroisse. J’ai été changée pour le diocèse où j’étais avant et j’ai travaillé avec Sœur Liliane Haas que beaucoup d’entre vous connaissent. Elle travaillait dans le domaine de la santé et moi dans la pastorale surtout la catéchèse et la visite des personnes âgées.
En 2013 je suis revenue en France pour me faire soigner avec l’intention de retourner en Equateur. Mes problèmes de santé n’ont pas été résolus, alors j’ai décidé de rester en France. Je porte l’Equateur dans mon cœur et dans mes prières quotidiennes.
Puisque l’occasion m’est donnée, je veux aussi vous dire que je prierai chaque jour pour cette communauté de paroisses Ste Catherine, aussi longtemps que le Seigneur me prête vie. J’ai 80 ans.
Merci de m’avoir écoutée.


domingo, 1 de mayo de 2016

Recompilation de commentaires sur l'Exhortation papale sur 'l'amour dans la famille'



“ L E   B O N H E U R   D E   S ’ A I M E R ”



« EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE AMORIS LAETITIA’
DU SAINT-PÈRE FRANÇOIS
AUX ÉVÊQUES, AUX PRÊTRES ET AUX DIACRES,
AUX PERSONNES CONSACRÉES, AUX ÉPOUX CHRÉTIENS
ET À TOUS LES FIDÈLES LAÏCS
SUR L’AMOUR DANS LA FAMILLE » (Avril 2016).



Sélection de commentaires sur l’Exhortation du pape François
sur l’amour dans la famille (PR).


CONTENU
1.     Commentaires : « Le bonheur de s’aimer », Pierre Riouffrait.
2.    Les 6 mots clés de l’Exhortation sur la famille, Nicolas Senèze.
3.    Bâtir sur la déception, Meneldil Palant (CCBF).
4.    Recompilation de textes : Dossier Journal La Croix (PR).
5.    Une Exhortation discrètement subversive, Anne Soupa (CCBF).
6.    Il reste du grain à moudre, Marcel Rigaud (curé de paroisse).
7.    Huit convictions au cœur de l’Exhortation du pape (La Croix).
8.    Autonomie des laïcs, lettre du pape au cardinal Marc Ouellet (mars 2016).


Pierre Riouffrait (PR), ‘prêtre sans frontière’.
Quito, Equateur. Mai 2016.



1.  L’EXHORTATION  DU  PAPE  FRANCOIS  SUR  LA  FAMILLE
« Le Bonheur de s’aimer ».  Commentaires  depuis  l’Equateur

Pierre Riouffrait, mai 2016.

            Il s’agit d’un texte assez long qui veut donner un nouveau sens aux orientations de l’Eglise sur la famille, moins doctrinal, sans condamnation, plus positif… Il y a 2 façons de voir l’Exhortation, comme « le verre à moitié plein ou à moitié vide ». De fait la doctrine traditionnelle sur la sexualité, la famille, le mariage… ne change pas. Par contre le pape François entrouvre des portes sur des points qui paraissaient intouchables.

1. SOULIGNONS LE POSITIF

1.      Le titre donné à la lettre est positif et évocateur ; il reprend ses premiers mots : « La joie de l’amour… qui est vécue dans les familles est aussi la joie de l’Église ». Je le traduirais par « le bonheur de s’aimer », question de sensibilité.

2.      Le pape François insiste constamment sur l’écoute, l’ouverture, la compréhension, le discernement, l’accompagnement… Il déplace l’objectif qui n’est plus l’accomplissement de la doctrine traditionnelle, mais l’entraide mutuelle pour réussir le pari de l’amour et de la famille.

3.      J’aime bien le poème de l’uruguayen Mario Benedetti et son commentaire de l’hymne à l’amour de saint Paul.
Poème de Mario Benedetti : « Je t’aime ».
“Tes mains sont ma caresse, mes accords quotidiens ;
je t’aime parce que tes mains travaillent pour la justice.
Si je t’aime c’est parce tu es mon amour, ma complice et tout ;
et dans la rue, bras dessus bras dessous, nous sommes bien plus que deux”.
Hymne à l’amour de saint Paul (1e lettre aux Corinthiens 13) :
« L’amour sait attendre, l’amour est compréhensif et il n’est pas jaloux.
L’amour ne s’enfle pas, il ne se fait pas valoir ;
il n’a rien que de noble et ne cherche pas son intérêt.
Il ne se met pas en colère, et il oublie le mal.
Il ne se réjouit jamais de ce qui est injuste et prend plaisir à la vérité.
Il résiste à tout, il croit tout, espère tout et supporte tout.
L’amour ne passera pas, tandis que les prophéties auront un terme,
et les langues cesseront, et le plus haut savoir sera oublié. » (1e Cor. 13, 4-8).

4.      La doctrine n’est plus un absolu ‘divin’, mais un service ‘humain’ de la vie et de l’amour.

-        Le pape François déplace le rôle de la doctrine traditionnelle. Il veut, à l’exemple de Jésus, qu’elle soit au service des personnes. Pour cela il donne les principes qui doivent orienter la conduite du clergé -évêques, prêtres et diacres. Il exhorte ceux-ci à :
. Respecter la conscience des fidèles,
. Prendre en compte l’ouverture à la grâce,
. Regarder avec amour à ceux qui participent à la vie de l’Eglise d’une manière incomplète,
. Bien discerner chaque situation : les normes générales cherchent le bien qu’on ne peut écarter ni oublier et qu’elles ne peuvent couvrir toutes les situations particulières.
. Comprendre que le mariage est un processus dynamique,

-        Ces orientations permettent de :
. Relativiser la doctrine et la mettre au service de personnes, et non le contraire,
. D’accepter les divergences d’interprétation selon les situations et les cultures en donnant priorité à la miséricorde,
. Décider au cas par cas dans le cadre des divorcés remariés, pour ce qui est de l’accès à la communion,
. De valoriser le corps et la sexualité comme facteurs d’épanouissement…

2. DES PORTES ENCORE FERMÉES
-        On trouve peu d’ouverture pour les couples homosexuels. Le pape François n’a pas repris sa déclaration qui laissait augurer plus de changements : « Si quelqu’un est homosexuel et cherche Dieu, qui suis-je pour le juger ? »
-        La vision des textes de la Genèse reste très masculine. L’interprétation en est fondamentaliste. L’avancée des sciences doivent nous aider à réinterpréter ces « mythes fondateurs », écrit d’un point de vue patriarcal commun à l’époque de leur rédaction. La place des femmes dans l’Eglise, les décisions et les visions théologiques n’est pas encore une réalité : que « les paroles fassent places aux actes » ; c’est urgent.
-        Le problème du célibat obligatoire n’est pas abordé. Là aussi, des portes ont été entrouvertes par le responsable de la Doctrine de la Foi : « Le célibat n’est pas un dogme »… Souhaitons qu’un courant d’air froid ne les fasse pas se refermer.

3. DÉPASSER LES CONTRADICTIONS

1.      La doctrine non changée
-        La principale contradiction est de vouloir changer les orientations traditionnelles et les pratiques pastorales sans toucher à la doctrine et à l’institution ecclésiale.
-        On peut se demander si, à la longue, la force de la doctrine et le poids de l’institution ne gagnera pas la partie sur la bonne volonté d’un clergé peu disposé à changer et à donner plus d’espace dans les décisions et les attitudes cléricales.

2.      Les laïcs appelés à prendre des initiatives
-        La réalité de la famille et du mariage sont du domaine des laïcs et non de clercs. Remettons les choses à leur place. L’Eglise est d’abord le Peuple de Dieu et pas seulement ses ministres ordonnés… ‘ordonnés’ d’ailleurs au service de ce Peuple. « Les pasteurs doivent être parfois devant le troupeau, mais aussi au milieu de lui et souvent derrière lui » : laïcs sont appelés à marquer le pas et indiquer la direction à suivre. Les laïcs doivent prendre en conscience et en communauté (en couples et en groupes) les décisions qu’ils trouvent pertinentes sur tous les sujets qui concernent l’amour, la famille, le mariage… et le clergé les appuyer.
-        L’homosexualité demande à être valorisé : le ‘sens de la foi’ de l’ensemble des baptisés et le ‘sens de l’humain’ de beaucoup est un chemin à suivre pour comprendre, reconnaître, accepter et intégrer dans l’Eglise les nouvelles formes de familles selon l’évolution de l’humanité.

