lunes, 9 de noviembre de 2015

Présentation originale sur les femmes amoureuses et subversives dans la Bible



FEMMES  AMOUREUSES  ET  SUBVERSIVES  D’ ISRAËL,  Anne  Soupa.

Témoignage chrétien, 16 Août 2015.

La Bible regorge d’histoires d’amour, qui nous disent, chacune à leur façon, comment l’amour bouleverse, renforce, trouble, inquiète. Jusqu’à oser dire que cet amour est le propre de Dieu.

Quand la Bible parle d’amour, elle le fait à sa façon. Elle est discrète, pudique et, surtout, elle a l’amour large. Présent bien au-delà de la chambre des époux, l’amour se déploie dans le quotidien et ne peut éviter la rudesse des temps, ce qui, pour nous modernes, ne le rend pas toujours facile à déceler. Ainsi, l’impératif le plus catégorique d’une femme n’est pas de trouver l’âme-sœur, mais de donner des enfants à son mari, à sa tribu, à son peuple, de trouver des protecteurs, en particulier si elle est veuve ou étrangère, de sauver sa peau si elle se trouve au centre d’un conflit armé. C’est dans ce contexte que, bien souvent, l’amour se fait subversif.
La stérilité, qui humilie et pousse à la répudiation de la femme, est le fléau majeur rencontré par les couples. La solution ? Dans les familles aisées, la maîtresse a recours aux servantes. Sarah, la femme stérile d’Abraham, a dû inviter son mari à aller vers sa servante Agar afin qu’elle lui donne des fils.
Mais si cette pratique des «mères porteuses » était admise en Israël, la Bible en souligne aussi les limites: une fois enceinte, Agar oublie qu’elle a une maîtresse. Sarah, furieuse, se plaint à Abraham qui la soutient, et elle maltraite Agar tant et si bien que celle-ci s’enfuit au désert et que Dieu lui-même devra lui porter secours. Sarah exerce de manière subversive une sorte de «droit à l’enfant», ce que d’ailleurs la loi lui accordait; les enfants nés d’une servante étaient de plein droit ceux de l’épouse.

Travailler pour se marier
Pourtant la Bible connaît aussi le sentiment amoureux et sait très bien en rendre compte. Les premiers touchés sont Rachel et Jacob, le petit-fils de Sarah. Au puits où il rencontre Rachel, Jacob en tombe amoureux fou. Il lui «donne un baiser puis éclate en sanglots » (Gn 29,11). Sanglot qui trahit l’émotion de l’amour, mais en annonce aussi l’avenir douloureux. En effet, rien ne sera simple pour ces deux-là…
Regardons plutôt : pour la main de Rachel, Jacob s’offre à travailler sept années au service de Laban, son futur beau-père. Mais, au soir des noces, celui-ci met sa fille aînée dans le lit de son nouveau gendre. Il lui faudra une rude négociation avec son Laban et la promesse de sept autres années de travail pour pouvoir s’unir à celle qu’il aimait. Mais le lit conjugal reste partagé entre les deux sœurs… S’installe alors entre elles une sourde rivalité, rythmée par les cycles mensuels des deux femmes: enceinte, pas enceinte ? Cruel aiguillon sans cesse planté dans le cœur de Rachel, qui s’épuise en tentatives infructueuses, tandis que Léa est féconde… Enfin, après que Léa et les servantes ont donné dix fils à Jacob, Rachel accède enfin au statut de mère. Mais elle mourra en donnant naissance à son second fils, Benjamin. Rachel aura vraiment vécu sous un ciel plombé de nuages : son père, sa sœur, la stérilité, l’épuisement de son corps, tout se sera ligué contre elle… Cette figure souffrante est saisissante tant elle parvient à traduire le renoncement, la promesse impossible à tenir, l’incomplétude humaine, l’inévitable exil. Elle dit cette expérience humaine que l’on fait lorsqu’on s’approche des marges de l’humanité: l’amour ne peut tout. La subversion par l’amour ne serait pas, si elle ne craignait l’éventualité de l’échec.

