domingo, 30 de octubre de 2016

Mes articles du journal équatorien au mois d'août et témoignage de 34 ans en Equateur



Equateur, septembre 2016.

Bien chers/ères amis/es, bonjour.
Je pense que vous allez bien.

Après mon séjour en France, je vous envoie une traduction des articles que j’ai écrits chaque semaine d’août dans le journal équatorien qui m’a demandé ce service. C’est une façon de vous partager les options que vous connaissez.
-        L’espérance tenace… message des JMJ.
-        Gagner, être heureux : oui, mais… Messi reste un scandale.
-        Rien n’est impossible… même contre Monsanto.
-        Proaño séquestré… mais en vain.
-        Le diaconat au féminin… pas si simple !

Texte complémentaire : Témoignage d’une religieuse de La Providence (St. Jean de Bassel, Lorraine) qui a passé 34 ans en Equateur, dans le monde Indien des Andes.

Bonne lecture.

Fraternellement.
Pierre.

PS. Je vous envoie 2 textes supplémentaires :
-        Le premier est des plus favorables pour les Communautés Ecclésiales de Base. Il provient du cardinal canadien Marc Ouellet, préfet au Vatican de la Congrégation pour les évêques et président de la Commission pontificale pour l’Amérique Latine. C’est heureusement surprenant.
-        Le témoignage d’Inés Wenner, une amie religieuse présente comme moi en Equateur durant de nombreuses années ; c’était pour ses 60 ans dans la Congrégation des Sœurs de la Providence de Saint Jean de Bassel, Lorraine.

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Paroles du cardinal Marc Ouellet :

… « Parmi ces oasis de miséricorde j’insiste, entre autre chose, sur les Communautés Ecclésiales de Base, nombreuses dans ce continent : elles se constituent autour de la Parole de Dieu méditée, partagée et vécue. Le continent en compte de très nombreuses : elles sont animées par des catéchistes ou des délégués de la Parole ; elles sont d’innombrables étoiles brillantes dans la nuit de l’indifférence religieuse. Leur présence incarnée renforce la sacramentalité de l’Eglise en Amérique Latine, Leur amour pour la Parole de Dieu, alimentée aussi fréquemment que possible par la communion eucharistique, représente un solide rempart face à l’invasion progressive du matérialisme et du prosélytisme des sectes. Leur témoignage de sincère fraternité nourrie de la Parole de Dieu et ouverte à l’œcuménisme n’est pas seulement un signe attrayant de la grâce, c’est aussi une source efficace de miséricorde et de charité active que régénère constamment le tissu social de la population, la ville et le pays »…


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1.   L’ESPÉRANCE TENACE, Pedro Pierre.

C’est le grand message que le pape François nous laisse de son voyage en Pologne pour les Journées Mondiales de la Jeunesse. La présence de deux millions de jeunes enthousiaste est significative. Leurs commentaires montrent à la fois leur préoccupation d’un monde dominé par l'argent et la violence, ainsi que par leur espoir de contribuer à y créer plus de justice et de paix. Le pape a confirmé ces options avec des mots toujours forts et encourageants. Lors de sa visite dans le camp d'extermination nazie, il a rappelé la terrible réalité de la mort programmée de millions de personnes innocentes. Il a clairement condamné les guerres au Moyen-Orient et la faim en Afrique condamnant des centaines de milliers de personnes à émigrer ; plusieurs dizaine de milliers font de la Méditerranée un énorme de vie disparue à jamais.
Au cours de sa visite à Czestochowa le pape a appelé à faire de notre dévotion mariale une joie et engagement à servir les personnes et les peuples plus durement éprouvées. Il a invité les chrétiens polonais à faire de leur tradition catholique leur grande force pour faire face aux défis du monde d'aujourd'hui. Il a demandé au million de jeunes qui se réunirent avec lui dans la capitale polonaise, Cracovie, de se lancer dans «l'aventure de la miséricorde», une aventure qui pour «construire des ponts et de détruire les murs, aider les pauvres et tous ceux qui se sentent seuls, abandonnés ou qui ne trouvent pas de sens à leur vie ".
Selon le pape ces Journées Mondiales de la Jeunesse ne peuvent pas se limiter à être seulement un souvenir heureux ; elles sont un engagement des jeunes et de tous les catholiques en faveur d'une vie plus humaine et chrétienne. Le pape a voulu allumer la flamme de l'espoir capable de briser les montagnes de la haine et de l'injustice: Jésus n’est pas un héros du passé, mais le partenaire actuel de toute vie et de toute lutte qui contribuent à bâtir des espaces de fraternité. Nous pouvons tous apporter notre grain de sable à cette construction en dénonçant les fausses idoles de la consommation effrénée, la drogue destructrice, la communication technologique superficielle : celles-ci n’apportent plus de violence et de mort. "L'ambition pour l'argent est la racine de tous les maux», avait prévenu saint Paul à son disciple Timothée.
La proclamation du pape à « construire des ponts et abattre les murs" a été saluée par les cris de joie. Elle reste un défi pour chacune et chacun d'entre nous. Il s’agit de démolir les murs de l'individualisme et la peur de s’engager, les barrières de l’indifférence et de l’orgueil, les montagnes de médiocrité et de spiritualité désincarnée... Il s’agit de construire des ponts qui unissent les mains au service de la rencontre, de la paix et du respect de la nature. Telle est l’espérance tenace à édifier au milieu des pires difficultés ...
"C’est beau, et cela me console le cœur, de vous voir en rébellion. Aujourd'hui les regards l'Église sont fixés sur vous : celle-ci veut apprendre de vous, elle vous redit avec force que la miséricorde du Père a un visage toujours jeune visage et vous invite à construire son royaume».