CONCLUSION
            Personnellement j’attendais plus de cette Exhortation du pape François. Les résistances et les oppositions sont grandes, en particulier à l’intérieur de l’Eglise. Le pape lui-même a ses limites et ses façons de parler et d’agir, à respecter et à saisir, car nous sommes dans un « nouveau printemps de l’Eglise ».
Profitons des efforts et des initiatives du pape François pour les mettre en œuvre et ouvrir un chemin d’Eglise, de foi et d’humanité qui nous rendent tous plus actifs et heureux, au service du Royaume inauguré par Jésus.
            Il y a « beaucoup de pain sur la planche », car les nominations systématiques d’évêques traditionalistes par les deux papes précédents et les formations théologiques qu’ils ont inspirées et imposées aux prêtres ne vont pas dans le sens des orientations du pape François.
            Soyons attentifs aux « signes des temps » qui nous orientent vers la valorisation de tout ce qui est profondément humain et de la richesses des grandes religions et cosmovisions : ensemble nous ouvrirons les chemins favorables aux hommes et aux femmes d’aujourd’hui.



2.  LES  SIX  MOTS-CLES  DE  L’EXHORTATION  SUR  LA  FAMILLE,
Nicolas  Senèze.


Discernement, dialogue, souci pastoral… Une lettre du secrétariat du Synode des évêques dévoile quelques mots-clés de l’exhortation apostolique « Amoris laetitia » que le pape François doit rendre publique vendredi 8 avril sur l’amour dans la famille.

1. Conversion du langage
L’objectif des deux Synodes sur la famille était clairement missionnaire. « L’Évangile doit être éloquent et atteindre chacun », souligne un récent courrier adressé aux évêques par le Secrétariat du Synode pour les aider à préparer la réception de l’exhortation apostolique.
C’est dans cette optique missionnaire que, dès la première assemblée synodale, les pères synodaux avaient insisté sur une nécessaire « conversion du langage » : « Il faut faire en sorte que l’annonce de l’Évangile ne soit pas théorique ou détachée de la vie réelle des personnes. (…) L’annonce doit faire sentir que l’Évangile de la famille est la réponse aux attentes les plus profondes de la personne humaine » (Rapport final, § 32 et 33).
Ce souci rejoint celui du pape qui a déjà pointé le risque d’une « incommunicabilité » entre la culture chrétienne et la culture contemporaine et appelé l’Église à trouver « un nouveau langage, une nouvelle approche pour dire les choses ».

2. Inculturation
Cela suppose donc, explique le Synode des évêques, une plus grande inculturation du message chrétien, ce sur quoi devrait insister l’exhortation : « pour parler de la famille et aux familles, la question n’est pas de changer la doctrine, mais d’inculturer les principes généraux afin qu’ils puissent être compris et mis en pratique ».
« Inculturer, expliquait déjà le cardinal Bergoglio en 2008, c’est transformer intimement les authentiques valeurs culturelles en valeurs chrétiennes, les intégrer à une même vision de la vie, et, en même temps, enraciner le christianisme dans les diverses cultures à partir de la réflexion et de la pratique. »
Cette inculturation nécessite, comme l’écrivait le P. Bergoglio dès 1985 dans un article récemment republié par La Civiltà cattolica dans une version « revue par le Saint-Père », « une sainteté qui ne doit pas avoir peur du conflit et être capable de constance et de patience ». Elle implique, « d’affronter le conflit non pour y demeurer impliqué, mais pour le surmonter sans l’éluder », écrivait celui qui était alors recteur des facultés jésuites de Buenos Aires. Il dénonçait « la peur (qui) en se confrontant aux extrémistes d’un bord ou de l’autre, peut conduire au pire extrémisme possible : l’“extrémisme du centre”, qui rend vain n’importe quel message. »

3. Discernement
Trouver ce langage attentif aux personnes suppose un bon discernement, relève le Secrétariat du Synode. Il s’agit d’« un processus permanent d’ouverture à la Parole de Dieu dans le but d’éclairer la réalité concrète de chaque vie, un processus qui nous amène à être dociles à l’Esprit, qui encourage chacun de nous à agir avec amour, dans les situations concrètes et dans la mesure du possible ».
« Le pape François -comme ses prédécesseurs- nous demande souvent de faire la distinction, en tant que pasteurs, entre les différentes situations vécues par notre peuple fidèle et par toutes les familles, les gens, les personnes, écrit-il. Ce discernement n’est pas réservé aux situations exceptionnelles. »
« Une des caractéristiques du discernement ignatien est l’insistance à ne pas prendre seulement en considération la vérité objective, même si elle est exprimée dans un esprit approprié et proactif », relève enfin le Synode. Une vision qui rappelle une réflexion du pape François, au début de son pontificat : « J’ai toujours été frappé par la maxime décrivant la vision d’Ignace : “Ne pas être enfermé par le plus grand, mais être contenu par le plus petit”. J’ai beaucoup réfléchi sur cette phrase pour l’exercice du gouvernement en tant que supérieur : ne pas être limité par l’espace le plus grand, mais être en mesure de demeurer dans l’espace plus limité. Cette vertu du grand et du petit, c’est ce que j’appelle la magnanimité. »

4. Dialogue
« Le discernement est le dialogue des pasteurs avec le Bon Pasteur afin de chercher toujours le salut des brebis », résume le Synode des évêques, qui rappelle que le dialogue est à la racine de la pensée de François. « Le dialogue présuppose et exige que nous cherchions cette culture de la rencontre. C’est-à-dire une rencontre qui sache reconnaître que la diversité n’est pas seulement bonne, mais qu’elle est nécessaire. L’uniformité nous annihile, elle fait de nous des automates », soulignait François en juillet 2015 au Paraguay.
Ce pape qui plaide inlassablement pour une « Église en sortie », « capable de sortir d’elle-même et d’aller vers celui qui ne la fréquente pas, qui s’en est allé ou qui est indifférent », a toujours mis en garde contre « une Église renfermée sur elle-même », qui « devient son propre référentiel ». « La pensée qu’il définit “incomplète” est éminemment fondée sur le dialogue, explique donc le Secrétariat du Synode, c’est-à-dire qu’elle n’est pas autoréférentielle, monologuante, abstraite. Dialoguer veut dire ne pas donner pour acquis non seulement ce que l’autre pense, mais aussi ce que nous-mêmes savons. »

5. Inclusion
« Accepter cette diversité », « dialoguer avec ceux qui pensent autrement », « favoriser la participation de ceux qui ont des aptitudes différentes », le Secrétariat du Synode le résume en un mot : « inclusion ». Celle-ci est, explique-t-il, « essentielle pour la culture du dialogue ». Mais il replace aussi ce mot dans la pensée du pape et la « théologie du peuple », la branche argentine de la théologie de la libération qui a formé Jorge Mario Bergoglio. « Dire que nous sommes tous des sujets n’équivaut pas à une simple somme de tous les individus ; cela indique plutôt la totalité comprise en tant que peuple », développe le Synode selon qui, dans l’exhortation, François « nous propose explicitement de nous attarder sur cette manière de concevoir l’Église : comme le Peuple fidèle de Dieu ».
Ici, dialogue et discernement sont donc « imbriqués », selon le Synode. Lors de l’assemblée synodale d’octobre 2015, dans un discours pour les 50 ans du Synode, François avait d’ailleurs rappelé, citant sa précédente exhortation Evangelii gaudium, que « le Peuple de Dieu est saint à cause de cette onction qui le rend infaillible in credendo [en ce qu’il croit] ». Pour lui, c’est ainsi tout le Peuple de Dieu qui est appelé à transmettre la foi chrétienne, quitte à ce que les fidèles bousculent parfois les pasteurs, « puisque le Peuple de Dieu possède son propre “flair” pour discerner les nouveaux chemins que le Seigneur ouvre à l’Église ».

6. Souci pastoral
Cette attention au peuple de Dieu suppose donc un souci pastoral de la part des évêques. Celui-ci ne doit « pas être perçu comme s’opposant au droit », met en garde le Synode, fidèle à la pensée de François pour qui « “pastoral” ne s’oppose pas à “doctrinal” » et qui refuse « une fausse opposition entre la théologie et la pastorale ». « La vérité pastorale n’est pas une simple application pratique contingente de la théologie. Il ne s’agit pas d’adapter une pastorale à la doctrine, mais de ne pas arracher à la doctrine son sceau pastoral originel et constitutif », développe le Secrétariat du Synode.
Alors que, à la rigidité doctrinale, François oppose donc l’image d’une Église qui « se sent le devoir de chercher et de soigner les couples blessés avec l’huile de l’accueil et de la miséricorde », le Synode souligne que la préoccupation du pape est « de recontextualiser la doctrine au service de la mission pastorale de l’Église ».

Nicolas Senèze.



