jueves, 23 de julio de 2020

La thélogie noire de la libération (1970)


T H É O L O G I E   N O I R E   A U X   E E . U U.,  Bruno  Chenu.

Dieu est-il noir ? Jean-Paul Sagadou .La Crois 20 juin 2020.

Le théologien assomptionniste Bruno Chenu (1942-2003) était fasciné par le peuple noir américain.
Au cours de plusieurs séjours aux États-Unis, il étudia la « théologie noire », inconnue en Europe.
Le P. Jean-Paul Sagadou, religieux assomptionniste burkinabé, retrace son parcours intellectuel et spirituel.


Dans son numéro de novembre 2000, Brèves, le journal interne de Bayard, posait à Bruno Chenu la question suivante : Pourquoi êtes-vous fasciné par les Negro Spirituals ? Et le théologien-journaliste répondait : «Je ne suis pas fasciné par les Negro Spirituals, je suis fasciné par le peuple noir américain, par son histoire. C'est une histoire invraisemblable, étonnante : tellement de souffrance qui débouche sur tellement de foi et de lutte pour la liberté ! Cette tension entre la situation dramatique que vit ce peuple et sa façon de s'exprimer si positive. Qu'il n'y ait aucun mot d'injure et de violence à l'égard des maîtres blancs dans les Negro Spirituals, c'est tout de même surprenant» (1).

BRUNO CHENU A LA «RENCONTRE» DES NOIRS AMERICAINS.
Dans son testament spirituel du 3 juin 2001, Bruno Chenu écrivait : «Tant mieux si les livres que je laisse dans ma bibliothèque peuvent servir à d'autres, notamment pour ce qui concerne les Noirs américains et les théologies du Sud». On connaît les autres chantiers sur lesquels Bruno Chenu s'est investi : l'œcuménisme, l'ecclésiologie, etc. Mais on peut vraiment dire que sa grande passion fut la passion des Noirs américains. Dans le mot «passion» il y a «passio» qui veut dire «souffrance», mais en même temps, les philosophes nous ont appris que rien de grand dans le monde ne s'est fait sans passion. Dans un certain sens, Bruno Chenu a éprouvé lui-même la souffrance dans la rencontre de la souffrance des Noirs américains, et on peut prendre ici le mot «passion», dans un sens philosophique, comme un état intellectuel puissant, qui par l'intensité de ses effets, touche la vie de l'esprit et l'affection de la personne ou, l'inverse est aussi possible, un état d'affection ou d'émotion tellement fort qu'il imprime la vie de l'esprit. Les deux s'articulent chez Bruno Chenu, au moins pour ce qui concerne son rapport avec les Noirs américains.
Passion pour les Noirs. On peut noter que dans l'ensemble, Bruno Chenu aura écrit tout seul 13 livres (Dieu et l'homme souffrant y compris), cinq livres en collaboration et quatre livres de Présentation de choix de textes. Parmi les 13 livres qu'il a écrit tout seul, 3 sont essentiellement consacrés aux Noirs américains, et dans presque tous les autres, y compris ceux écrits en collaboration, on trouve toujours les traces de cette passion de Bruno pour les Noirs. Son tout premier livre, après la publication de sa thèse (1972), est consacré à L'Histoire, à la religion et à la théologie des Noirs Américains (1977). Ensuite vont suivre Le Christ noir américain (1984) et Le Grand livre des Negro Spirituals (2000). D'où lui vient cette passion pour les Noirs américains ?

LE POINT DE DEPART D'UNE «PASSION NOIRE»
Dans les années 1970, alors qu'il préparait sa thèse de doctorat sur «La signification ecclésiologique du Conseil œcuménique des Églises (COE)» (1945-1963), Bruno Chenu a cherché à ouvrir son esprit en allant à l'étranger. Il voulait aussi améliorer son anglais et l'Angleterre ne l'attirait pas trop. Avec l'accord de ses supérieurs, il trouve une bourse par le biais du COE, et il s'embarque pour les États-Unis. Il passera l'année académique 1970-1971 au pays de Martin Luther King. Là, il s'inscrit dans un séminaire protestant américain où il suit un cours sur la religion noire et la théologie noire. Dans ce séminaire, chaque étudiant devait présenter une dissertation théologique. Or, le livre de James Cone, l'un des plus grands représentants de la théologie noire, venait de paraître et s’intitulait La noirceur de Dieu. Bruno décide alors de rédiger sa dissertation à partir de ce livre et à son travail, il donne avec humour (noir ?) le titre suivant : «Lecture blanche d'une théologie noire».
À côté de cet intérêt intellectuel pour les choses noires, Bruno se rend présent dans les lieux de culte des Noirs. Voici comment il décrit l'une de ses participations à un culte le dimanche dans une communauté noire : «C'était un dimanche du printemps de 1971. Désirant vivre un culte dans la communauté noire américaine, je m'étais invité dans une des églises du ghetto d'Hartford (Connecticut). Excellent accueil, comme d'habitude. Je suis le seul Blanc de l'assistance, comme d'habitude. Ce qui me saisit ce jour-là, en dehors du sermon prononcé par une femme noire, c'est le temps de la méditation à la suite d'une lecture biblique. L'organiste joue discrètement sur son clavier quelques notes pour soutenir la prière. Et puis soudain, sans aucun signal, comme sous la poussée d'un besoin intérieur, des hommes et des femmes se mettent à accompagner la mélodie à bouches fermées. Au début, ce n'est qu'un murmure et puis, progressivement, le murmure se fait cantique. Le chant à plusieurs voix s'enfle jusqu'à éclater comme le cri d'un peuple tout entier aux pieds de son Dieu. La meilleure façon d'accueillir la Parole de Dieu est ce saisissement par l'expression musicale jusqu'à ce que la séduction devienne exultation. La communauté noire se découvre croyante quand l'Esprit ébranle son cœur au rythme d'un Spiritual. La confession de foi ne se démontre pas, elle ne s'explique pas, elle se vit comme la communion de tout un peuple chantant sa peine et sa joie, ses épreuves et son espérance» (2).
Bruno Chenu fut touché par le cri de la condition humaine et religieuse qu'il découvre pendant ses séjours aux États-Unis. La justesse de son intuition est qu'il s'agit bien des Noirs et qu'il n'est pas possible de ne pas rendre compte de ce qu'ils ont vécu. Revenu en France à la fin en 1971, il s'aperçoit que personne n'avait entendu parler de «théologie noire». À la faculté de Lyon où il enseigne, Bruno programme un cours pour l'année 75-76 sur les Noirs américains. Ses recherches aboutissent à la publication en 1977 du livre Dieu est noir. Que signifie le qualificatif «noire» que Bruno Chenu applique à la théologie ? À l'évidence, le fait d'être noir est d'abord un trait physiologique. La couleur de la peau renvoie immédiatement à une histoire, à une culture, à une condition. Pour ce qui est des Noirs américains, cette histoire va être marquée par la souffrance et par l'humiliation. Quand Bruno parle donc de théologie noire, il parle de cette théologie formulée par les Noirs au creux de leur expérience, de leur souffrance, de leur espérance, de leur libération.
A la page 290-291 de son livre Dieu est noir, il écrit, comme pour expliquer le choix du titre : «Pour toute la culture occidentale, le blanc évoque la pureté et la grâce, le noir est immédiatement synonyme de souillure et de péché. (…) La perspective biblique n'a pas peu contribué à cette symbolique (…) : le blanc et le noir s'oppose (NT comme le Christ s'oppose à Satan, comme le spirituel s'oppose au charnel, comme le bien s'oppose au mal). Le salut pascal n'est-il pas de passer des ténèbres à la lumière ? Tout combat spirituel doit illuminer et 'blanchir' le croyant. (…) Cette symbolique dominante a eu des conséquences psychologiques catastrophiques pour le Noir. Elle l'ancrait dans un complexe d'infériorité et dans un sentiment de culpabilité. Aussi, la théologie noire renverse les termes et fait du 'noir' le symbole du bien et du 'blanc' le symbole du mal. Cette opération ne traduit pas simplement un désir de revanche mais veut exprimer les méfaits historiques de l'homme blanc que tout honnête homme peut aisément constater. Si la 'blancheur' symbolise quelque chose au niveau de l'histoire réelle, c'est bien l'exploitation et le racisme. Il reste donc aux Blancs à se convertir à la négritude, c'est-à-dire à la souffrance de Dieu dans la vie du monde» (3).
Cette passion intellectuelle est jalonnée ou accompagnée de voyages aux États-Unis. Du 6 au 23 avril 1981, il anime avec le Pasteur Luc Bovon, un voyage œcuménique de 18 français sur les traces de Martin Luther King aux États-Unis (4). En 1998-1999, il passe une année sabbatique aux Etats-Unis où prend forme Le Grand livre des Negro-Spirituals.