2.   GAGNER, ÊTRE HEUREUX : OUI, MAIS… Pedro Pierre.

Avec la Coupe du monde et les Jeux Olympiques le sport se maintient au premier plan des médias. Avant ces deux événements ont eu lieu les grands scandales des responsables du football mondial. En même temps que les Jeux Olympiques de Rio de Janeiro, les manifestations au Brésil ont dénoncé les dépenses énormes des travaux d'infrastructure, comparées aux budgets des dépenses sociales.
Nous admirons les records obtenus dans les différentes disciplines, ainsi que l'esprit d'équipe entre les sportifs. Mais il faut dénoncer les énormes profits de certains joueurs, des organisateurs et des médias. Leonel Messi est l'exemple le plus évident. Combien gagne-t-il par mois? Un million de dollars, deux millions? Son transfert à l’équipe de Barcelone en Espagne a couté plus de 120 millions! Comment ne pas s’indigner face aux dizaines de millions de personnes sans emploi fixe ou face aux salaires de misère d’autres dizaines millions qui n’arrivent pas à remplir ni la moitié du panier de la ménagère!
Dans une lettre fraternelle, le théologien espagnol José Ignacio González Faus écrit à Leonel Messi: «Peut-être que tu es le meilleur joueur du monde. Et qui t’écrit est un admirateur de ton habileté, ton intelligence, ta rapidité, tes heureuses décisions, ton sens du jeu collectif... Mais tu gagnes beaucoup trop et c’est un scandale ... Tu dois te sentir obligé à regarder le contexte où tu vis. L’industrie financière enterre la beauté née du bonheur de se dépasser». Il est plus important d'être une grande personne qu’être un grand joueur.
Quels modèles de personnes nous proposent les médias? Malheureusement leur message met l'argent comme la seule référence. Ce n’est pas la valeur de la personne qui va en premier, mais les résultats et non la responsabilité personnelle ni sa lutte pour un projet de société plus égalitaire. Messi n’est pas une mauvaise personne; il est même sympathique. Mais il est des plus décevants quand il affirme lors du jugement du Trésor espagnol qu’il a signé "sans savoir ce qu'il signait»? Et la signification du signe de la croix en entrant sur le terrain de jeu ou après avoir marqué un but, dénigre le signe de la croix où sont cloués les crucifiés d’aujourd’hui? N'est-ce pas « invoquer en vain le nom de Dieu»?
Où sont les athlètes et les sports alternatifs qui ne se laissent pas corrompre par le système actuel? Comment détruire et remplacer ce système pervers afin d’actualiser la profession de vie et de foi de Marie, la mère de Jésus et notre mère? « Il a frappé avec la puissance de son bras puissant : il a dispersé les orgueilleux et défait leurs plans. Il fait tomber les puissants de leurs trônes et il a élevé les humbles. Il a rassasié les affamés et renvoyé les riches avec les mains vides ». Qui ont la mission de réaliser cette prophétie de Marie, sinon nous autres, en manifestant un Dieu ami et défenseur des pauvres? Notre dévotion mariale, si répandue dans nos églises, nous encourage à mener une vie personnelle responsable et construire une vie sociale plus équitable.