3.  BÂTIR  SUR  LA  DÉCEPTION.  Meneldil  Palant
Exhortation  apostolique  ‘Amoris  laetitia’


UN TEXTE LONG, RICHE ET COMPLEXE
L’exhortation apostolique Amoris laetitia que le pape François vient de publier pour conclure le cycle ouvert avec les deux Synodes sur la famille de 2014 et 2015 est un texte long, riche et complexe ; il ne s’agit pas ici de le juger, surtout pas de manière binaire ou simpliste, ce qui ne serait pas lui rendre justice, mais plutôt de le situer dans le contexte de la lutte pour la réforme de l’Église.
Commençons par dire que cette grille de lecture (« S’agit-il d’un texte plutôt réformateur ou plutôt conservateur, et quelle peut être son utilité pour faire progresser l’Église vers davantage d’ouverture ? ») n’est qu’une grille de lecture possible, et n’épuise absolument pas la richesse du texte, loin s’en faut. Il faut lire cette exhortation apostolique pour ce qu’elle est : un texte sur la famille et, pour en reprendre le titre, « la joie de l’amour ». À cet égard, elle contient de nombreux passages d’une très grande intelligence et d’une très grande bonté sur, par exemple, le fonctionnement du couple, ou ce qui fait qu’un mariage peut réussir. Les questions les plus polémiques, celles sur lesquelles l’Église fait erreur et qui ont contribué à la formation d’un gouffre aujourd’hui béant entre elle et les sociétés occidentales (divorcés remariés, homosexualité, sexualité hors-mariage, contraception, avortement pour citer les principales) ont certes leur importance, mais ne sauraient constituer le tout d’un discours sur l’amour, la sexualité ou le mariage.
Ce préalable étant posé, assumons notre problématique et essayons de comprendre ce qu’Amoris laetitia va ou peut changer concrètement à la situation de l’Église, à ses pratiques et à ses rapports au reste du monde. De ce point de vue, les catholiques réformateurs ne peuvent qu’être déçus par un texte certes très intelligent sur bien des points, mais peu audacieux : la doctrine ne change pas, et les homosexuels sont particulièrement ignorés. On est assez loin de « la plus grande révolution depuis 1500 ans » annoncée par le cardinal Kasper. Cela étant, il fallait s’y attendre, car sur ces questions polémiques, François n’est pas réellement un réformateur : il est plutôt conservateur et centriste.
Mais il est également jésuite, et il incarne dans Amoris laetitia les clichés dont la Compagnie est victime. Et c’est ce qui nous sauve, car ce texte prudent, pour ne pas dire précautionneux, offre, de manière discrète, presque dissimulée, des ouvertures tout à fait réelles.

LES OUVERTURES
1.      La première concerne les divorcés remariés.
Le pape écrit au paragraphe n° 305, qui s’inscrit dans une réflexion sur ce sujet : « À cause des conditionnements ou des facteurs atténuants, il est possible que, dans une situation objective de péché […], l’on puisse vivre dans la grâce de Dieu, qu’on puisse aimer, et qu’on puisse également grandir dans la vie de la grâce et dans la charité, en recevant à cet effet l’aide de l’Église. » Quelle peut être cette « aide de l’Église » ? Une note de bas de page, la note n° 351, apporte justement la précision attendue : « Dans certains cas, il peut s’agir aussi de l’aide des sacrements. » Et pour que personne ne s’imagine qu’il s’agit seulement de la réconciliation, la même note précise : « Je souligne également que l’Eucharistie “n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles” ».
Tout est dit : « dans certains cas », les divorcés remariés peuvent communier. Quels cas, exactement ? Les maîtres mots de l’exhortation apostolique sont « conscience » et « discernement » : en d’autres termes, chaque personne qui se trouve dans une situation considérée comme « irrégulière » par l’Église (divorcés remariés mais aussi homosexuels mariés, puisque, dans le paragraphe n° 297, le pape précise bien qu’il ne se « réfère pas seulement aux divorcés engagés dans une nouvelle union, mais à tous, en quelque situation qu’ils se trouvent ») doit décider, en son for intérieur, et en accord avec le prêtre, quels sacrements elle peut recevoir.
De ce point de vue, une lecture honnête d’Amoris laetitia ne peut pas prétendre appliquer l’herméneutique de continuité : celle-ci est tout bonnement impossible, en contradiction flagrante avec le texte. L’exhortation apostolique Familiaris consortio, publiée par Jean-Paul II en 1981, écrivait, dans son paragraphe n° 84 : « L’Église […] réaffirme sa discipline […] selon laquelle elle ne peut admettre à la communion eucharistique les divorcés remariés. […] La réconciliation par le sacrement de pénitence […] ne peut être accordée qu’à ceux qui se sont repentis d’avoir violé le signe de l’Alliance et de la fidélité au Christ, et sont sincèrement disposés à une forme de vie qui ne soit plus en contradiction avec l’indissolubilité du mariage » -autrement dit, en s’abstenant de toute relation sexuelle.
Tout est clair. Familiaris consortio affirmait que, pour qu’un divorcé remarié accédât aux sacrements, il lui fallait s’engager à s’abstenir de tout rapport sexuel avec son nouveau conjoint ; Amoris laetitia lève cette contrainte et laisse au fidèle et au prêtre la libre appréciation de la possibilité ou non d’une participation aux sacrements.

2.      La décentralisation
À terme, cette logique du discernement au cas par cas peut même ouvrir la porte à la grande réforme dont l’Église a besoin, celle de la décentralisation. Le pape souligne cette problématique dès le paragraphe n° 3 : « dans l’Église une unité de doctrine et de praxis est nécessaire, mais cela n’empêche pas que subsistent différentes interprétations de certains aspects de la doctrine ou certaines conclusions qui en dérivent. […] En outre, dans chaque pays ou région, peuvent être cherchées des solutions plus inculturées, attentives aux traditions et aux défis locaux. Car “les cultures sont très diverses entre elles et chaque principe général […] a besoin d’être inculturé, s’il veut être observé et appliqué”. »
Les deux éléments sont importants : d’une part, des divergences d’interprétation peuvent légitimement exister dans l’Église selon le pape François, ce qui signifie que les catholiques n’ont pas à être d’accord sur tout ; d’autre part, ces divergences peuvent être plus importantes entre des cultures différentes. Ici, le pape encourage clairement le développement de pratiques différentes d’un continent ou d’une culture à l’autre ; ce qui est clairement la seule voie de salut possible pour préserver l’unité entre des catholiques qui, s’ils se retrouvent sur le Credo, sur la messe et sur le triple commandement d’amour du Christ, sont souvent en désaccord fondamental par ailleurs, surtout sur les questions de morale sexuelle et familiale.

3.      Une porte entrouverte
Le pape François ouvre donc une porte qui était jusqu’à présent fermée, ou au moins il met un pied dans la porte pour nous permettre de l’ouvrir. Bien sûr, on ne peut que regretter l’incohérence que cela suppose quant au rapport entre doctrine et pastorale, entre croyance et pratique. Il serait évidemment préférable de reconnaître que l’Église, sur certains sujets, s’est trompée, et d’assumer une évolution réelle qui témoignerait d’une meilleure compréhension de la Volonté de Dieu.
Mais cela nécessiterait une révolution d’une ampleur immense, chose que François n’est probablement pas prêt à accomplir, d’autant plus que cela ne pourrait que déclencher un nouveau schisme. En outre, une petite ouverture fondée sur une incohérence vaut déjà mieux que pas d’ouverture du tout. Il s’agit donc à présent de nous engouffrer dans la brèche, donc d’agir autant que possible en profitant de cette ouverture. Selon le vieil adage qui affirme qu’un droit ou une liberté ne s’use que si on ne s’en sert pas, les divorcés remariés, les couples homosexuels mariés, et plus généralement tous ceux que l’Église considère comme en état de « péché obstiné » doivent engager partout la discussion avec les prêtres, en s’appuyant sur l’exhortation apostolique, en vue d’obtenir la participation aux sacrements. Ce n’est qu’en étant concrètement vécue et mise en application qu’Amoris laetitia changera effectivement la donne dans l’Église ; autrement, elle tombera dans l’oubli, et les tenants du conservatisme auront gagné.
Naturellement, tout cela ne peut qu’accentuer les clivages dans l’Église ; mais ce n’est pas une mauvaise chose. De toute manière, les clivages sont déjà là : sur les questions de morale sexuelle et familiale, mais aussi sur l’obéissance au Magistère et à la Tradition, sur la décentralisation dans l’Église etc., les fidèles, même pratiquants, sont d’ores et déjà en désaccord. Mettre la poussière sous le tapis ne la fera pas disparaître : plutôt que de nier ces divergences internes, entreprise forcément vouée à l’échec, à l’exacerbation du non-dit et au retour du refoulé, l’Église doit apprendre à les regarder en face et surtout à vivre avec, ce qui implique de les penser.