BRUNO CHENU ET LES «LIEUX» DE LA SOUFFRANCE DES NOIRS : L'ESCLAVAGE ET LE RACISME
«À l'origine de la présence noire aux États-Unis, écrit Bruno Chenu, il y a bien sûr l'épreuve terrible de la traite des esclaves qui demeure un traumatisme profond dans la conscience des gens de couleurs» (5). Dans ce commerce humain si profitable, «Portugais et Français, Anglais et Hollandais allaient énergiquement se concurrencer, durant près de trois siècles, sans distinction de religions ou de régimes politiques, les pieux catholiques comme les austères protestants, les citoyens de l'Angleterre et de la Hollande si épris de libertés civiques comme les sujets soumis des monarchies absolues» (Marguerite Yourcenar).
Je ne vais pas refaire l'histoire de l'esclavage. Je veux souligner seulement que pour Bruno Chenu, au point de départ de cette souffrance noire, il y a le racisme exprimé d'abord sous la forme de l'esclavage. Tout le monde a entendu parler de cette fameuse traite des esclaves à partir du XVIe siècle. Des millions de Noirs ont été arrachés à leur terre natale, transportés aux Amériques dans les pires conditions et vendus comme du bétail pour l'essor des colonies du Nouveau Monde. «Le racisme a d'abord été l'idéologie nécessaire à justifier l'esclavage et le pouvoir des maîtres blancs sur tout être humain» (6). Au XIXe siècle l'infériorisation des autres « races » (indienne, noire) sera étayée par la biologie et la théologie. Dans L'Église au cœur, Bruno Chenu parlera, à cet effet, de la prostitution de l'Église et de la théologie (p. 93), puisque les hommes ont cherché à justifier le racisme et l'esclavage par des références bibliques : Gn 9, 18-27, la malédiction de Canaan, Lv 25,44-46, Ex 20, 3-17, Lc 7,2-10 (guérison de l'esclave du centurion).
Le racisme se fraye un chemin. La discrimination dans le temple du Seigneur devient insupportable à beaucoup. L'instrumentalisation de la religion sert aux « maîtres » pour renforcer les liens de subordination des Noirs. Par exemple, certains maîtres autorisaient leurs esclaves à aller le dimanche à l'Église du village. Les Noirs étaient au fond, les Blancs devant. Les Noirs vivaient la même célébration, ils écoutaient la même Parole, mais il y avait quand même une prédication spéciale pour les Noirs, où l'on répétait à tout bout de champ la parole de saint Paul : «Esclaves, soyez soumis à vos maîtres» (Col 3,22).
C'est à partir de là que va s'élaborer la conception noire de la souffrance. Celle-ci va surtout s'exprimer dans les chants des Noirs que nous appelons communément les Negro Spirituals.

LA SOUFFRANCE DANS LA TRADITION RELIGIEUSE NOIRE / DANS LES NEGRO SPIRITUALS
La conception religieuse noire de la souffrance s'est élaborée dans un contexte de lutte contre l'esclavage et l'oppression. Que l'on parle des Spirituals ou du Blues, des prières et des sermons des prédicateurs noirs, ou des contes traditionnels, les Noirs n'ont pas réfléchi sur la souffrance indépendamment de la vie, mais à partir de leur engagement, c'est-à-dire de leur lutte pour affirmer leur dignité humaine malgré les conditions déshumanisantes de l'esclavage et de l'oppression. C'est pourquoi, pour comprendre le mouvement dynamique de la pensée noire sur la souffrance noire à mesure que le peuple noir essayait de trouver un sens à sa vie, il est nécessaire d'avoir présent à l'esprit la vie sociale et politique d'où est née la pensée noire. Celle-ci représente la réponse d'une population africaine à sa situation d'esclavage en Amérique du Nord.
En 1978, dans la revue Lumière et Vie, Bruno note : «Si nous voulons comprendre comment un peuple peut exprimer la totalité de sa démarche humaine dans une expression musicale religieuse, il faut nous mettre à l'école de la communauté noire américaine. Parce qu'il porte trace de toutes les blessures et de tous les rêves de la collectivité, le Spiritual atteste les trois grands chemins d'humanisation qui ont mobilisé les esclaves de la chrétienté occidentale. Mieux encore, quand on s'est laissé prendre par lui, le chant réalise ces chemins, il opère le déplacement de la communauté du côté de la liberté, de la rencontre et de la foi. Quand Dieu est à vos côtés, la vie n'est plus tout à fait ce qu'elle était» (7).
Les Negro-spirituals ne sont pas des chants de désespoir. «Ces chants expriment une foi vécue dans un contexte terrible d'exploitation et de négation humaine. Mais ils révèlent aussi la découverte d'une espérance donnée par un Dieu qui promet la libération à son peuple» (8). Les personnages bibliques les plus cités dans les Negro Spirituals sont Moïse, Daniel, Ezéchiel, David et Goliath, Samson. Ceux qui, dans la Bible, dénoncent des situations d'injustice ou d'oppression et préconisent une délivrance prochaine du peuple.
Bruno Chenu voit dans les chants des Noirs «une lave brûlante sortie des entrailles de femmes et d'hommes opprimés». Ces chants sont, à ses yeux, des «joyaux de la piété noire». «Ils constituent d'extraordinaires affirmations du salut et de l'humanité noire au sein des frustrations d'un monde implacable. Ils sont la réponse, tantôt inquiète, tantôt confiante, d'une communauté croyante écrasée à sa situation d'oppression».
Pendant plus d'un siècle l'espoir d'émancipation des esclaves noirs américains va résonner dans les Negro Spirituals, chants de libération inspirés de l'Ancien Testament, où se mêlent détresse, révolte et courage. Dans un livre paru en 1966, Marguerite Yourcenar avait déjà attiré l'attention du lecteur francophone sur le contenu des Negro Spirituals. Elle relevait que dans ces chants, «pour la première fois, le poète afro-américain avait réussi à exprimer, avec une intensité et une simplicité admirables, ses rêves et ceux de sa race, sa résignation, et plus secrètement sa révolte, ses profondes douleurs et ses simples joies, son obsession de la mort et son sens de Dieu» (9).
D'un point de vue proprement théologique, Bruno Chenu est le seul théologien occidental à avoir accordé autant d'attention aux Noirs américains, mêlant recherche historique et réflexion théologique. Je pense qu'il a été vraiment touché par leur souffrance et qu'il a voulu, par sa démarche, montrer l'égalité entre les hommes. Dans ce sens, il est aussi un grand chantre des droits de l'homme, puisqu'il a travaillé à la reconnaissance des Noirs. D'ailleurs, il situe le statut des Negro Spirituals du côté des droits de l'homme en affirmant que «cette musique est l'honneur de l'humanité parce qu'elle est le cri de sa conscience».
Disons-le : Bruno Chenu «ose et accomplit une visite lucide et sereine des zones sombres de la conscience humaine et chrétienne au fil de l'histoire de l'asservissement de l'homme par l'homme» (10). C'est une parole décisive qu'il livre et qui «appartient en propre à l'humanité comme telle parce que ce dont il est question n'est rien moins que la dignité de la personne, seule ou en groupe, qui s'affirme envers et contre tous les dénis de reconnaissance, fût-ce les plus inattendus : ceux qui par leurs exemples ont pu se loger dans une conscience pourtant dite chrétienne, mais aveuglée par les conditionnements mondains» (11).
Bruno Chenu se situe donc à «un haut-lieu d'humanité et d'anthropologie pour laisser retentir une parole multiple sur la condition humaine» (12). Dans L'Église au cœur, il souhaitait que l'Église soit «la sentinelle de Dieu pour les nations» (p.18). Il me semble que c'est ce que lui-même a essayé d'incarner en se faisant la voix des sans voix.