3.   RIEN N’EST IMPOSSIBLE, Pedro Pierre

"Si les problèmes sont les nôtres, les solutions aussi" C’est ce qu’une ville argentine de 12.000 habitants a confirmé en empêchant l'implantation dans la commune de l'une des plus grandes entreprises mondiales, rien de moins que "Monsanto". La lutte a duré trois ans jusqu'à ce que la société renonce à construire la plus grande usine de semences génétiquement modifiées dans le monde.
"Monsanto" est la plus grande société de production de semences du monde: elle veut avoir la vente exclusive des grains les plus utilisés pour dominer son commerce dans le monde entier. En outre, les produits modifiés par Monsanto ont besoin d'engrais et d´herbicides spéciaux. Les bénéfices de l’entreprise sont immenses et la dépendance des agriculteurs complète. En outre, on ne connaît pas les dommages à long terme qui peut produire ces semences transgéniques sur la santé humaine. Ce qui est certain c’est la disparition de milliers de graines alimentaires qui ne peuvent pas rivaliser avec cette chaîne du commerce international. La conclusion c’est la «perte de souveraineté alimentaire», car ce ne sont ni les gouvernements ni les agriculteurs qui décident ce qu'ils vont planter, produire et commercialiser dans leur pays, mais cette société.
La nouvelle que Monsanto a dû abandonner la construction de l'une des plus grandes usines dans le monde est arrivée le 1er Août. La ville Argentine a gagné la bataille contre d'énormes intérêts qui semblaient impossible à vaincre, s’appelle Córdoba. Cette a été possible grâce à l’inébranlable résistance des voisins, des jeunes et des femmes qui avaient bloqué l'usine depuis 2013. Il s’agit d’un évènement d'une grande importance pour tous les peuples et les pays du monde, car c’est l’arrêt de plus de production d'engrais et d'herbicides qui sont vraies poisons pour la nature et les humains. Il aura un énorme ralentissement au niveau de toute la planète : désormais nous pouvons faire plier n’importe quelle multinationale. C’est également un encouragement pour les groupes et les peuples qui se battent partout dans le monde pour défendre leurs territoires et leurs collectivités, leur vie et celle de leurs enfants, alors que la logique dominante tente de nous convaincre que ce sont des luttes impossibles à gagner. C’est aussi une gifle à tous ceux qui se considèrent vaincus avant même de combattre.
Cette victoire nous fait penser au groupe courageux de citoyens équatoriens de l’Amazonie qui se battent depuis plus de 20 ans contre les contaminations encore mortelles de la compagnie pétrolière Texaco. Est malheureusement particulièrement frappante le peu de solidarité des Equatoriens en général, avec leurs concitoyens. C’est une honte que de nombreux magasins, de nombreuses personnes et de nombreuses institutions continuent de vendre, acheter et utiliser les produits Texaco! Quand donc ouvrirons-nous les yeux et aurons-nous le courage de suivre ces citoyens argentins! C’est un échec dû à notre propre lâcheté et manque de foi dans le Dieu de la vie, si nous pensons que nous ne sommes pas en mesure de transformer en possible l'impossible.