4.      Les oppositions certaines
En attendant, Amoris laetitia va faire tomber bien des masques. Les traditionalistes ne peuvent que refuser ce nouveau texte, même s’ils hésiteront probablement sur les conséquences à en tirer (rejoindre les lefebvristes ? les sédévacantistes ? rester malgré tout dans l’Église en se battant contre la réforme de l’intérieur ?). Mais pour les conservateurs, l’affaire va s’avérer plus complexe. Que feront tous ceux qui, jusqu’à présent, sommaient les catholiques réformateurs d’accepter Humanæ vitæ ou Familiaris consortio au nom de l’obéissance au Magistère ? D’ores et déjà, trois attitudes se manifestent parmi eux.
-        Il y a, bien entendu, les vrais obéissants, les papolâtres à tous crins, ceux qui sont capables de suivre le pape et d’applaudir quoi qu’il dise, quitte à se contredire ; ceux qui, jusqu’au mois de mars dernier, nous expliquaient bravement qu’il était tout à fait normal que les divorcés remariés soient totalement exclus de la communion, et qui vont à présent nous expliquer tout aussi bravement qu’il est tout à fait normal qu’ils puissent la recevoir dans certains cas. De leur part, plutôt crever que de reconnaître que nous, réformateurs, avions raison avant eux dans les combats pour lesquels ils nous condamnaient et que le pape lui-même vient à présent de légitimer. Dans cette catégorie, on peut citer Padreblog ou la Communauté de l’Emmanuel.
-        Mais d’autres ne vont pas se laisser faire aussi facilement. Une première attitude de refus consiste à minimiser la portée du texte. Ainsi, le cardinal Burke, de sinistre mémoire, a publié une déclaration aussi sidérante que mensongère affirmant que le pape François aurait « été très clair, dès le début, pour dire que l’exhortation apostolique post-synodale n’était pas un acte du Magistère ». À l’appui de cette thèse pour le moins étonnante, il cite le paragraphe n° 3 d’Amoris laetitia ; or, tout un chacun peut, en s’y référant, s’apercevoir qu’il ne contient rien de tel. Il s’agit donc non seulement d’un mensonge, mais d’un mensonge stupide, car il sera vite éventé.
Cette tentative de faire sortir Amoris laetitia du champ du Magistère ordinaire ne peut que rappeler celles des traditionalistes pour faire croire que Vatican II aurait été un Concile non pas dogmatique, mais exclusivement pastoral. Là encore, cette aberration se faisait contre toute évidence (dès le titre, deux des quatre Constitutions de Vatican II sont qualifiées de « dogmatiques »), et pourtant le mensonge s’est répandu et est encore tenace, 50 ans après. Il nous faut donc faire preuve de vigilance pour que ne se répande pas de fausse rumeur sur le texte du pape François. Car si Amoris laetitia, qui est une exhortation apostolique, ne fait pas partie du Magistère, alors Familiaris consortio, qui en est une autre, n’en fait pas partie non plus.
-        Une seconde attitude de refus consiste à nier non pas le statut du texte, mais son contenu, soit en tentant d’en mener une (pourtant impossible) lecture « en continuité avec l’enseignement antérieur de l’Église », soit en appelant ouvertement à la désobéissance. On en a des exemples sur le blog de Jeanne Smits, sous la plume de l’association Voice of the family, ou encore sur le blog Benoît et moi. Ce dernier est particulièrement intéressant ; par exemple, le refus systématique d’appeler l’évêque de Rome par son nom de pape, pour n’utiliser que son nom de famille, « Bergoglio », est extrêmement révélateur : peut-être cette exhortation apostolique sera-t-elle le germe de schismes à venir.

CONCLUSION : Un pas dans la bonne direction
Il se peut donc que la prudence du pape, son refus de passer en force face aux cardinaux les plus conservateurs, sa manière subtile d’indiquer des chemins à suivre, par des notes de bas de page et des formules plus ou moins sibyllines, ne lui épargnent pas l’aggravation des fractures internes de l’Église, qu’il a pourtant cherché à éviter. Quoi qu’il en soit, ce nouveau texte magistériel est à présent dans nos mains. Pour une fois, il représente un pas dans la bonne direction : à nous donc de le faire vivre.

Meneldil Palantir Talmayar, (CCBF, 15 Avril 2016).
(Titre des paragraphes : PR).



“AMORIS  LAETITIA”  OU  “LE  BONHEUR  DE  S’AIMER” (PR).

Dossier : Journal La Croix, avril 2016.
Recompilation Pierre R. (PR).

CONTENU
1.     Introduction
2.    Titres de commentaires d’évêques
3.    Lien pour retrouver les originaux


INTRODUCTION

Le Vatican a annoncé la publication, le 8 avril, de l’exhortation post-synodale du pape François intitulée « Amoris laetitia » (la joie de l’amour). L’exhortation signée pour la fête de saint Joseph : Le pape François doit signer son exhortation post-synodale sur la famille samedi 19 mars, solennité de saint Joseph, figure qui lui est chère.
L’exhortation apostolique sur la famille du pape François, publiée le 8 avril 2016, fait suite aux deux synodes des évêques tenus à Rome en octobre 2014 et 2015. Elle aborde la question de l’accompagnement des couples et des familles et insiste sur l’accompagnement des diverses situations familiales. Les Synodes ont changé le regard de l’Église sur la famille : L’exhortation du pape sur « l’amour dans la famille » s’inspire des travaux des Synodes d’octobre 2014 et 2015, qui ont posé un regard plus compatissant sur la diversité.
Dans des documents envoyés aux évêques, le Synode des évêques explique que « Amoris Laetitia » n’entend pas « changer » mais plutôt « recontextualiser » la doctrine de l’Église sur le mariage et la famille. Il insiste sur un besoin de « conversion du langage » et de « discernement ».


COMMENTAIRES D’ÉVÊQUES (principalement).
­         Éclairer les consciences au lieu de les remplacer
­         Poursuivre le travail d’inculturation
­         Éclairer les consciences au lieu de les remplacer
­         Poursuivre le travail d’inculturation
­         Faire entrer la miséricorde chez les exclus
­         Tendre la main à ceux qui se tiennent à l’écart de l’Église
­         Apprendre à ne pas juger
­         L’exhortation met en œuvre la collégialité redécouverte par Vatican II
­         Le pape François met en œuvre dans « Amoris laetitia » une nouvelle manière de concevoir le magistère de l’Église
­         Les clés pour lire et comprendre l’Exhortation
­         Le pape regarde la famille avec amour et réalisme
­         Respectueux des travaux des Synodes, le texte stimule l’Église à soutenir les couples et familles « dans leur engagement et dans leurs difficultés ».
­         Huit convictions au cœur de l’exhortation du pape : De l’amour au « gender (genre)», en passant par le discernement, les divorcés remariés ou la « paternité responsable », le point sur huit notions clés du texte du pape ou qui ont été particulièrement au cœur des débats des Synodes d’octobre 2014 et octobre 2015.
­         Le pape donne une aide au discernement : L’exhortation apostolique marque un changement dans le discours de l’Église.
­         L’Église ne doit jamais oublier le concret
­         Cette exhortation apostolique est surtout une illustration de la synodalité souhaitée par le pape François pour concilier unité et diversité.
­         Procréation, l’exhortation met en avant la décision en conscience : La régulation des naissances, lieu de fracture entre de nombreux couples catholiques et le Magistère depuis l’encyclique Humanae vitae du pape Paul VI en 1968, est abordée à plusieurs reprises. Fidèle à sa méthode, François assume le passé...
­         Ce qu’il faut retenir de l’exhortation du pape sur la famille : Radioscopie des situations familiales actuelles, discours sur l’amour conjugal, manuel de pédagogie et retour d’expériences pastorales, l’exhortation « Amoris laetitia », n’impose pas de solution générale.
­         Homosexualité : l’exhortation rappelle la doctrine : S’il évoque largement les situations dites « irrégulières », le pape mentionne très peu l’homosexualité de manière explicite. Cette question est citée parmi les « situations complexes » examinées par le pape, comme les mariages...
­         L’exhortation fait l’éloge d’un certain féminisme : Ancrée dans l’anthropologie biblique, l’exhortation apostolique fait l’éloge de la différence hommes-femmes. Une réponse aux inquiétudes exprimées par les pères synodaux face à l’idéologie du genre. « Il ne faut pas ignorer que le...
­         Accès aux sacrements : le pape invite à ne pas  être « mesquin : Cette question avait été abordée dans le rapport final du synode, qui ouvre en particulier la voie au baptême pour les catéchumènes remariés qui avaient divorcé d’un premier mariage civil (n° 75) « à une époque où au moins un des deux...
­         Contre tout légalisme, Amoris laetitia appelle au discernement : Si l’on tient compte de l’innombrable diversité des situations concrètes (…), on peut comprendre qu’on ne devait pas attendre du synode ou de cette exhortation une nouvelle législation générale du genre canonique, applicable à tous les...
­         L’exhortation invite à accompagner les plus fragiles : L’accompagnement est un thème privilégié du pape François. Mais au-delà de ce qu’il en dit, le style même d’Amoris laetitia témoigne de sa posture de pasteur attentif à tous, quelles que soient les situations familiales : ses mots sont...
­         Amoris laetitia, un regard lucide sur le couple et la famille : S’il parle du mariage et de la famille, le pape François, dans Amoris laetitia, veut d’abord « parler de l’amour ». Le pape consacre d’ailleurs une longue et belle méditation à l’hymne à la charité de saint Paul (1 Co 13, 4-7), un...
­         Amoris laetitia, une nouvelle approche des divorcés remariés : Objet des plus vifs débats dans les médias et dans l’opinion, l’accueil des divorcés remariés dans l’Église ne fait l’objet d’aucune révolution juridique et doctrinale. « Le pape ne dit pas la phrase que tout le monde attendait. Mais...
­         Amoris laetitia, « les pieds sur terre : Le temps est supérieur à l’espace. » Le pape François aime citer ce principe qui guide son action. Il le mentionne encore à deux reprises dans son exhortation post-synodale Amoris laetitia rendue publique vendredi 8 avril. Ce long texte...
­         des situations familiales.
­         La synodalité au cœur de l’exhortation sur la famille : Récurrente dans la pensée du pape François, la synodalité est un thème qui devrait traverser son exhortation apostolique « Amoris laetitia », sur l’amour dans la famille, dont la publication est prévue vendredi 8 avril.
­         Les six mots-clés de l’exhortation sur la famille : Discernement, dialogue, souci pastoral… Une lettre du secrétariat du Exhortation sur la famille, des clés de lecture pour les évêques