BRUNO CHENU : LA VOIX DES SANS VOIX (ET VOIE)
Ce n'est pas par goût d'exotisme que Bruno Chenu s'est consacré pendant de longues années à l'étude des Noirs américains. Il a voulu être la voix des sans voix, parce que pour lui, reprenant des mots de Dom Helder Camara, «la voix des opprimés est la voix de Dieu» (L'Église au cœur, p. 132). Dans l'introduction au Grand livre des Negro Spirituals, il écrit : «J'ai voulu donner la priorité à la parole des esclaves, ou des anciens esclaves. Certes, cette parole s'est souvent perdue dans les ténèbres de l'histoire et n'a pas laissé de trace repérable (…) C'est la parole de l'esclave d'abord qui retentira dans ce livre», la parole de «ceux qui ont été considérés comme les moindres d'entre les humains» (13).
Il a voulu sortir le peuple noir de sa «solitude». «Au long de l'exploitation esclavagiste, écrit Bruno, le Noir a ressenti douloureusement sa solitude. Le terme 'seul' revient constamment dans les chants» (14). Il cite les paroles d'un chant :
"Dans la vallée, Sur mes genoux,/ Sous mon fardeau Si seul, si Seul."
«Ne me laissez jamais seul.» - «Perdu là-bas dans ma solitude.»
L'esclave s'éprouve «comme un enfant sans mère, tout seul, tout seul, avec sa peine amère». Quand on considère tout le travail que Bruno Chenu a réalisé sur les Noirs américains, on peut dire qu'il les a fait sortir de leur «solitude». Il a été la voix des Noirs dans le monde francophone pour faire connaître leur souffrance et la force spirituelle qui en a résulté. Peut-être que pour parler comme les théologiens, il y a quelque chose de l'ordre d'une théologie de la Croix qui s'exprime, en creux, dans la pensée de Bruno Chenu. Une théologie du point de vue des opprimés.

UNE THEOLOGIE DE LA CROIX
En effet, tous les lieux qui ont façonné la réflexion théologique de Bruno Chenu sont des lieux marginaux, les théologies du Sud, les peuples noirs etc. Son expérience de l'Église, c'est l'expérience des multiples visages de l'Église, et l'Église pour lui, c'est avant tout les plus simples, les plus pauvres. Par l'Église, les plus humbles se sentent reconnus. Par l'Église, la Parole de Dieu retentit comme la justification de toutes les religions.
Pour les esclaves noirs américains, on peut dire que la véritable raison de leur conversion est liée au fait que la religion africaine ne rendait pas compte de leur souffrance alors que le christianisme l'intégrait. Des siècles après, leur souffrance trouvait sens dans la Passion du Christ. Elle n'est pas simplement doloriste mais traduction d'une espérance : Dieu n'a pas laissé au tombeau son fils Jésus.
«Écoutons cette histoire qui avait retenu l'attention de Bruno Chenu : c'est le récit d'une grand-mère, ancienne esclave, à ses petits-enfants, au début du XXe siècle, au moment où la migration vers les villes américaines procurait plus de désillusions que de promotion sociale (formation des ghettos) : «Une ou deux fois par an, le maître de la plantation permettait à un esclave prédicateur d'une plantation voisine de venir prêcher à ses esclaves. Selon une vieille tradition, le prédicateur faisait toujours culminer son sermon dans l'évocation dramatisée de la crucifixion et de la résurrection de Jésus. Il insistait sur l'agonie dans le Jardin de Gethsémani et décrivait Jésus suspendu à la Croix ; il recréait les sept dernières paroles du Christ et l'image de sa mère Marie se tenant au pied de la Croix, il visualisait le soleil s'obscurcissant et les soldats paralysés de peur au tombeau vide. Alors, le prédicateur était épuisé mais son assemblée se sentait grandie et ragaillardie pour affronter la semaine suivante. À la fin de son sermon, le prédicateur marquait un temps d'arrêt et fixait son regard sur chaque visage. Alors il leur disait avec toute la force dont il était capable : 'Souvenez-vous, vous n'êtes pas des nègres ! Vous n'êtes pas des esclaves ! Vous êtes les enfants de Dieu !'»
Ce Dieu-Père veut la liberté de ses enfants. Dans une situation inextricable, Il est celui qui ouvre un chemin. Aussi, à sa suite, l'Église doit s'engager pour la libération de toute servitude. Voici la réflexion de Bruno Chenu en 1977 : «L'Église doit sortir de ses murs et aller habiter là où des mères sont en pleurs, où des enfants ont faim et où des pères sont sans travail. L'enjeu est la survie dans une société qui a défini la noirceur comme corruption et dégradation. Jésus n'est pas mort dans un sanctuaire, pas plus que Martin Luther King. C'est là où la souffrance était la plus profonde et la douleur la plus vive que Jésus a vécu et souffert, qu'il est mort et ressuscité. Tant que des enfants innocents continueront à mourir dans des incendies de taudis, tant que des familles devront passer l'hiver sans chauffage, sans eau chaude et sans nourriture, tant que des êtres humains seront contraints de vivre avec les rats et les cafards, l'Évangile jugera et condamnera le désordre de la société. L'Église a une responsabilité, non pour tourner le regard des hommes vers la vie future quand les souffrances cesseront, mais pour les aider à surmonter leur impuissance, à se relever et à prendre leurs vies en mains.» Bruno invite donc l'Église, c'est-à-dire chacun de nous, à fixer le regard sur le Christ, le Serviteur souffrant.

PISTER LA PRESENCE DU SERVITEUR SOUFFRANT.
J'ai retrouvé un texte de Bruno Chenu dans ses archives où il écrit : «L'urgence est de pister la présence du Christ serviteur souffrant et de le rejoindre au lieu où il nous parle : dans la communauté des déshérités» (Br. Chenu, «Naissance d'une théologie politique», texte inédit, Archives Chenu, Juvisy).
Ces mots sont très importants quand on réalise combien Bruno Chenu a été marqué par la notion de «trace» puisée dans la philosophie de Levinas, tout comme la notion de visage. Je vous renvoie à son livre La trace d'un visage. On peut se permettre d'écrire que Bruno Chenu a approfondi sa foi au Christ en pistant sa présence dans les chants des Noirs américains. Il n'a pas beaucoup écrit sur les effets qu'a produits sa recherche théologique sur sa foi. En fait, il n'avait pas besoin de l'écrire. Nous percevons assez aisément les traces de cette influence. On ne peut pas s'attacher à une théologie modelée par une longue histoire d'esclavage et d'humiliation sans être touché soi-même dans son être le plus profond, dans son être théologal. On ne peut pas travailler une théologie plus proche du Vendredi saint que du dimanche de Pâques, sans approfondir soi-même et pour soi-même une théologie de la Croix. Je crois que cette «option préférentielle» pour les Noirs a renforcé en lui la conviction que Dieu a définitivement pris le parti pour les écrasés et les opprimés.
En se rendant pour la première fois aux États-Unis en 1970, Bruno Chenu a été plongé «dans l'univers religieux des Africains américains». Le choc a été si puissant qu'il avait décidé cette même année qu'il devait consacrer ses énergies à une recherche plus profonde.
Dans la préface qu'il écrit pour le roman de Ralph Ellison Homme invisible, pour qui chantes-tu ?, Robert Merle affirme que la liberté des Noirs, enchaînés à leur travail, n'est pas détruite : «L'esclave noir dans le champ de coton, ou le forçat noir cloué à la route qu'il construit, n'ont de libre que la voix. Enchaînés, surveillés nuit et jour par (…) les chiens, la seule évasion possible est vocale. Ils chantent, blues nostalgiques ou spirituals gémissants, et s'évadent de leur condition en se la racontant à eux-mêmes» (15). 
Celui qui chante s'exprime à la première personne, il est le sujet de sa prière et de son cri. Et il s'exprime dans la mémoire collective de la Parole biblique. Sa souffrance est bien la sienne, elle est aussi celle de son peuple et se reconnaît dans celle du peuple de Dieu. La figure du serviteur souffrant qu'il incarne à nouveau lui donne une portée universelle. Celui qui chante raconte la Bible comme sa propre vie.
Bruno Chenu peut lui-même écrire : «Car le Nazaréen a souffert dans sa chair, comme eux, la condition de banni et d'exclu, jusqu'à être exécuté sur une croix. Une identification mutuelle extraordinaire s'est dès lors créée entre le Christ et l'esclave : par sa Passion, le Christ est proche de l'esclave qui souffre des mauvais traitements de ses maîtres. L'esclave, lui, cherche à vivre intimement la présence de Jésus dans les champs de coton du sud des États-Unis où il trime sous le fouet. La Passion du Christ est aussi celle de l'esclave» (16).
La prière qui appelle au secours, la plainte de tant de souffrances comme l'émerveillement d'être dans la main de Dieu se disent par une identification spontanée, toute naturelle, aux personnages et aux situations bibliques. B. Chenu commente : «Christ est mort pour chacun, personnellement. Dès lors, le christianisme offre une explication à la souffrance à travers la figure du Christ qui ne se trouve pas dans les religions africaines. Il permet d'intégrer le négatif de l'histoire dans une dynamique de libération, celle de l'Exode» (17).
Une prise de conscience s'est effectuée chez un certain nombre de chrétiens que l'on peut baliser ainsi : la souffrance assumée par le Christ ouvre pour l'esclave un chemin d'espérance. Même si la résurrection n'occupe pas l'essentiel des thèmes des Negro Spirituals, elle est le point culminant de la solidarité de Dieu avec l'innocent injustement condamné. Elle est aussi le symbole de la libération ultime : «L'ange a roulé la pierre!» ("The Angel Roll The Stone Away"). Et le peuple noir acquiert ainsi la certitude qu'il ne demeurera pas éternellement dans le tombeau de l'esclavage...