4.   PROAÑO SÉQUESTRÉ... Pedro Pierre.

C’est encore ce qu'ils voulaient de nombreux ecclésiastiques équatoriens ainsi que les grands richards de notre pays: faire disparaître la mémoire et l’héritage de Mgr Leonidas Proaño. Un dernier exemple est la récente disparition de la cathédrale de Riobamba de la peinture des Martyrs de l’Amérique latine offerte à Mgr Proaño par le peintre argentin et lauréat du prix Nobel de la paix Adolfo Pérez Esquivel. Mgr Julio Padilla, actuel évêque de Riobamba, dans un communiqué, a voulu mettre fin à la controverse: «La Curie diocésaine a pris la décision que la fresque des peuples latino-américains reste dans la cathédrale." De fait, Adolfo Pérez Esquivel avait écrit à l’évêque de Riobamba une longue lettre où il exprimait sa surprise devant cette disparition, le sens ecclésial latino-américain de la fresque et l'importance symbolique de son emplacement dans la cathédrale de Riobamba. Plusieurs revues et agences nationales et internationaux de presse ont fait écho de cette malheureuse initiative. Dans Riobamba, il a eu des protestations sur la voie publique.
Un autre exemple d'il y a 40 ans: l'arrestation par la junte militaire alors au pouvoir de Mgr Proaño avec 14 évêques latino-américains et quelques 70 prêtres, religieuses et laïcs réunis à Riobamba. Ce scandale international a éclaté, comme il l'écrit le père Agustín Bravo, vicaire épiscopal de Mgr Proaño, sur recommandations des plus hautes autorités ecclésiastiques de l'Equateur faites au triumvirat militaire. Ces évêques, prêtres, religieuses et laïcs s’étaient rassemblés pour partager leurs expériences pastorales après les lignes pastorales mises en place après la réunion des évêques du sous-continent à Medellin, en Colombie, en 1968. Mgr Proaño a écrit la mémoire de cet événement dans son livre "L'Évangile subversif."
Une autre tentative d'enlèvement a eu lieu peu dès la nomination de Mgr Proaño comme évêque de Riobamba. Il entreprit la visite toutes les paroisses du diocèse. Il fut choqué par la misère et l'esclavage auxquels étaient soumis la grande majorité des Indiens. À l'issue de ces visites qui durèrent plusieurs mois, les autorités civiles et les riches de la ville lui avaient préparé une grande fête dans une hacienda célèbre. Mgr Proaño a refusé d’y participer en faisant valoir qu’un tel repas ne serait possible que lorsque autant d’Indiens que de métisses seraient assis à la même table. De fait, Mgr Proaño a ainsi échappé à son enlèvement et sa soumission aux puissants. Il a donc pu s’engager dans l’évangélisation des indiens, c’est-à-dire l'organisation et la libération des Indiens.
Ces enlèvements démontrent les options de notre Église: d’une part l'option pour les riches, en fait les kidnappeurs, et, de l’autre, l'option pour les pauvres qui fut celle de Jésus. Hier comme aujourd'hui les premiers veulent effacer l’héritage de Mgr Proaño, la mémoire des martyrs de l'Amérique latine, le rôle des populations indiennes, la force des pauvres, une Église au visage latino-américain. Jésus avait d’ailleurs averti ses disciples: «Heureux serez-vous quand on vous insultera à cause de moi, qu’on vous poursuivra et qu'on dira sur vous toute sorte de calomnies». Mgr Proaño et l'Église des pauvres a longue vie car ils ont la force de l'Evangile.