POUR RETROUVER LES AUTEURS ET LES TEXTES ORIGINAUX DANS LEUR TOTALITE




5.  UNE  EXHORTATION  DISCRETEMENT  SUBVERSIVE
Anne  Soupa

CCBF, le 9 Avril 2016.

Parue vendredi, l'exhortation du pape qui conclut les deux sessions du synode de la famille suscite beaucoup de commentaires. Voilà quelques éléments de décryptage.
Cette exhortation est discrètement subversive. Le pape impose son terrain et refuse celui des doctrinaires. Le pape dit : Ce qui compte, ce n’est pas le droit canon, mais l’attitude de miséricorde. Il instaure le primat de la « Via caritatifs », la voie de la charité. Ainsi, il évite de passer en force contre les cardinaux traditionnalistes. En mettant un texte sous le texte, il vide de son importance le respect absolu de la doctrine. Une fois posée en principe le primat de la miséricorde, le pape peut mettre la doctrine sur un piédestal. Son importance devient relative.
En ce qui concerne la question des divorcés remariés, le pape dit, un peu comme tout le monde : « c’est un problème réglé ». Il a pris soin de changer le droit canon au sujet des nullités de sacrement avant la seconde session du synode, il martèle à chaque paragraphe de l’exhortation son refus obstiné de toute exclusion, il rappelle le rôle de la conscience éclairée, il ouvre à des discernements sous la conduite d’un prêtre qui peuvent aller jusqu’à supprimer des exclusions « de type liturgique, pastoral, éducatif et institutionnel » (299). C’est dire sans le dire qu’un couple qui a fait un travail de discernement peut, si sa conscience le lui dicte, et si le prêtre y consent, accéder aux sacrements. C’est acter ce que font déjà beaucoup de couples qui, en conscience, vont communier.
Cette exhortation valide la casuistique, le cas par cas, au lieu de principes absolus et universels. En outre, le paragraphe 3 installe la possibilité de diverses interprétations de la doctrine ou de certaines conclusions qui en dérivent. C’est installer sans le dire une sorte de décentralisation en matière de morale et de discipline de l’Église. Il y a une réelle prise en compte des diversités culturelles et du besoin de trouver des solutions particulières qui sont des interprétations différentes de la même doctrine et amènent à des conclusions différentes.
Toute l’exhortation reflète une meilleure compréhension de la réalité : on parle maintenant « des familles », on ne dit plus qu’il faut revenir en arrière et séparer des couples reconstitués (298). On a une vision bien plus positive de la sexualité, à intégrer au sein d’un amour (280 et Ss.), facteur d’épanouissement, tout en mettant en garde contre la dérive des corps en objets de plaisir.
Par contre, le cadre de pensée de cette exhortation reste terriblement androcentré. On continue à parler d’« Adam » comme l’homme masculin, et on appelle « homme » à la fois le masculin et l’être humain en général. Rien à faire, ce carde de pensée semble indépassable….
En ce qui concerne l’homosexualité, on a peu bougé. Deux paragraphes y sont consacrés (250, 251), pour refuser encore toute exclusion et contester la possibilité d’un « mariage homosexuel ». Le pape évite de citer l’article le plus controversé du catéchisme de l’Église catholique, pour citer le suivant qui demande d’accueillir les personnes homosexuelles. Mais c’est peu.

Anne Soupa.



6.  « IL  RESTE  DU  GRAIN  À  MOUDRE »
Michel  Rigaud

Voici, à l’usage de ses paroissiens, la réaction d’un prêtre des Yvelines
sur l’exhortation apostolique Amoris Laetitia. Le 14 Avril 2016.

Nous savons que la théologie de l’Église a été enfantée dans la douleur au cours des cinq premiers siècles de notre ère. Cette théologie, à des nuances près, n’a pratiquement jamais été remise en cause, en dépit des fractures que connut l’institution ultérieurement et qui auraient pu être évitées si la politique n’avait pas pris le pas sur l’esprit évangélique.
Les quatre conciles de Latran ainsi que les conciles de la Contre-Réforme, celui de Trente notamment, ont élaboré ce que nous appelons aujourd’hui la doctrine traditionnelle de l’Église, selon les critères de la société patriarcale et de l’anthropologie biblique : l’Ancien Testament, la Genèse.... Cet édifice, couronné, verrouillé par le concile Vatican premier du nom, avec pour clé de voûte le dogme de l’infaillibilité pontificale, a neutralisé toute évolution, toute inculturation, toute porosité avec la société moderne héritée des Lumières. Le concile Vatican II, animé par de fortes personnalités qui, alors, enrichissaient l’Église de ma jeunesse, a entrebâillé la porte, vite refermée sous les pontificats de Jean Paul II et de Benoît XVI. Á cet égard, l’encyclique Humane vitae, dont nous savons maintenant qu’elle a été inspirée à Paul VI par un certain Karol Woytila, est le symbole qui a présidé à la mise à l’écart de la modernité dans l’Église.
Comment, en effet, remettre en question une idéologie multiséculaire frappée du sceau de l’infaillibilité, retranchée derrière une muraille de traditions, pour faire place à un peu de miséricorde, c'est-à-dire un peu d’amour, de charité (« si vous n’avez pas l’amour… ») ? C’est le pari audacieux, pour ne pas dire impossible, tenté par le Pape François en prétendant inspirer un peu d’humanité aux docteurs de la loi. Comment, par exemple, concilier le dogme de l’indissolubilité du mariage, tout en acceptant de reconnaître la réalité de couples nés de mariages rompus et pourtant réputés indissolubles, sans d’énormes contorsions intellectuelles ? Pour venir à bout de cette contradiction, le jésuite Jorge Bergoglio, en fin casuiste qu’il est, institue une sorte de principe de subsidiarité, consistant à examiner les choses au cas par cas, en conférant à la miséricorde une prééminence dans la hiérarchie de ce qui n’est pas négociable. Sur le principe, on peut dire que c’est une révolution et un coup de maître, mais, vous le savez, le diable est caché dans les détails et il faudra compter avec tous ceux qui disent habituellement « on ne lâche rien », cherchant indéfiniment les solutions pour demain dans celles d’avant-hier. Inversement, on peut penser que la parole de ceux qui n’en pensaient pas moins, s’en trouvera libérée.
-        L’accès aux sacrements des personnes en délicatesse avec le modèle matrimonial catholique est en effet une avancée, sous réserve de la jurisprudence qui va se constituer dans des évêchés de cultures et de traditions très différentes et des combats d’arrière-garde qui ne manqueront pas d’être menés. Mais, outre le fait que ce chapitre n’est pas le seul parmi les questions qui fâchent, il est surprenant de constater à quel point il est difficile de s’écarter de solutions purement juridiques pour discerner l’amour du Christ et le faire entrer dans notre conception de la vie humaine. Car enfin, une personne, quel que soit son statut matrimonial, qui se présente devant la table de communion, frappe à la porte de l’éternité. Il serait surprenant qu’on la lui claque au nez. Ceux pour qui la foi, l’appartenance religieuse, n’est plus qu’un souvenir d’enfance ou un vague vernis culturel, voire même identitaire, se moquent éperdument des conditions d’accès aux sacrements. Notre saint Paul ne nous a-t-il pas enseigné qu’il suffisait d’avoir la foi pour être sauvé ?
-        Les grands absents de l’exhortation apostolique du pape François sont les homosexuels, hormis quelques paroles lénifiantes. Bien sûr, sur le thème de la fécondité, un couple homosexuel est fortement handicapé, mais pas davantage que les couples hétérosexuels qui ne peuvent pas avoir d’enfant. Je m’abstiendrai d’ironiser sur ceux qui font le choix du célibat et qui renoncent à fonder une famille. Ceux-là, pourraient m’objecter que la fécondité ne consiste pas uniquement à transmettre la vie. Michel-Ange, Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, tous frappés par la malédiction biblique, ont-ils été inféconds ?
-        Et puis, je suis désolé, mais les méthodes naturelles de contraception n’existent pas. Il s’agit de méthodes pour avoir des enfants consistant à sérier au plus près la période d’ovulation des femmes. Seuls la pilule contraceptive et le stérilet sont des procédés efficaces, sans même parler du préservatif. Le pape aurait pu épargner à l’Église le ridicule d’affirmations aussi peu scientifiques, non dépourvues d’arrières pensées assez naïvement natalistes.
L’Église catholique s’inscrit dans un cycle qui est sans commune mesure avec la durée de la vie humaine. Aussi, l’espérance doit-elle se mesurer à cette aune. Prenons une avancée pour ce qu’elle est et remercions celui qui en est l’auteur et qui l’aura, non sans difficultés, imposée à ses pairs.
La révolution culturelle qui permettra à l’Évangile de s’enraciner dans l’humanité reste à faire. Pour cela, l’institution catholique devra abjurer sa phobie du sexe, sa misogynie, son homophobie et son dogmatisme. Elle devra aussi considérer que l’Église n’est pas seulement la confrérie sacerdotale qui la conduit, mais aussi le peuple de Dieu, c'est-à-dire, tous ceux qui croient au Christ ressuscité et qui n’ont pas vocation à être traités comme des mineurs irresponsables.
Enfin, la Révélation n’est pas un héritage figé et momifié, elle continue de se développer à travers les sciences et les arts, dans tout ce qui concourt à réaliser la dimension divine de l’humanité. On voit bien qu’il reste beaucoup de grain à moudre.
Merci d’avoir eu la patience et l’indulgence de me lire jusqu’au bout.