CONCLUSION : AU CŒUR DE L'ÉGLISE POUR S'OCCUPER DE CEUX QUI SONT A LA MARGE !
À la page 91 de son livre sur les Negro Spirituals, Bruno Chenu cite un dialogue émouvant d'un ancien esclave avec son maître : « Charlie, vous rappelez-vous quand je vous lacérais le dos ? - Oui, Maître. - M'avez-vous pardonné ? - Oui, je vous ai pardonné… Je vous aime comme si vous ne m'aviez jamais donné un coup, car le Dieu que je sers est un Dieu d'amour et je ne peux aller à son Royaume avec la haine au cœur».
«Désormais, écrit Bruno Chenu, pour connaître le peuple noir américain, il faut connaître ses chants religieux. Ils sont les psaumes d'un peuple en exil qui se lamente, qui implore, qui loue, qui remercie son Dieu au milieu de son dur combat. Ils sont l'espace libéré d'un peuple opprimé qui refuse à tout jamais d'enchaîner son cœur. Une fois de plus, ils prouvent que l'on peut lacérer le corps mais qu'on ne peut détruire l'âme. Ils sont une Bible mise en musique par des gens illettrés, mais burinés et purifiés par l'épreuve. Ils sont la revanche de l'humanité quand on croit l'avoir ravalée plus bas que terre. Ils sont l'armure spirituelle d'un peuple meurtri mais jamais désespéré. Et ils ne prêchent pas une doctrine mais racontent une histoire simple, édifiante, exemplaire. À travers eux, c'est toute une communauté qui affirme son existence devant Dieu et devant les hommes» (p. 167).
«On peut croire que les situations d'oppression avilissent l'homme, le réduisent à l'état de bête -ce qui était le projet du système. Mais alors même que l'on pense que l'homme n'est plus rien, l'Histoire prouve qu'il y a toujours cette conscience humaine qui fait que, rabaissé plus bas que terre, l'être humain se redresse, affirme qu'il est enfant de Dieu, qu'il a la même dignité que le propriétaire blanc, et donc qu'il a droit à la liberté. Les chants des Negro Spirituals sont des chants religieux, mais ils sont d'abord le cri de la conscience dans une situation d'oppression» (18).
Il me semble que cela correspond à la trajectoire même de la vie de Bruno Chenu. En 2001, Bayard publiait un livre intitulé Les défis de l'Église au XXIe siècle. Il s'agit d'un collectif où la question suivante est posée à des grands témoins, théologiens et hommes spirituels ayant marqué le XXe siècle : Quelle est la question la plus importante pour le XXIe siècle ? Voici comment l'un d'eux, le théologien dominicain belge Edward Schillebeeckx, répondait : « Pour moi, le problème crucial qui continue de se poser à l'aube de ce XXIe siècle est la réalité des gens qui sont menacés et qui souffrent dans leur personne. Les hommes souffrent à cause de la maladie, de l'injustice sociale, du mal qu'ils se font réciproquement et comme on l'a vu par le passé, ils ont connu l'holocauste massif incroyable et de nombreuses formes de génocides se perpétuent. Cette réalité est grave et me place devant le problème de la nature du rapport qu'il peut y avoir entre l'humanité qui souffre et l'Église" (19).
En y pensant, il me semble que d'un point de vue théologique, cette question du rapport entre l'humanité qui souffre et l'Église est vraiment au cœur de la vie et de la pensée de Bruno Chenu. Beaucoup d'hommes et de femmes se sentent exclus de notre l'humanité, refoulés aux marges de la société, de l'Église. De l'expérience profondément humaine de ces personnes émergent des questions. Questions auxquelles Bruno Chenu s'est rendu sensible.
Dans L'Eglise au cœur. Disciples et prophètes, après avoir posé les repères institutionnels de sa réflexion, «les lieux d'où il part» comme disent les théologiens, il écrit : «Ma géographie personnelle est à jamais traversée par les ghettos noirs américains et les bidonvilles africains. Ma vie n'aurait pas de sens en dehors de ces liens d'amitié et de solidarité». (20)


Notes :
1. Cf. «Bruno Chenu nous ouvre Le grand livre des Negro Spirituals», in Brèves. Le journal interne de Bayard, n° 277, novembre 2000, p. 12. (Propos recueillis par Claude Raison).
2. B. Chenu, «Le spiritual, un peuple en mouvement vers son Dieu» in Lumière et vie, n°140, novembre-décembre 1978, pp. 65-71.
3. B. Chenu, Dieu est noir, p. 290-291.
4. Au cours de ce voyage le groupe qu'il accompagne rencontre la communauté noire de New York, Bruno rencontre personnellement James Cone, le chantre de la théologie noire.
5. B. Chenu, «L'Église noire, une libération ?», in Notre Histoire, n° 182-183, novembre-décembre 2000.
6. B. Chenu, L'Église au cœur, p. 89.
7. B. Chenu, «Le spiritual, un peuple en mouvement vers son Dieu», op. cit, p.71
8. Ibidem.
9. Cité par G. H. Masson, «Le grand livre des Negro Spirituals. L'aventure d'une libération et d'une foi», in La Vie Spirituelle, décembre 2000, p. 602
10. G. H. Masson, «Le grand livre des Negro Spirituals. L'aventure d'une libération et d'une foi », in La Vie Spirituelle, décembre 2000, pp. 601-604.
11. G. H. Masson, «Le grand livre des Negro Spirituals. L'aventure d'une libération et d'une foi», in La Vie Spirituelle, décembre 2000, p. 602.
12. G. H. Masson, «Le grand livre des Negro Spirituals. L'aventure d'une libération et d'une foi», in La Vie Spirituelle, décembre 2000, p. 602.
13. Cf. Le Grand livre des Negro-Spirituals, p. 11-12.
14. B. Chenu, «Le spiritual, un peuple en mouvement vers son Dieu», op. cit, p. 69.
15. Traduit de l'américain par Magali et Robert Merle, Paris, Grasset, 1969.
16. «Noir c'est noir, il y a toujours l'espoir», Michel Cool interroge Bruno CHENU, in Témoignage Chrétien, n° 2938, Jeudi 26 octobre 2000.
17. B. Chenu, «L'Eglise noire, une libération ?», in Notre Histoire, n° 182-183, novembre-décembre 2000.
18. «Bruno Chenu nous ouvre Le grand livre des Negro Spirituals », in Brèves. Le journal interne de Bayard, n° 277, novembre 2000, p. 12. (Propos recueillis par Claude Raison).
19. Les défis de l'Eglise au XXIe siècle (dir. Francesco STRAZZARI), Trad. de l'italien par Simone Rouers, Ed. Bayard, 2001, 194p.
20. B. Chenu, L'Eglise au cœur, p. 8-9.