5.   LE DIACONAT AU FÉMININ, Pedro Pierre.

Le pape Francisco a récemment décidé d'entreprendre une réflexion dans toute l'Eglise sur le diaconat des femmes. Le livre des Actes des Apôtres nous parlent du diaconat des femmes. Ce ministère s’est perdu avec le passage des siècles. La cause principale fut l'entrée progressive du machisme et du patriarcat dans l'Eglise, en particulier par le pouvoir donné au clergé par l’empereur Constantin. La hiérarchie s’est alors éloignée du peuple de Dieu et a agi comme une autorité dominatrice. De plus les membres du clergé devaient être exclusivement des hommes.
Au début de l'Église, les prêtres tels que nous les connaissons aujourd'hui n'existaient pas. Les spécialistes de la Bible nous disent que ceux qui présidaient la « fraction du pain » ou le Mémorial de la dernière Cène que nous appelons Eucharistie, étaient ceux qui recevaient la communauté chrétienne dans leur maison : c’étaient donc indistinctement des hommes ou des femmes. Rappelons aussi que Jésus était un laïc et non un prêtre; il n’était pas d’avantage membre d'une famille sacerdotale. Dans les premières églises étaient tous laïques. L'assimilation de la hiérarchie à l'empire romain au 4ème siècle a créé, d'une part, la séparation entre le clergé et le reste des baptisés et, de l'autre, le retour au culte sacerdotal de l'Ancien Testament.
Ce fut le concile du Vatican II, il y a 50 ans, qui a révisé le sens du ministère sacerdotal et a invité à exercer la prêtrise « à la manière des apôtres ». Il a aussi fait remarquer que le sacerdoce des baptisés est premier et que le sacerdoce du clergé est au service de celui-là. Malheureusement trop peu d'efforts ont été faits pour revenir à la pratique des premières communautés chrétiennes. Peut-être les Communautés ecclésiales de Base, nouvel espace d’Eglise, vivent plus effectivement autant le sacerdoce de baptisés que celui des ministres de l’eucharistie: à partir de l'égalité entre baptisés le sacerdoce ministériel est au service du sacerdoce des baptisés, comme de leur mission prophétique et royale. La crise actuelle révèle l'impasse où le sacerdoce ministériel s’est engagé.
Dans ce contexte parler du diaconat ou de la prêtrise des femmes dans le contexte actuel sans retourner aux sources chrétiennes, c’est tout simplement se vouer à l'échec et augmenter les problèmes qui nous souffrons. On comprend les réticences des théologiennes et des possibles candidates au diaconat ou à la prêtrise: ce serait entrer dans une voie sans issue, montrer bien peu de respect pour la dignité des femmes, leurs capacités et leur mission chrétienne.
La décision du pape Francisco va ouvrir une réflexion sur le diaconat féminin. Celle-ci nous précisera le sens de la « diaconie » de toute l'Eglise, la nouvelle identité qui doit prendre à la fois le sacerdoce des baptisés comme celui des diacres, prêtres et évêques ! Tout cela recentrera la mission des chrétiens dans le monde sur leur service du Royaume de Dieu, «l’unique réalité absolue » selon Jésus lui-même.
Avril 2016 : Témoignage d’Inés (Agnès) Wenner pendant la messe paroissiale, lors de ses 60 ans de vie religieuse dans la Congrégation des Sœurs de la Divine Providence de Saint Jean de Bassel, Lorraine.





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Je vais partager avec vous des faits qui sont pour moi motifs d’action de grâces.