Michel Rigaud.



7.  HUIT  CONVICTIONS  AU  CŒUR  DE  L’EXHORTATION  DU  PAPE
Loup Besmond de Senneville, Christophe Chaland, Nicolas Senèze,
Samuel Lieven, Anne-Bénédicte Hoffner.


L’exhortation apostolique sur la famille fait suite aux deux synodes des évêques tenus à Rome en octobre 2014 et 2015. Elle aborde la question de l’accompagnement des couples et des familles et insiste sur l’accompagnement des diverses situations familiales.
La Croix, le 08/04/2016.

De l’amour au « genre », en passant par le discernement, les divorcés remariés ou la « paternité responsable », le point sur huit notions clés du texte du pape ou qui ont été particulièrement au cœur des débats des Synodes d’octobre 2014 et octobre 2015.

1. AMOUR : Un regard lucide sur le couple et la famille.
S’il parle du mariage et de la famille, le pape François, dans Amoris laetitia, veut d’abord « parler de l’amour ». Le pape consacre d’ailleurs une longue et belle méditation à l’hymne à la charité de saint Paul (1 Co 13, 4-7), un texte souvent utilisé par les époux lors de leur mariage.
2. ACCOMPAGNER : Au côté des plus fragiles.
L’accompagnement est un thème privilégié du pape François. Mais au-delà de ce qu’il en dit, le style même d’Amoris laetitia témoigne de sa posture de pasteur attentif à tous, quelles que soient les situations familiales : ses mots sont ceux d’un prêtre qui a beaucoup écouté. « L’Église doit accompagner d’une manière attentionnée ses fils les plus fragiles », affirme-t-il avec les pères synodaux.
3. HOMMES ET FEMMES : L’éloge d’un certain féminisme
Ancrée dans l’anthropologie biblique, l’exhortation apostolique fait l’éloge de la différence hommes-femmes. Une réponse aux inquiétudes exprimées par les pères synodaux face à l’idéologie du genre. « Il ne faut pas ignorer que le sexe biologique (sex) et le rôle socioculturel du sexe (gender), peuvent être distingués, mais non séparés », rappelle le pape qui souligne aussi que « la valorisation de son propre corps dans sa féminité ou dans sa masculinité est aussi nécessaire pour pouvoir se reconnaître soi-même dans la rencontre avec celui qui est différent ».
4. PROCRÉATION : Une décision en conscience.
La régulation des naissances, lieu de fracture entre de nombreux couples catholiques et le Magistère depuis l’encyclique Humanae vitae du pape Paul VI en 1968, est abordée à plusieurs reprises. Fidèle à sa méthode, François assume l’enseignement de ses prédécesseurs mais opère des déplacements. Ainsi, s’il « faut redécouvrir le message de l’encyclique Humanae vitae de Paul VI, qui souligne le besoin de respecter la dignité de la personne dans l’évaluation morale des méthodes de régulation des naissances », comme l’ont souhaité les pères synodaux, il ne reprend pas les termes du permis ou défendu.
5. SACREMENT : Favoriser l’intégration.
Cette question avait été abordée dans le rapport final du synode, qui ouvre en particulier la voie au baptême pour les catéchumènes remariés qui avaient divorcé d’un premier mariage civil (n° 75) « à une époque où au moins un des deux conjoints ne connaissait pas la foi chrétienne ». À l’instar du document final, l’exhortation post-synodale insiste d’une manière générale sur l’accompagnement au cas par cas, en ne lésinant pas sur le vocabulaire ! « Il est mesquin de se limiter seulement à considérer si l’agir d’une personne répond ou non à une norme générale, car cela ne suffit pas pour discerner et assurer une pleine fidélité à Dieu dans l’existence concrète d’un être humain. »
6. DISCERNEMENT : Sortir du légalisme.
«Si l’on tient compte de l’innombrable diversité des situations concrètes (…), on peut comprendre qu’on ne devait pas attendre du synode ou de cette exhortation une nouvelle législation générale du genre canonique, applicable à tous les cas. » Les pères synodaux réunis à Rome avaient été prévenus : ils ne devaient pas s’attendre à des changements de doctrine. Mais, avec cette exhortation, le pape François ne s’en tient pas non plus à des simples aménagements pastoraux. « C’est à un changement de regard sur les familles qu’il invite les pasteurs : en ne changeant pas la loi mais en leur demandant de faire du cas par cas, il va finalement beaucoup plus loin », observe Mgr Jean-Paul Vesco, évêque d’Oran, et participant à la deuxième assemblée du synode.
7. DIVORCÉS-REMARIÉS : Une nouvelle approche dans l’accueil.
Objet des plus vifs débats dans les médias et dans l’opinion, l’accueil des divorcés remariés dans l’Église ne fait l’objet d’aucune révolution juridique et doctrinale. « Le pape ne dit pas la phrase que tout le monde attendait. Mais c’est tant mieux ! Il n’enferme pas l’Evangile dans un règlement », se félicite Mgr Jean-Paul Vesco, auteur de Tout amour véritable est indissoluble (Ed. Cerf), ouvrage dans lequel l’évêque d’Oran plaidait pour un changement de discipline sans pour autant remettre en cause la doctrine.
8. HOMOSEXUALITÉ : L’exhortation rappelle la doctrine.
S’il évoque largement les situations dites « irrégulières », le pape mentionne très peu l’homosexualité de manière explicite. Cette question est citée parmi les « situations complexes » examinées par le pape, comme les mariages mixtes et les familles monoparentales. Le fait d’avoir au sein des familles « des personnes manifestant une tendance homosexuelle » est « une expérience loin d’être facile tant pour les enfants que pour les parents », affirme le pape.

Loup Besmond de Senneville, Christophe Chaland, Nicolas Senèze, Samuel Lieven, Anne-Bénédicte Hoffner.



8.  A U T O N O M I E   D E S   L A Ï C S

Lettre du pape François au cardinal Marc Ouellet
Président de la commission pontificale pour l’Amérique latine.