Vivre notre bapteme comme pretres, prophetes et rois


LA  SPIRITUALITÉ DES BAPTISÉS
A partir de l’expérience des CEBs d’Amérique Latine

« La spiritualité est comme un feu qui nous soulève pour la libération »

INDICE
Introduction
1e partie : Le sacerdoce des baptisés doit se substituer au sacerdoce ordonné (septembre de 2019).
2e partie : La triple mission de chaque baptisés et de toute la Communauté chrétienne.
-        Comme personnes individuelles nous sommes des ‘prophètes’ et comme CEBs nous sommes un ‘prophétie’ vivante.
-        Comme personnes individuelles nous sommes des ‘prêtres’ et comme CEBs nous sommes le ‘sacerdoce’ de Jésus-Christ.
-        Comme personnes individuelles nous sommes des ‘rois-bergers’ et comme CEBs nous sommes le Royaume de Dieu.
Annexe : Lettre Encyclique du pape Paul VI ‘L’Annonce de l’Evangile’ (1975 – Extraits).
3e partie : « Chère Amazonie », Lettre pleine d’espérance du pape François sur l’Amazonie. (Commentaires).

Guayaquil, Pedro Pierre, avril de 2020.
‘CEBs’ signifie ‘Communautés Ecclésiales de Base’.


INTRODUCTION

La spiritualité chrétienne commence avec de notre baptême quand on nous a dit, en nous marquant avec le chrisme sur nos fronts: "Vous êtes prophète, prêtre et roi-berger." En plus d'être individuelle, la spiritualité a une dimension collective. En tant que CEB, nous sommes une prophétie vivante, nous sommes le sacerdoce du Christ et nous sommes le Royaume de Dieu. Nous allons développer ce thème selon 3 aspects:
1.      Le sacerdoce baptismal doit remplacer le sacerdoce ordonné. Septembre 2019.
2.      La spiritualité qui nous guide est dans la triple mission qui part de notre baptême.
3.      "Chère Amazonie": Lettre pleine d'espoir du Pape François sur l'Amazonie. Mars 2020.



1e partie : LE SACERDOCE DES BAPTISÉS DOIT SUBSTITUER LA SACERDOCE ORDONNÉ
Aout 2019.

1. REVENIR AU SACERDOCE DES BAPTISÉS.

Il y a quelques jours, le pape François a reçu une délégation de l'Association internationale des prêtres mariés. D'un autre côté, il y a le Synode sur l'Amazonie d'octobre prochain: le Document de travail fait plusieurs propositions face à la pénurie de prêtres: ordonner prêtres des hommes mariés et ordonner diacres des femmes. Peut-être devrions-nous approfondir ces aspects parce que d'autres alternatives sont déjà en marche: pourquoi continuer avec les prêtres ordonnés et tous les problèmes qui sont apparu, si on peut résoudre les besoins avec le sacerdoce baptismal ...? Le pape François a déclaré que, sur ces questions, il était ouvert aux propositions des conférences épiscopales des différents pays et continents.
Voici quelques réflexions qui confirment de nouvelles formes d'expression du sacerdoce.

1.      La crise de notre Église, principalement du clergé, est très grave. Les temps changent rapidement et si nous restons dans le passé, nous nous retrouverons avec des communautés chrétiennes marginalisées et marginalisées.

2.      Concernant la prêtrise, je demande: la prêtrise ordonnée telle que nous la connaissons est-elle nécessaire? Je réponds personnellement non. Il me semble que pour éliminer "le cancer du cléricalisme" (le pape François), il faut éliminer le sacerdoce ordonné: c'est l'une des plus grandes conséquences de l'assimilation de la hiérarchie à l'Empire romain à l'époque de Constantin il y a 17 siècles. Le sacerdoce ordonné a épousé le pouvoir impérial: "L'argent et le pouvoir corrompent". Nous sommes donc dans ce que nous avons préparé !

3.      Doit cesser la marginalisation et l’élimination du sacerdoce baptismal par le clergé… depuis l’empereur Constantin. Maintenant, le cléricalisme est plus évident et destructif que jamais.
-        L'expérience latino-américaine des CEBs nous fait voir que les prêtres ordonnés sont «un parmi d’autres» entre les baptisés. Ceux-ci peuvent très bien assumer leur sacerdoce qui inclut le nôtre.
-        Le Concile Vatican II nous a dit que le sacerdoce baptismal était le premier (LG 9) et que le sacerdoce ordonné était à son service: un grand pas pour l'époque, qui à mon avis n'a pas été mis en pratique. On entend dire que le prêtre ordonné, étant un sacrement, est garant et confirmation du sacerdoce baptismal.
-        Le sacerdoce baptismal n'a besoin ni de garantie ni de confirmation, il suffit de le laisser s'exprimer pour ce qu'il est: un sacerdoce complet, tel qu'il était pratiqué dans les premières communautés chrétiennes et tel qu'il se pratique dans les groupes chrétiens où, parmi les baptisés, "la Cène du Seigneur" est célébrée sans la présence d'un prêtre ordonné.

4.      L’ordination d’hommes mariés, selon certaines propositions du Synode sur l'Amazonie, sont un palliatif qui reporte le problème sans le résoudre, car il retombe dans les limites actuelles. Pourquoi, une fois pour toutes, les baptisés ne sont-ils pas reconnus, hommes et femmes, avec leur sacerdoce originel qui leur permet de présider à la «fraction du pain», ou l'Eucharistie, comme le faisaient les premiers chrétiens?

5.      Il en va de même pour l'ordination de femmes prêtres ...
-        Disons d’abord que c’est une grande injustice que les femmes aient été éliminées en tant que prêtres, car elles ont présidé la «Cène du Seigneur» dans l’Eglise primitive. C'est un autre outrage du cléricalisme patriarcal.
-        La dite justification de réserver le sacerdoce exclusivement à des hommes parce que Jésus était un homme est une erreur, car être un homme n'est pas un caractère essentiel pour la prêtrise. Jésus était juif: selon la même logique, seuls les juifs pouvaient être acceptés comme prêtres catholiques !
-        Dans les premières communautés, les femmes ont célébré la « fraction du pain – Eucharistie » dans les maisons, et on nous dit même récemment dans un livre, qu'elles ont assumé la charge de l'évêque, selon diverses mosaïques des premiers siècles.
-        Le sacerdoce actuellement ordonné arrête l'avancée de l'Église et de sa mission de libération en raison de son cléricalisme, de son patriarcat, son autoritarisme ... et d'autres abus scandaleux. L'ordination de femmes avec les mêmes caractéristiques que le sacerdoce ordonné actuel, aggraverait la situation des femmes et des communautés chrétiennes.
-        Il en va de même pour l'ordination des femmes diacres. Le diaconat actuel n'est pas baptismal, mais clérical : le diacre remplace presque toujours le prêtre ordonné. Il ne valorise pas les femmes mais continue de la reconnaître comme inférieure aux hommes.

CONCLUSION
La proposition alternative reprend le vrai traditionalisme: réévaluer et exprimer la dimension sacerdotale de tous les baptisés comme aux origines. Nous devons prendre conscience de l’identité profonde de notre baptême et l'exercer dans son intégralité, c'est-à-dire, entre autre, présider l'Eucharistie.
Ainsi s’ouvrirait la voie vers un avenir en toute fidélité au Mouvement de Jésus pour le Royaume. De plus en plus, il est admis que Jésus n'a pas ordonné de prêtres ni n'a fondé aucune Église. Jésus est venu pour le Royaume. Si, jadis, les chrétiens pensaient que le sacerdoce ordonné et les Églises telles qu'ils se sont organisés jusqu'à présent pouvaient être des moyens adéquats de construire le Royaume, nous constatons aujourd'hui que cette réalité existe de moins en moins et est une erreur. Il est temps de revenir aux pratiques de Jésus et des premières communautés chrétiennes. Le Synode pour l'Amazonie est une bonne occasion de surmonter le cléricalisme et l'enfermement ecclésial aujourd'hui.

Nous sommes dans une nouvelle ère: "A vin nouveau, outres neuves!" (Marc 2:22).


2. L’ÉGLISE – PEUPLE DE DIEU AUX MAINS DES LAÏQUES

Dans nos Églises depuis le Concile Vatican II, le protagonisme des laïcs s’est exprimé avec force, en particulier de la part des femmes, malgré les limites imposées par le clergé et l'organisation institutionnelle de l'Église. Cette place des laïques doit être généralisée pour une plus grande fidélité à Jésus, une plus grande croissance ecclésiale et une plus grande gloire de Dieu. C'est ainsi qu’apparaitra l’Eglise telle qu’elle est définie par le Concile Vatican II: « Peuple de Dieu ».