Je suis née un dimanche de Pâques et maman me répétait souvent « Bishn e Glekskind » ce qui veut dire « Tu es une enfant née pour le bonheur ». Je peux dire sincèrement que malgré la guerre, l’exode et les difficultés inhérentes à la vie, j’ai toujours été heureuse.
Un autre motif d’action de grâce c’est ma grand-mère maternelle. Elle était Autrichienne et savait la Bible par cœur. Comme je partageais la même chambre, elle me racontait tous les soirs une histoire de la Bible comme on aurait raconté Blanche Neige ou le Chaperon Rouge. Pour moi, Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, David n’avaient plus de secret. De plus elle était très pratiquante. Tous les dimanches elle allait à la Messe, aux Vêpres et même au salut du St Sacrement, et moi je l’accompagnais avec joie. Les plus âgés d’entre vous doivent se rappeler de ce temps là où on passait beaucoup de temps à l’église. Grâce à ma grand-mère j’ai eu une bonne base religieuse. J’en rends grâce à Dieu.
Une autre personne importante dans ma vie, c’est une religieuse de St Jean de Bassel qui était ma maîtresse au cours moyen I et II. C´était juste après  la guerre, nous ne savions plus parler le français. Or cette sœur avait une patience d´ange avec nous, elle rayonnait la bonté et on sentait qu´elle nous aimait vraiment et qu´elle voulait notre bien. Alors en moi est né le désir de devenir comme elle. Tout à l´heure nous avons lu dans l´Evangile c’est à l´amour que vous avez les uns envers les autres qu´on verra que vous êtes mes disciples. Cette sœur est à l’origine de ma vocation religieuse et j´en rends grâce à Dieu.
J´avais 9 ans et cette idée ne m´a plus quitté. Lorsque j´avais 15 ans, la maîtresse de 3e a proposé á toute la classe une retraite durant les vacances de Noël. Le prêtre nous présentait les trois états de vie : le mariage, le célibat et la vie religieuse. Mon cœur battait très fort et je sentais bien que pour moi ce sera la vie religieuse. J´en ai gardé le secret jusqu´au jour où j´ai découvert qu´une autre de ma classe avait ce même désir. Nous en avons parlé. Elle m´a convaincue que je devais parler á mes parents ce que j´ai fait le soir même. Papa m´a dit : « Si tu réussis ton brevet tu pourras y aller ». Maman a pleuré. Pour moi la partie était gagnée. Je vais réussir mon brevet et je pourrai partir. C´était en 1951. J´ai eu la chance d´aller à la prise d´habits de Sr. Ancille Schmitt, Antoinette doit s´en rappeler car c´est la famille Schmitt qui m´a emmenée dans un petit bus. Quinze jours après, le 20 septembre 1951 je suis entrée comme aspirante au couvent de St Jean de Bassel. J’avais 15 ans et demi et la joie habitait mon cœur.
J´ai suivi la filière obligatoire : aspirante, postulante, novice et professe, et j´ai commencé la carrière d´institutrice dans le primaire au pensionnat de Fénétrange. Vous savez que nous faisons un vœu d´obéissance. Eh bien après 14 ans à Fénétrange j´ai été envoyée à Strasbourg-Neudorf durant 3 ans et ensuite 8 ans à la Maison Mère à St Jean de Bassel pour commencer la maison d´accueil. Pour toutes ces années au service des enfants et de l’accueil, je rends grâce à Dieu.
Puis, une lettre circulaire de la Supérieure générale nous informa que la Congrégation va ouvrir une Mission en Amérique Latine, en Equateur précisément. Cette lettre disait que Monseigneur Leonidas Proaño, évêque de Riobamba encore appelé évêque des Indiens, acceptait des missionnaires pour travailler avec les Indiens dans des villages situés à 2.800 m. d’altitude. Que le climat est très varié, les 4 saisons en un jour et les nuits toujours fraîches. Qu’il y avait des pommes de terre, des oignons, des bananes, du café et bien d’autres choses encore. Je me suis dit «Si j’y vais, je ne mourrai ni de faim ni de chaleur » et je me suis manifestée à mes supérieures qui ont accepté mon choix. J’ai commencé à apprendre l’espagnol, la langue officielle du pays.
En 1982, je fus envoyée avec deux autres sœurs dans le diocèse de Riobamba. Dès les premiers temps, l’évêque nous a intégrées dans l’Equipe Missionnaire Itinérante(EMI) pour un an afin de connaître rapidement les lieux et la langue des Incas, le kichwa. C’était une vraie aventure. Je partais le lundi matin pour 8 jours ou davantage avec des missionnaires de l’EMI dans un village qui avait demandé une mission ; nous partions avec le sac à dos qui contenait le stricte minimum et notre sac de couchage. Les voyages se faisaient à pied ou à cheval car on ne pouvait atteindre les villages d’Indiens que par des sentiers. Nous prenions le bus à la ville jusqu’au sentier qui menait au village. Parfois il fallait