Vatican, le 19 mars 2016. Texte original en espagnol. (*)

Le 19 mars 2016, le pape François a adressé une lettre au cardinal Marc Ouellet, président de la Commission pontificale pour l’Amérique latine. Elle fait suite à la rencontre entre le pape et les participants à l’Assemblée plénière de cette même Commission sur le thème de « l’indispensable engagement des laïcs dans la vie publique ». Il y souligne, en direction des pasteurs, que regarder le Peuple de Dieu c’est se rappeler « que nous sommes tous entrés dans l’Église en tant que laïcs ». La première et fondamentale consécration du chrétien prend ses racines dans le baptême, continue-t-il, et « nul n’a été baptisé prêtre ou évêque ».
Pour le pape François, le cléricalisme est une attitude qui « non seulement annule la personnalité des chrétiens », mais a tendance « à diminuer et dévaluer la grâce baptismale que l’Esprit Saint a mis dans le cœur de notre peuple ».
Après avoir pris l’exemple de la pastorale populaire en Amérique latine, le pape François interroge : « que signifie l’implication des laïcs dans la vie publique ? » et « que signifie pour nous pasteurs le fait que les laïcs s’engagent dans la vie publique ? »
Le pasteur « n’est point le berger qui dicte aux fidèles ce qu’il faut faire ou dire », explique-t-il, car « ils le savent aussi bien sinon mieux que nous ». Il nous faut comprendre que le laïc « de par sa propre réalité, de sa propre identité, de son immersion dans le cœur de la vie sociale, publique et politique (…) doit sans cesse trouver de nouvelles formes d’organisation et de célébration de la foi », a poursuivi le pape François. « Notre rôle, notre joie, la joie de pasteur est précisément d’aider et d’encourager (…) tels que les mères, les grands-mères, les parents, les vrais protagonistes de l’histoire… »
Pour le pape François, les fidèles laïcs font partie du peuple saint de Dieu et par conséquent « sont les protagonistes de l’Église et du monde, que nous sommes appelés à servir et non à être servis par eux ».

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Éminence,

J’ai eu l’occasion de rencontrer tous les participants à la réunion de la Commission pour l’Amérique latine et les Caraïbes, pendant laquelle des idées et impressions ont été échangées sur la participation des laïcs dans la vie de nos peuples.
Je voudrais m’arrêter sur ce qui a été partagé à ce sujet et continuer ainsi la réflexion actuellement menée, afin que l’esprit de discernement et de réflexion « ne tombe pas dans l’oreille des sourds » ; pour qu’il nous aide et nous encourage à mieux servir le peuple saint des fidèles de Dieu.
C’est à partir de cette image-là que j’aimerais baser notre réflexion sur l’activité des laïcs dans notre contexte latino-américain. Évoquer le peuple saint des fidèles de Dieu, c’est évoquer l’horizon vers lequel nous sommes invités à regarder et à réfléchir. Le peuple saint des fidèles de Dieu est l’objet vers lequel nous, pasteurs, sommes continuellement invités à nous tourner, que nous sommes censés assister, protéger, soutenir et servir. Un père est en soi inconcevable sans ses enfants. Un homme peut être un très bon travailleur, professionnel, mari, ami, mais ce qui lui donne le visage de père, ce sont ses enfants. Cela vaut pour nous également ; nous sommes des pasteurs. Un pasteur est inconcevable sans un troupeau qu’il est appelé à servir. Le pasteur est pasteur d’un peuple, c’est le point de départ de son service (sacerdoce). Combien de fois, vous allez de l’avant en laissant beaucoup de gens loin derrière, alors que c’est souvent parmi eux que se trouve et bat le cœur du peuple.
Regarder le peuple saint des fidèles de Dieu et s’en sentir partie prenante, nous positionnent dans la vie et, par conséquent, nous donnent un angle de vue différent sur les sujets que nous traitons. Cela nous évite de tomber dans des réflexions qui en soi peuvent être très bonnes, mais qui finissent par fonctionnariser la vie de notre peuple. Cela peut nous éviter aussi de tomber dans la théorie ou la spéculation qui finissent par tuer l’action. Porter constamment notre regard sur le peuple de Dieu nous sauve de certains clichés et slogans qui sont certes de belles formules, mais ne parviennent pas à soutenir la vie de nos communautés. Pour exemple, je me souviens à cet instant, de la célèbre expression : « C’est l’heure des laïcs », mais il semble que l’horloge se soit arrêtée.

Nous sommes tous entrés dans l’Église en tant que laïcs
Regarder le Peuple de Dieu, c’est rappeler que nous sommes tous entrés dans l’Église en tant que laïcs. Le premier sacrement, qui a scellé à jamais notre identité et dont nous devrions être fiers à jamais, est le baptême. Par lui et par l’onction du Saint-Esprit, les fidèles sont consacrés comme une maison spirituelle, comme un saint sacerdoce (LG, n. 10). Notre première et fondamentale consécration prend ses racines dans notre baptême. Nul n’a été baptisé prêtre ou évêque. Nous avons été baptisés laïcs ; c’est le signe indélébile que jamais personne ne peut éliminer. Nous devons toujours nous rappeler que l’Église n’est pas une élite de prêtres, de consacrés et d’évêques ; mais que nous formons tous ensemble le peuple saint des fidèles de Dieu. Oublier cela entraîne des risques et des déformations tant au niveau de notre vie personnelle que communautaire dans l’exercice de notre ministère que l’Église nous a confié. Nous sommes, comme l’a souligné le concile Vatican II, le Peuple de Dieu, dont l’identité est la dignité et la liberté des enfants de Dieu, et dans les cœurs desquels habite l’Esprit Saint comme dans un temple (LG, n. 9). Le saint peuple des fidèles de Dieu est oint de la grâce du Saint-Esprit ; il a donc la capacité de réfléchir, de penser, d’évaluer, de discerner. Nous devons par conséquent être très attentifs à cette onction.

Le cléricalisme éteint la flamme prophétique
À mon tour, je dois ajouter un autre élément que je considère le résultat d’une mauvaise expérimentation de l’ecclésiologie soulevée par Vatican II. Nous ne pouvons pas parler du thème des laïcs, en ignorant l’une des déformations les plus importantes à laquelle l’Amérique latine doit faire face, et à laquelle je demande une attention spéciale, à savoir le cléricalisme. Cette attitude non seulement annule la personnalité des chrétiens, mais a tendance à diminuer et dévaluer la grâce baptismale que l’Esprit Saint a mis dans le cœur de notre peuple. Le cléricalisme conduit à la fonctionnarisation des laïcs, les reléguant au rang de « garçons de course », bloquant ainsi les initiatives diverses, les efforts et l’audace, si je puis dire, nécessaires pour apporter la Bonne Nouvelle de l’Évangile dans tous les domaines de la vie sociale et surtout politique. Loin de booster les différentes contributions, propositions, le cléricalisme éteint lentement la flamme prophétique dont toute l’Église est appelée à témoigner au sein de son peuple. Le cléricalisme oublie que la visibilité et la nature sacramentelle de l’Église appartiennent à tout le peuple de Dieu (cf. LG, n. 9-14), et non seulement à quelques élus et illuminés.

L’exemple de la pastorale populaire
Il y eut un phénomène très intéressant qui a eu lieu dans notre Amérique latine. Je crois même que c’est l’un des rares endroits où le peuple de Dieu était souverain de l’influence du cléricalisme : je parle de la pastorale populaire. Il fait partie des rares espaces où le peuple (y compris ses pasteurs) et le Saint-Esprit se sont retrouvés sans le cléricalisme qui cherche à contrôler et freiner l’onction de Dieu sur eux. Nous savons que la pastorale populaire, ainsi que Paul VI a écrit dans l’exhortation apostolique Evangelii nuntiandi (1), a certainement ses limites. Elle est fréquemment exposée à de nombreuses distorsions de la religion, mais elle continue, quand elle est bien orientée, surtout par une pédagogie d’évangélisation, à véhiculer beaucoup de valeurs. Elle reflète une soif de Dieu que seules les personnes humbles et pauvres peuvent connaître. Elle rend la personne capable de générosité et de sacrifice jusqu’à l’héroïsme, quand il s’agit de manifester sa foi. Elle incorpore un sens profond des attributs inhérents à Dieu : sa paternité, sa providence et sa présence aimante et constante. Elle engendre des attitudes intérieures rarement aussi intenses chez ceux qui n’ont pas de religion : la patience, le sens de la croix dans la vie quotidienne, le détachement, l’ouverture aux autres, la dévotion. Compte tenu de ces aspects, nous l’appelons volontiers « piété populaire », ce qui veut dire, la religion du peuple, plutôt que religiosité… Bien orientée, cette religiosité populaire peut, de manière croissante, constituer pour nos peuples une vraie rencontre avec Dieu en Jésus-Christ. (EN, n. 48) (2). Le pape Paul VI a utilisé une expression que je considère clé : « quand on accepte d’écouter et d’orienter la foi de notre peuple, ses orientations, ses recherches, ses désirs, ses aspirations, on finit par manifester une présence authentique de l’Esprit ». Ayons confiance en notre peuple, en sa mémoire et en son « flair ». Ayons confiance en l’Esprit Saint qui agit en eux et avec eux, et que cet Esprit n’est pas la « propriété » exclusive de la hiérarchie ecclésiale.
J’ai pris l’exemple de la pastorale populaire comme une clé herméneutique qui peut nous aider à mieux comprendre l’action qui peut être générée lorsque le peuple saint des fidèles de Dieu prie et travaille. Une action qui n’est liée à la sphère intime de la personne que pour se transformer paradoxalement en culture ; une culture populaire évangélisée imbibée de valeurs de foi et de solidarité qui peuvent entraîner le développement d’une société plus juste et plus chrétienne. Cette culture bénéficie d’une sagesse particulière, à laquelle nous devrions être en mesure de consacrer un regard reconnaissant (EG, n. 68) (3).