A. LES 3 MALADIES INDIQUEES PAR MARTÍN LASARTE DURANT LE SYNODE DOIVENT ETRE GUÉRIES

1.      L'anthropologie religieuse, ou réduction de l'évangélisation aux services sociaux, sera combattue par la centralité de Jésus à la fois dans la vie personnelle et dans l'Église.
2.      Le moralisme social, ou réduction de l'évangélisation à un catalogue de lois à accomplir, sera combattue pour la priorité absolue du Royaume.
3.      La sécularisation, ou réduction de l'évangélisation à un humanisme sans spiritualité, sera combattue par le renforcement de la spiritualité chrétienne et du dialogue interculturel.

B. LES LAÏCS SERONT LES PROTAGONISTES DE CES TROIS CONVERSIONS

-        La centralité de Jésus unit l'action à la contemplation et la foi à l'engagement politique. Jésus est le modèle de tous les évangélisateurs.
-        La priorité absolue du Royaume oblige à tout mettre, dans l’Eglise, au service de sa croissance. "Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et le reste viendra en plus" (Matthieu 6.33).
-        L'interculturalité ou dialogue et partage des cultures, consiste à se concentrer sur la spiritualité chrétienne qui place les pauvres comme sujets à la fois dans l'Église et dans la société. Grace au dialogue et au partage avec d’autres cultures, nous nous enrichissons des spiritualités des autres religions.

C. JÉSUS ÉTAIT LAÏC ET, DANS SON MOUVEMENT POUR LE ROYAUME, LES LAÏQUES DOIVENT ÊTRE SES PROTAGONISTES.
Les ministères à développer partent de notre baptême qui nous fait prophètes, prêtres et rois-bergers. De cette triple identité naissent 3 classes de ministères.

1.      Les ministères prophétiques sont au service de la parole. Celui-ci, d'une part, en paroles et en actes, dénonce tout ce qui empêche ou détruit le Royaume de Dieu et, d'autre part, annonce tout ce qui le révèle et le favorise.
2.      Les ministères sacerdotaux sont au service de la relation individuelle et collective avec Dieu: prières, célébrations, sacrements, dévotions populaires ...
3.      Les ministères royaux, c'est-à-dire les ministères pastoraux, sont au service de l'organisation, de la fraternité, de la justice, de la participation politique, des droits de l'homme, des peuples et de la nature.

Malgré les fortes résistances, ce processus d'une Eglise - Peuple de Dieu avance. Les laïcs sont le cœur de l'Église. Il faut ajouter plus de collaborateurs laïques soucieux du présent et de l'avenir que du passé. Dieu est toujours nouveau et son Esprit ne cesse de fonctionner.


2e  partie : LA SPIRITUALITÉ PROVIENT DE NOTRE TRIPLE MISSION DE BAPTISÉS

Revu en avril de 2020.

La triple mission que nait de notre baptême nous donne ‘l’esprit’ dans lequel nous devons travailler. Nous sommes tout à la fois prophètes et prophétie, prêtres et sacerdoce, et rois-pasteurs et Royaume de Dieu.

A. COMME PERSONNES INDIVIDUELLES NOUS SOMMES ‘PROPHETES’ ET COMME CEBs NOUS SOMMES UNE ‘PROPHÉTIE’

1.      INDIVIDUELLEMENT NOUS SOMMES PROPHETES

a)     Apprendre à discerner
-        Le prophète est celui qui parle, mais pour parler, il faut savoir discerner. C'est pourquoi Jésus a invité ses disciples à discerner «les signes des temps», expression reprise par le pape Jean 23 au début du Concile Vatican II (1962). "Vous connaissez et interprétez donc les aspects du ciel, et n'avez-vous pas la capacité pour les signes des temps?" (Matthieu 16.3). Nous apprenons à discerner en regardant, en écoutant, en réfléchissant, en priant, en lisant ... et surtout grâce à la Communauté.
-        Le prophète n'est pas celui qui devine le futur, mais celui qui regarde plus loin et plus profondément, pour comprendre le sens de la vie et des événements: Où est le Royaume? Où est-il absent et détruit ? Où sont les appels de Dieu? Où la résurrection de Jésus est-elle rendue présente aujourd’hui? Où travaille l'Esprit? Et moi où suis-je?

b)     Mission du prophète
-        Nous sommes tous des prophètes: les pères et mères avec leur famille, nous entre frères, amis, voisins, professionnels, dans les activités ecclésiales et sociales ... Telle est notre vocation et notre première mission.
-        Le prophète a trois tâches devant lui:
1. Reconnaitre la voix de Dieu dans la vie de tous les jours
2. Dénoncer ce qui appauvrit, empêche et détruit le Royaume de Dieu.
3. Annoncer ce Royaume en paroles, en actes, en témoignage de vie et dans nos célébrations.

Conclusion: En tant que prophètes, nous sommes une voix d'alerte, de dénonciation et d'annonce, par rapport au Royaume.

2.      EN TANT QUE CEBs, NOUS SOMMES UNE PROPHÉTIE VIVANTE
-        Les autres nous regardent et écoutent non seulement en tant que personnes, mais aussi en tant que communauté: ensemble, que faisons-nous, que disons-nous, que montrons-nous?
-        Demandons-nous: quel est le témoignage collectif que nous donnons pour nos actions communes, nos activités communautaires, nos positions collectives ...? En tant que CEBs, sommes-nous la voix de Jésus, la présence du Royaume de Dieu, la manifestation d'une Église renouvelée et d'une nouvelle société?

B. COMME PERSONNES INDIVIDUELLES NOUS SOMMES ‘PRETRES’ ET COMME CEBs NOUS SOMMES UNE PROPHÉTIE

1.      JESUS FUT LAÏQUE TOUTE SA VIE
Il n’était pas de la tribu des ‘lévites’ ni faisait partie des prêtres du Temple de Jérusalem.

a)     Le sacerdoce dans le peuple de Jésus
-        Aux origines, le père de famille assumait le rôle de prêtre, dans sa maison: il priait, annonçait la Parole de Dieu (les Écritures), vivait la volonté de Dieu…
-        Lorsque les Hébreux sont sortis de l'esclavage en Égypte, s’est mise en place une organisation sacerdotale. Les responsables de la foi, de la prière et des actes religieux étaient les hommes de la tribu Lévi, appelés «Lévites». Notons que les Lévites n'avaient aucune propriété; ils étaient entretenus par la dîme et les prémices.
-        Avec la construction du temple de Jérusalem (vers l'an 1.000 avant Jésus), une nouvelle organisation sacerdotale est apparue. Après l'exil babylonien (vers 500 ans avant Jésus), ils ont entrepris la reconstruction de Jérusalem et de la Palestine… et ils ont gardé le pouvoir, l’argent et les privilèges.

b)     Le sacerdoce dans le Nouveau Testament
-        Le mot ‘prêtre’ appliqué individuellement aux premiers chrétiens n’apparait pas dans le Nouveau Testament. Les auteurs parlent collectivement d’une Communauté sacerdotale.
-        Les apôtres ne sont pas appelés "prêtres", afin de ne pas être identifiés aux prêtres juifs qui avaient participé à la condamnation à mort de Jésus.
-        Seulement dans les dernières lettres de Paul (ou plutôt de ses disciples), les coordinateurs des Communautés sont appelés «évêques et prêtres».
-        Pour les célébrations de la «fraction du pain» ou de l’eucharistie, le ‘maitre ou la maitresse de maison’, homme ou femme indistinctement, présidait la ‘fraction du pain’.

c)      Le sacerdoce tel que nous le connaissons est développé avec l'empereur Constantin au IIIe siècle de notre ère
-        Les évêques et les prêtres alliés de l’empereur sont devenus responsables du culte et des actes religieux lorsque le christianisme est devenu la religion de l'Empire romain avec Constantin.
-        Les empereurs leur ont donné les temples, les vêtements, les privilèges de la religion païenne et le droit de l'empire.

Conclusion: Avec Constantin, il y a eu, scandaleusement, un pacte de la hiérarchie chrétienne avec ceux qui avaient condamné Jésus à mort sur une croix. Au même moment ils sont retournés au sacerdoce juif de l'Ancien Testament. Telle est aujourd’hui encore la réalité du sacerdoce ordonné !!