marcher 2 ou 3 kilomètres. Souvent venaient à notre rencontre 1 ou 2 Indiens pour nous aider à porter nos sacs .L’accueil était toujours très chaleureux. Une fois sur place, on nous indiquait dans quelle famille nous allions dormir ; puis nous visitions chaque famille et nous les invitions à venir à la réunion du soir. Cette réunion avait lieu dans l’école ou dans la chapelle s’il y en avait une. Il n’y avait pas d’électricité et en Equateur la nuit tombe tous les jours de l’année à 6 heures du soir. C’est avec des bougies qu’on s’éclairait. Les missionnaires de l’EMI savaient les chants et les prières en kichwa. Moi je dressais mes oreilles mais je ne comprenais rien. J’étais comme un petit enfant qui écoute et enregistre les sons pour apprendre à parler. C’était une bonne méthode pour apprendre une langue et je remercie Dieu pour ce temps d’apprentissage.
J’ai découvert aussi la vraie pauvreté et la simplicité. Les maisons des Indiens appelées chozas sont creusées dans la terre couverts d’un toit de chaume. Pourquoi dans la terre ? Parce que comme ils considèrent la Terre comme leur Mère, la Pacha Mama, ils veulent vivre dans le ventre de leur mère. Pour la même raison ils marchent pieds nus, pour être en contact avec leur mère et en recevoir l’énergie. Les petits-enfants ils les posent emmaillotés par terre pour qu’ils sentent l’énergie de la Terre Mère. Dans ces chozas, ni table ni chaise, il faut s’asseoir par terre. Au milieu de la pièce il y a le foyer : 3 grosses pierres. Sur ces pierres une grande marmite en aluminium très fin. Dans la marmite, des assiettes en aluminium, des cuillères et une louche en bois. Rien d’autre dans ces chozas : tout est simple et pauvre. Pas de bibelots à épousseter. Je rends grâce à Dieu car les Indiens m’ont appris qu’on peut être très heureux avec bien peu.
Les Indiens sont très religieux, c'est-à-dire, ils ont le sens du sacré. Ils font toujours une prière de bénédiction sur les aliments, c’est tout naturel chez eux. Ils remercient la PACHA MAMA (la Terre Mère) qui leur donne à manger. Ils mangent en silence comme pour apprécier ce qu’ils ont reçu. Cela m’a beaucoup impressionnée au début. Ils ont aussi un grand respect de la Nature. Ils adressent de belles prières à la Pacha Mama, la Terre Mère, avant les semailles et au moment des moissons. Et ces prières ils les disaient avant la venue des Espagnols. Dans leur conversation, ils disent souvent « si Dieu le veut, ou comme Dieu voudra », ils n’ont pas peur des tremblements de terre ni des volcans en irruption. Alors j’ai vu qu’ils étaient davantage abandonnés à la Providence que moi qui suis Sr. de la Divine Providence.
Leur sens communautaire est remarquable. Chaque année ils choisissent entre eux le responsable du village. Comme ça tout le monde y passe, ils savent que ce n’est pas tâche facile. Pour régler les problèmes du village ils convoquent chaque famille à une réunion et chacun donne son avis. Ces réunions peuvent durer des heures parfois toute la nuit, car ils ne lèveront la séance que lorsqu’il y a un accord entre tous. J’ai appris ce qu’est la vraie vie communautaire : j’en rends grâce à Dieu
Les Indiens ont aussi le sens du partage. Ils partagent le peu qu’ils ont. Je vous raconte ce qui m’est arrivé dans une mission. Nous avions l’habitude d’apporter à la famille qui allait nous héberger, un cornet plein de petits pains. C’était reçu comme une friandise et chacun le mangeait tout de suite. Or, ce jour-là j’ai vu que l’un d’eux ne mangeait pas son pain. Intérieurement je me demandais pourquoi. C’est qu’il avait aperçu qu’un des leurs était descendu du bus sur la route principale et qu’une demi-heure plus tard il serait parmi nous après avoir gravi le chemin que nous venions de monter. A son arrivée, après les salutations d’usage, j’ai vu que celui qui n’avait pas mangé son pain, a partagé le sien et lui a donné la moitié et les deux mangeaient avec des yeux remplis de joie. J’ai vu la joie du vrai partage. J’en rends grâce à Dieu.
Les deux autres sœurs ont fait la même expérience que moi mais avec d’autres missionnaires de l’EMI et dans d’autres lieux. C’était très enrichissant et comme nous étions séparées nous n’avions pas la tentation de parler français.