Le berger ne doit pas dicter aux fidèles ce qu’il faut faire ou dire
Partant de là, nous pouvons donc poser la question suivante : « que signifie l’implication des laïcs dans la vie publique ? »
Aujourd’hui, beaucoup de nos villes se sont transformées en véritables lieux de survie. Dans les endroits où la culture du gâchis semble s’être installée, il reste peu de place pour une espérance évidente. Là-bas nous trouvons nos frères ainsi que leurs familles, qui tentent malgré le fait qu’ils soient submergés par ces luttes, de survivre au milieu des contradictions et des injustices, tout en cherchant le Seigneur et voulant en témoigner. Que signifierait pour nous pasteurs le fait que les laïcs s’engagent dans la vie publique ? Cela signifierait chercher les moyens d’encourager, de soutenir et de stimuler toutes les tentatives, tous les efforts déjà déployés aujourd’hui pour maintenir vivantes l’espérance et la foi, dans un monde plein de contradictions, spécialement en faveur et avec les plus pauvres. Cela signifie que nous, pasteurs, nous nous engageons au sein de notre peuple et soutenons à ses côtés la foi et l’espérance ; en leur ouvrant les portes, en travaillant avec eux, en partageant leurs rêves, et en particulier en réfléchissant et en priant avec eux. Nous devons jeter sur la ville et donc tous les espaces où la vie de nos fidèles se développe, un regard contemplatif, un regard de foi, pour y découvrir Dieu qui habite dans leurs maisons, dans leurs rues, sur leurs places… Dieu vit parmi les personnes qui favorisent la charité, la fraternité, le désir du bien, la vérité, la justice. Cette présence ne doit pas être montée de toutes pièces, mais plutôt découverte, dévoilée. Dieu ne se cache pas à ceux qui le cherchent avec un cœur sincère (EG, n. 71) (4). Il n’est point le berger qui dicte aux fidèles ce qu’il faut faire ou dire ; ils le savent aussi bien sinon mieux que nous. Ce n’est point le berger qui doit déterminer ce que les fidèles doivent dire dans telle ou telle situation. En tant que pasteurs, en communion avec nos fidèles, nous ferions mieux de nous demander que faire pour encourager et promouvoir la charité et la fraternité, le désir du bien, de vérité et de justice ; comment faire pour que la corruption ne s’installe pas dans nos cœurs ?

Nous avons généré une élite de laïcs
Plusieurs fois, nous avons été tentés de penser que le laïc engagé est celui qui travaille dans les œuvres de l’Église et/ou dans les activités de la paroisse ou du diocèse et, peu souvent, nous avons réfléchi à comment accompagner un baptisé dans sa vie de tous les jours ; comment, lui, dans son travail quotidien, avec ses responsabilités, il s’engage en tant que chrétien dans la vie publique. Sans le savoir, nous avons généré une élite de laïcs, considérant qu’ils doivent se cantonner à servir les « prêtres » ; nous avons oublié et négligé le fait que le croyant consume souvent son espérance dans la lutte quotidienne pour vivre sa foi. Ce sont des situations que le cléricalisme ne peut pas voir, car il est très préoccupé par la maîtrise des espaces plutôt que par générer des processus. Par conséquent, nous devons comprendre que le laïc, de par sa propre réalité, de sa propre identité, de son immersion dans le cœur de la vie sociale, publique et politique, en étant au milieu de nouvelles formes culturelles, doit sans cesse trouver de nouvelles formes d’organisation et de célébration de la foi. Les rythmes actuels sont si différents (je ne dis ni mieux ni pire) que ceux d’il y a 30 ans ! Cela nécessite la création d’espaces de prière et de communion avec de nouvelles fonctionnalités, plus attrayantes et plus significatives, surtout pour les citadins (EG, n. 73) (5). Il est sûr, et même impossible, de penser que nous en tant que pasteurs, nous devrions avoir un monopole sur les solutions aux nombreux défis de la vie contemporaine. Nous devons au contraire nous tenir aux côtés de notre peuple, en l’accompagnant dans ses recherches et en stimulant cette imagination capable de répondre aux problèmes actuels. Et ce discernement nous devons le faire ensemble avec notre peuple et jamais pour lui ou sans lui. Comme dirait saint Ignace, « selon les lieux, les temps et les gens ». Cela veut dire pas d’uniformisation. On ne peut donner des directives généralisées pour l’organisation du peuple de Dieu dans sa vie publique. L’inculturation est un processus que les pasteurs sont appelés à encourager pour pousser les gens à vivre leur foi là où ils sont et avec les personnes qu’ils côtoient. L’inculturation c’est apprendre à découvrir comment une certaine partie de la population aujourd’hui, dans l’ici et maintenant de l’histoire, vit, célèbre et annonce sa foi, dans le contexte des idiosyncrasies particulières et des problèmes auxquels elle doit faire face, ainsi que toutes les raisons qu’elle a de célébrer. L’inculturation est une œuvre d’artisan et non une série de processus consacrés à la production en usine pour « fabriquer des mondes ou des espaces chrétiens ».

Les laïcs, protagonistes de l’Église et du monde
Deux mémoires dont nous devons prendre soin en notre peuple. La mémoire de Jésus-Christ et la mémoire de nos ancêtres. La foi, on l’a reçue, est un cadeau qui nous est souvent offert des mains de nos mères, de nos grands-mères. Elles ont vécu la mémoire de Jésus-Christ au sein de nos maisons. Il était dans le silence de la vie familiale, où la plupart d’entre nous avons appris à prier, à aimer, à vivre la foi. Il fut à l’intérieur d’une vie familiale qui prit par la suite la forme d’une paroisse, d’une école, de communautés religieuses, et où la foi touchait nos vies et s’y incarnait. Il a également été cette foi simple qui souvent nous a accompagnés dans les différents avatars de notre cheminement. Perdre la mémoire c’est nous déraciner de là où nous venons et, par conséquent, ne plus savoir où nous allons. Cela est vital, quand nous déracinons un laïc de sa foi, de ses origines ; quand nous déracinons le peuple saint des fidèles de Dieu, nous les déracinons de leur identité baptismale et donc nous les privons de la grâce du Saint-Esprit. C’est pareil quand nous nous déracinons de notre rôle de pasteurs auprès de notre peuple, nous nous perdons.
Notre rôle, notre joie, la joie de pasteur est précisément d’aider et d’encourager, comme beaucoup d’autres avant nous, tels que les mères, les grands-mères, les parents, les vrais protagonistes de l’histoire ; ce constat n’est pas dû à notre générosité et à notre bon vouloir, mais à leur droit et leur statut propres. Les fidèles laïcs font partie du peuple saint de Dieu et par conséquent sont les protagonistes de l’Église et du monde, que nous sommes appelés à servir et non à être servis par eux.
Lors de mon récent voyage au Mexique, j’ai eu l’occasion de m’isoler avec la Vierge, me laissant aller à l’admirer. Dans cet espace de prière, j’ai pu lui présenter également mon cœur de fils. À ce moment-même, vous étiez vous aussi auprès de vos communautés. Dans ce moment de prière, je demandais à Marie de ne pas arrêter de soutenir la foi de notre peuple, comme elle l’a fait avec la première communauté de chrétiens. Que la Sainte Vierge intercède pour vous, prenne soin de vous et vous accompagne pour toujours.

(*) Traduction de Kinda Elias pour La DC. Titre, intertitres et notes de La Documentation Catholique.

Notes
(1) DC 1976, n. 1689, p. 1.
(2) Ibid., p. 10.
(3) DC 2014, n. 2513, p. 25.
(4) Ibid., p. 26.
(5) Ibid., p. 26.