2.      LA VIE DE JÉSUS AVAIT UN CARACTÈRE SACERDOTAL
C'est le thème de la Lettre aux Hébreux.
-        Dans la Lettre aux Hébreux, Jésus est reconnu prêtre, ou plus exactement ‘Grand Prêtre’ : "Nous avons un souverain sacrificateur exceptionnel" (5,14): "Vous êtes prêtre pour toujours à l'image de Melchisédech" (5,6 et Genèse 14,18-20).
-        C'est la vie et la mort de Jésus qui avaient un caractère sacerdotal parce que ce fut une offrande agréable à Dieu. C'est pourquoi Paul a écrit aux Romains: "Offrez-vous comme un culte agréable à Dieu" (12,1).
-        La lettre aux Hébreux affirme que Jésus a l’exclusivité de ce sacerdoce et que son offrande sur la croix est unique et ne peut pas se répéter. Par sa vie, sa mort et sa résurrection, Jésus nous a ouvert la voie du salut: c'est le Royaume. Jésus nous sauve si nous suivons son exemple.
-        L'adoration que Dieu veut est notre façon de vivre communautaire agréable à Dieu, c'est-à-dire, être sa famille, une fraternité universelle.

3.      INDIVIDUELLEMENT NOUS SOMME TOUS PRETRES
-        Jésus nous a fait découvrir que nous sommes directement liés à Dieu, sans le besoin d’intermédiaires: "Les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité" (Jean 4,23-24), sans avoir besoin de prêtres ni de rites comme intermédiaires obligés.
-        Jésus lui-même a dit: "Quand 2 ou 3 sont rassemblés en mon nom, je suis là au milieu de vous" (Matthieu 18:20).
-        Nous sommes prêtres lorsque nous nous aidons à nous relier à Dieu, à prier ensemble, à nous bénir, à bénir le pain et la nourriture, à réaliser nos dévotions, à fraterniser avec tous, à bâtir le Royaume, à nous présenter comme une offrande agréable en famille... Cela n’est réservé à personne en particulier ; c’est propriété et exigence de tous les baptisés.

4.      EN TANT QUE CEBs, NOUS SOMMES LE SACERDOCE DU CHRIST
-        Collectivement, nous continuons la vie, la mission, la mort et la résurrection de Jésus: nous sommes le "corps mystique" du Christ.
-        Nous sommes collectivement le sacerdoce du Christ lorsque, dans nos communautés ou organisations, nous nous unissons pour nous offrir au Père comme l’unique culte agréable à Dieu.
-        La fraternité est le meilleur culte que nous pouvons présenter à Dieu: Les prêtres que Dieu veut, sont tous les baptisés que construisent et offrent la fraternité à Dieu, c'est-à-dire, quand nous nous offrons comme Royaume de Dieu sur cette terre.
-        C'est pourquoi nous sommes individuellement et collectivement une bénédiction de Dieu: un autre acte sacerdotal.

CONCLUSION
Le sacerdoce ordonné n'a d'autre mission que d'édifier le Royaume, d'éveiller le sacerdoce des baptisés et d'établir des Communautés fraternelles sans frontières qui s'offrent comme le meilleur culte de Dieu.

C. EN TANT QUE PERSONNES INDIVIDUELLES NOUS SOMMES ‘ROIS PASTEURS’ ET COMME CEBs NOUS SOMMES LE ROYAUME DE DIEU AUJOURD’HUI

Nous nous souvenons que Jésus n’aimait pas qu’il soit fait ou nommé «roi». «Es-tu roi?» avait demandé Pilate. Ce a quoi Jésus répondit : "Oui, mais pas à la manière des rois de ce monde" (Jean 18:36). Jésus préférait le terme "berger": "Je suis le bon berger" (Jean 10,11). Cette comparaison nous aide à comprendre notre mission aujourd'hui: nous organiser en Communautés au service du Royaume.

1.      DANS L’ANCIEN TESTAMENT, ÊTRE «ROI BERGER», C’ÉTAIT DÉFENDRE LES PAUVRES

a)     Psaume 72: Le roi est le défenseur des pauvres.
"Ô Dieu, communique au roi ton jugement et ta justice à ce fils du roi,
afin qu'il juge votre peuple avec justice et vos pauvres dans les jugements qu'ils exigent ...
Il jugera le petit peuple avec justice, il sauvera les enfants des pauvres, car il écrasera l'oppresseur ...
Car il délivrera le mendiant qui crie vers lui, le petit qui n'a de soutien pour personne;
il a pitié des faibles et des pauvres, il sauvera la vie des pauvres;
de l'oppression violente sauve sa vie et son sang précieux sous ses yeux.

2.      LES TÂCHES DU BERGER (Jean 10,1-16)
-        Entrer par la porte de la bergerie… pour que les moutons entendent sa voix et le suivent.
-        Appeler chacun par son nom.
-        Aller faire paitre en marchant au premier rang.
-        ... pour que tous aient la vie et la vie en abondance.
-        Donner sa vie pour les autres.
-        Avoir le souci de ceux que sont ailleurs.
Le pape François a dit que le berger-pasteur devait être "non seulement devant, mais aussi au milieu et derrière le troupeau".

3.      ÊTRE «ROI-BERGER», C’EST CONSTRUIRE LE ROYAUME DE DIEU.
Extraits de la conférence du père Joseph Comblin au Chili, décembre 2010 ...

« Participant: Enfin, j'ai besoin de savoir ... Une dernière question : Qu'est-ce que le royaume de Dieu? Qu'est-ce que le Royaume de Dieu? S'il vous plait...
Joseph Comblin: Bon, c’est-à-dire… Qu'est-ce que ‘règner’ dans la Bible? Régner, c'est combattre les dirigeants pour sauver les pauvres. C'est ce qui justifie l'autorité. Le rôle de l'autorité est de combattre les puissants pour sauver les dominés. Dans le psaume 72, le rôle du roi est donc clair. Et le Royaume de Dieu c’est que Dieu vient pour faire cela. Et maintenant, Dieu commence à faire cela : Combattre les dominateurs, être contre les puissants et soulever les opprimés, les rejetés. Voilà donc ce qu’est le Royaume de Dieu. « (Applaudissements). »

4. NOUS SOMMES INDIVIDUELLEMENT DES ROIS BERGERS AU SERVICE DU ROYAUME

a)     La première mission de chaque baptisé est de bâtir le Royaume de Dieu.
-        Jésus nous dit: «Cherchez d'abord le Royaume de Dieu. Le reste viendra en plus » (Matthieu 6.33).
-        Pape Paul VI: «L'annonce du royaume de Dieu. 8.… Seul le royaume est donc absolu et tout le reste est relatif (Cf. Matthieu 6.33). »

b)     Le Royaume est le résultat de nouvelles relations à tous les niveaux
-        De nouvelles relations avec soi-même: Le Royaume est dignité et croissance.
-        De nouvelles relations entre nous: Le Royaume est fraternité.
-        De nouvelles relations dans les structures: le Royaume est justice.
-        De nouvelles relations avec la nature: Le Royaume est l'harmonie.
-        De nouvelles relations avec Dieu: le Royaume est communion.

5.      EN TANT QUE CEBs, NOUS SOMMES LE ROYAUME DE DIEU: C'EST NOTRE TÂCHE COLLECTIVE.
Paul VI: «L'annonce de la libération du salut. 30. L'Église, répètent les évêques, a le devoir d'annoncer la libération de millions d'êtres humains, parmi lesquels il y a beaucoup de leurs enfants; le devoir d'aider à réaliser cette libération, d'en témoigner, de la rendre totale. Tout cela n'est pas étranger à l'évangélisation. » (L’Annonce de l’Evangile)

6.      EN TANT QUE CEBs, NOUS SOMMES L'ÉGLISE DES PAUVRES.
-        Nous sommes l'Église à la base de la société, une Église complète, sœur autonome de la paroisse: «La communauté chrétienne de base est donc le premier et le noyau ecclésial fondamental, qui doit, à son niveau, être responsable de la richesse et de l'expansion de la foi, ainsi que l'adoration qui en est l'expression. Elle est donc la cellule initiale de la structuration ecclésiale, le foyer de l'évangélisation, et actuellement un facteur primordial de promotion et de développement humains » (1968, Document de Medellín 15,10).
-        Pape Jean XXIII: "L'Église est et doit être l'Église des pauvres" (1961, à la veille du Concile Vatican II).
-        Pape Jean-Paul II (1981) «L'Église est profondément attachée à cette cause (solidarité), car elle la considère comme sa mission, son service, comme vérification de sa fidélité au Christ, afin d'être véritablement« l'Église de la pauvres »» (Lettre «Le travail humain», 8).