Après l’année d’expérimentation passée dans l’EMI l’évêque nous a demandé de faire partie d’une Equipe pastorale avec un prêtre colombien, un ingénieur agronome, un indien du village et une jeune Indienne. Dans l’Equipe nous avions chacun une responsabilité. Nous nous débrouillions assez bien en kichwa pour organiser les activités. A cette époque ma responsabilité était d’aider les Indiens dans leur démarche pour obtenir leur carte d’identité, car sans ce papier ils ne valaient rien. En effet le gouvernement a accepté pendant un an le certificat de baptême pour la date de naissance. Il fallait faire vite. Comme ils étaient tous baptisés dans les premiers jours de leur naissance à cause de la grande mortalité infantile il fallait rechercher dans les archives de l’Eglise la date du Baptême et là on savait la date de naissance. Il fallait voir le sourire heureux quand ils revenaient avec leur carte d’identité. Je partageais leur joie.
Pendant dix ans j’ai vécu dans ce monde Indien qui m’a appris bien plus que je ne leur ai apporté. Depuis il y a eu de grands changements dans le monde indien. Maintenant Il y a l’électricité, l’eau, des chemins pour que des voitures puissent entrer dans le village. Leur vie s’est améliorée. Il y a un bon président de la République qui n’est pas corrompu comme ceux d’avant.
J’ai donc eu mon changement pour un autre diocèse et dans le monde métis pauvre. C’était à 5 km d’une grande ville LATACUNGA et le village était traversé par un aéroport militaire ; nous étions 2 sœurs. C’était une paroisse avec 12 barrios, c'est-à-dire, 12 quartiers. Il n’y avait pas de prêtre. Un prêtre venait seulement le dimanche pour la messe. Nous étions donc responsables de cette paroisse. Les Sœurs avant nous avaient déjà organisé beaucoup de choses. Il fallait continuer ce qui était commencé : Catéchèse, formation des catéchistes, (il y avait 300 enfants à la catéchèse de 10 à 15 ans), préparation aux baptêmes et aux mariages, Groupes liturgiques, organisation des femmes, banques communautaires, une crèche d’enfants prise en charge par les mamans, visite des malades avec distribution de communion. Dans chaque barrio (quartier) il y avait une personne responsable du religieux et qui faisait le lien avec les Sœurs. On l’appelait le SERVITEUR. Il réunissait son barrio une fois par semaine pour analyser la réalité et partager l’Evangile. Nous réunissions ces Serviteurs une fois par mois pour voir les difficultés qu’ils rencontraient et leur donner une formation biblique. Ces serviteurs faisaient vraiment vivre la paroisse. Nous donnions beaucoup de responsabilités aux laïcs parce que à nous deux nous ne pouvions pas tout faire et aussi pour qu’à notre départ ils continuent à prendre leurs responsabilités. Dans la suite nous étions 3 sœurs.
En l’an 2000 la pauvreté a augmenté beaucoup. C’était dû à la dollarisation. Comme ici vous avez changé les Francs en Euros, là-bas on a changé le SUCRE, la monnaie nationale, en dollars américains. Mais ici un Euro vaut 6,666 francs mais en Equateur 1 dollar valait 25.000 SUCRES. Donc si quelqu’un avait 100.000 SUCRES, c’était une petite fortune mais il se retrouvait avec 4 dollars après le change. Des instituteurs retraités qui avaient une pension de 300.000 SUCRES se retrouvaient avec 12 dollars. La monnaie avait perdu sa valeur et les choses coûtaient cher. La faim commençait à se sentir surtout chez les vieillards. Certains allaient mendier ; d’autres mouraient. Nous avons alors commencé des cantines dans 5 barrios. Nous avons sollicité la générosité de tout le monde pour pouvoir nourrir les vieillards qui avaient faim. Il y en avait une centaine. Le dimanche nous mettions un grand panier devant l’autel et au moment de l’offertoire les gens s’avançaient et mettaient des vivres dans le panier. Des cuisinières bénévoles s’offraient pour préparer les repas. Dans la suite le gouvernement a soutenu ces cantines en donnant chaque mois 8 produits : huile, thon, riz, pâtes, lentilles, haricots secs, sucre, sel. C’est à ces moments-là qu’on voit de belles choses, des miracles du partage entre pauvres. Je remercie Dieu d’avoir vécu cela.
En l’an 2007 un prêtre a été nommé pour cette paroisse alors nous nous sommes retirées pour aider ailleurs. J’étais restée 15 ans dans cette paroisse. J’ai été changée pour le diocèse où j’étais avant et j’ai travaillé avec Sœur Liliane Haas que beaucoup d’entre vous connaissent. Elle travaillait dans le domaine de la santé et moi dans la pastorale surtout la catéchèse et la visite des personnes âgées.
En 2013 je suis revenue en France pour me faire soigner avec l’intention de retourner en Equateur. Mes problèmes de santé n’ont pas été résolus, alors j’ai décidé de rester en France. Je porte l’Equateur dans mon cœur et dans mes prières quotidiennes.
Puisque l’occasion m’est donnée, je veux aussi vous dire que je prierai chaque jour pour cette communauté de paroisses Ste Catherine, aussi longtemps que le Seigneur me prête vie. J’ai 80 ans.
Merci de m’avoir écoutée.