CONCLUSION
1.      A l'exemple de Jésus, la spiritualité de libération nous provoque de l'intérieur de nous-mêmes.
2.      Cette spiritualité a une dimension individuelle et collective.
3.      Les CEBs réunissent ceux d'entre nous qui vivons cette spiritualité libératrice pour nous-mêmes, les autres, notre Eglise et l'ensemble de la société.
4.      La passion pour le Royaume est au cœur de cette spiritualité.
5.      La spiritualité libératrice est la caractéristique de l'Église des pauvres.


Annexe: ROYAUME ET LIBÉRATION selon Paul VI (‘L’Annonce de l’Evangile’, 1975).

Le pape Paul 6 ° dans sa lettre encyclique ‘L’Annonce de l’Evangile’ (1975) écrit:
-        8: «Seul le Royaume est donc absolu»…
-        9: «Le salut… est la libération de tout ce qui opprime l'homme»…
-        30: «L’Eglise… a le devoir d’annoncer… et de faire que cette libération naisse»…
-        58: «Les CEBs… s'épanouissent»…

1.      «L'annonce du Royaume de Dieu
8. Le Christ, en tant qu'évangélisateur, annonce tout d'abord un royaume, si important que, par rapport à lui, tout devient "le reste", qui est donné en plus (Matthieu 6.33). Seul le royaume est donc absolu et tout le reste est relatif. Le Seigneur se fera un plaisir de le décrire de différentes manières… »

2.      « L'annonce de la libération du salut
9. En tant que noyau et centre de sa Bonne Nouvelle, Jésus annonce le salut, ce grand don de Dieu qui est la libération de tout ce qui opprime l'homme, mais qui est avant tout la libération du péché et du mal, dans la joie de connaitre Dieu et d’être connu de lui, de le voir, de s'abandonner à lui ; tout cela prend son origine dans la vie de Christ et se réalise définitivement par sa mort et sa résurrection; mais doit être patiemment poursuivi au long de l'histoire jusqu'à ce que ce soit pleinement réalisé le jour de la venue définitive du Christ lui-même… »

3.      « Un message de libération
30. Il est bien connu en quels termes de nombreux évêques de tous les continents et surtout les évêques du Tiers-Monde, ont pris la parole lors du récent synode, avec un accent pastoral dans lequel s’expriment les voix de millions d'enfants de l'Église… Ces peuples, nous le savons déjà, sont engagés avec toutes leurs énergies dans l'effort et dans la lutte pour vaincre tout ce qui les condamne à être en marge de la vie: faim, maladies chroniques, analphabétisme, appauvrissement, injustice dans les relations internationales et, surtout, dans les échanges commerciaux, les situations de néocolonialisme économique et culturel, parfois aussi tant cruelles comme celles de la politique, etc. »

4.      « Communautés ecclésiales de base
58. Le Synode a largement traité de ces "petites communautés" ou "communautés de base", car elles sont fréquemment mentionnées dans l'Église aujourd'hui. Que sont-elles et pourquoi devraient-elles être les destinataires privilégies de l'évangélisation et en même temps qu’elles sont évangélisatrices? Elles fleurissent un peu partout dans l'Église, selon les différents témoignages entendus lors du Synode, et elles sont assez différents les uns des autres même au sein d'une même région, et bien plus d'une région à l'autre… »


3e partie: « CHERE AMAZONIE », LETTRE D’ESPÉRANCE DU PAPE FRANCOIS SUR L’AMAZONIE

Mars 2020.

Les grands moyens de communications ont réduit la récente lettre apostolique du pape François sur l'Amazonie à un titre négatif: "Le pape dit ‘non’ au sacerdoce des couples mariés, au diaconat des femmes et aux rites amazoniens." Le pape laisse plutôt la porte ouverte et préfère que les suggestions viennent de ceux qui travaillent en Amazonie. Ceux-ci ont exprimé leurs angoisses, leurs joies, leurs réflexions et leurs propositions dans le Document final du Synode (ou Rencontre Ecclésiales) que des évêques ont eu avec le pape en octobre dernier. Le pape lui-même présente sa lettre comme un «complément» dudit document, invite à le lire attentivement, le confirme et exprime ses rêves sur l’Amazonie. Souvenons-nous que le thème du Synode et de la Lettre pontificale est: "Amazonie, nouvelles voies pour l'Église et pour une écologie intégrale".
La Lettre du Pape est surprenante car, généralement, les critères et les directives viennent du Vatican et sont ensuite remplis dans les différentes Églises. Il n'y a rien de tel dans cette Lettre : le pape propose plutôt de s'inspirer du Document final du Synode et de prendre des décisions avec "audace". Le pape laisse l'initiative aux Églises des 9 pays qui ont un territoire amazonien. C’est un changement, pourrait-on dire, «capital» dans la tradition de l’Église catholique, où tout part toujours «d’en haut». Cette nouvelle pratique voulue par le pape François a également été une caractéristique du Synode sur l'Amazonie où il avait une grande liberté de parole qui a permis de présenter des propositions pastorales très concrètes. C'est ce qu'on appelle, dans le langage ecclésiastique, la "synodalité", c'est-à-dire, "marcher ensemble, en se laissant guider par les pauvres": c’est l'une des grandes nouveautés du pontificat du pape François. Dans l'Église catholique, le terme «démocratie» est un mot tabou. Imaginez : «Laissez-vous guider par le peuple des pauvres!»… Et pourtant c’est ce que Jésus a fait. Vivons donc la «synodalité» dans l'Église et la société!
Dans sa lettre, le pape François insiste sur 4 aspects où il faut intervenir fermement et audacieusement.  En plus de l'aspect ecclésial, il y a le social, le culturel et l'écologique. Pour l’aspect social, le pape invite à être prophètes et prophétie, selon l'exemple de Jésus, en parole et en action. Cela signifie, d'une part, dénoncer tout ce qui détruit à la nature et la vie, la dignité et l'identité des peuples amazoniens et, d'autre part, annoncer que le ‘Bien vivre’ est une bonne nouvelle remplie de l'Évangile de Jésus de Nazareth, parce qu’il met en premier les gens, le bien commun et la protection de la nature. Pour l’aspect culturel, il y a les tâches d'inculturation et d'interculturalité, c'est-à-dire, en tant qu'Église, il s’agit de s’incarner dans les cultures amazoniennes et de se laisser guider par la sagesse et les expressions religieuses des peuples amazoniens. De cette façon, il sera possible, avec le protagonisme des mêmes habitants de l'Amazonie, de sauver les peuples en voie de disparition, de sauver les visions du monde indigènes et d'entreprendre de nouvelles manières de se constituer l'Église et de se construire comme société. Sur le plan écologique, comme l'écrit le pape François, les peuples amazoniens ont beaucoup à apporter à l'humanité tout entière en marche, car nous sommes en marche vers le suicide mondial. Le «Vien vivre» de ces peuples est un exemple de relations humaines respectueuses des personnes et de la nature. Ils nous offrent leur spiritualité pour nous aider à nous sauver ensemble de l'effondrement dans lequel nous nous trouvons partout sur la planète, consciemment ou inconsciemment.
Tout cela implique d'entreprendre une nouvelle manière d'être Église au service de l'Amazonie, des peuples qui l'habitent et de leur nature, mais avec une nouvelle méthode: en synodalité, c'est-à-dire, ensemble au sein de l'Église, avec les peuples les amazoniens, ainsi que tous ceux qui travaillent en leur faveur. En regardant la lettre papale de ce point de vue, elle est très optimiste, car ce qui est fait et sera fait en Amazonie conformément aux rêves du pape François se répercutera dans toute l'église et la société. C'est une invitation pour tous les "hommes et les femmes de bonne volonté" (les destinataires de la Lettre du Pape), à être protagonistes dans les Églises et dans les lieux où nous vivons, d’une Église renouvelée et d’une société inclusive et participative.