Une «prostituée» rusée
Dès la génération suivante, des descendants d’Abraham surgit un autre type de subversion, elle aussi aimantée par la question de la descendance. On la doit à l’un des fils de Léa, Juda, héros bien malgré lui d’une ruse qui sera «féconde». Juda perd son fils aîné. Conformément à la loi, la jeune veuve, Tamar, peut épouser le frère du défunt, afin d’être protégée du dénuement. Mais celui-ci meurt à son tour. Juda, inquiet, refuse à Tamar, malgré la loi, son troisième et dernier fils, de peur que lui aussi ne meure.
Un beau jour, Juda, devenu veuf à son tour, croise sur son chemin une femme voilée, signe distinctif des prostituées, et il sollicite ses faveurs. «Que me donneras-tu ?», dit la femme. Judas donne son sceau, son cordon et sa canne. Quelques mois après, Juda, ayant appris que sa belle-fille était enceinte, demande… qu’elle soit brûlée vive! Tamar -car c’était elle qui s’était déguisée en prostituée- fait savoir que le père de l’enfant est celui à qui appartiennent le sceau, le cordon et la canne qu’elle présente alors. Juda est démasqué. «Elle est plus juste que moi», reconnaît-il humblement. Les jumeaux nés de cette union seront comptés comme fils de Juda. Tamar restera toujours leur mère.
Par le détour de la prostitution, subversion s’il en est, mais avec la loi de son pays comme appui, cette femme démunie a exercé son droit à la conjugalité. Passant par le déshonneur, Tamar a sauvé son honneur. Voici un bel exemple de relativisation des interdits sociaux lorsqu’un intérêt supérieur est en jeu.
C’est encore l’histoire d’une périlleuse relation entre une mère et son enfant qu’illustre le récit de l’enfance de Moïse. Devant la condamnation à mort de tous les enfants mâles des Hébreux, une femme, ayant accouché d’un fort bel enfant, le cache puis met au point un subterfuge pour qu’il vive. Elle l’abandonne sur une nacelle qu’elle laisse dériver sur le Nil jusqu’à ce que la fille de Pharaon aperçoive l’enfant et, bien sûr, veuille le sauver. La sœur de Moïse, qui -comme par hasard- traînait dans les parages, propose une nourrice qui sera… la vraie mère de l’enfant. Tendre et riche histoire, qui montre qu’une mère peut aimer au point de renoncer à son statut de mère. Celle qui a enfanté à présent accepte de n’être que la servante… Il y faut pas mal d’abnégation. Subversion douce, dépossession aimante.
Il faudrait encore parler de Rahab, la prostituée de Jéricho, qui abrite les envoyés des Hébreux et en eut la vie sauve; de Bethsabée qui conquiert le cœur de David et pour laquelle celui-ci commet un crime odieux; de Ruth l’étrangère démunie qui, par amour de sa belle-mère, accepte de rester en Israël alors qu’elle vient d’un pays honni. Tamar, Rahab, Ruth et Bethsabée sont les seules femmes à figurer dans la liste des ancêtres de Jésus (Mt 1,1-17). Signe évident que la bienséance, la pureté du sang, la conformité à la Loi ne suffisent pas à donner la vie.

Subversion de l’amour
Il y a davantage encore en matière de subversion par l’amour. Il suffit pour s’en rendre compte de lire le récit de feu des deux amants du Cantique des cantiques. L’érotisme qui s’y exprime est libéré de tout tabou: baisers de la bouche, caresses meilleures que le vin, lèvres au ruban écarlate, seins comme des faons, ventre qui s’émeut, abdomen comme un monceau de blé… Les corps chantent et, hors ce «Cantique des corps», rien, ni parents, ni chômage, ni soucis d’argent, ne vient entraver le libre jeu de l’amour: les amoureux sont seuls au monde. Sommes-nous ici à l’acmé de la subversion par l’amour ? Oui, à condition d’observer, comme l’a fait magistralement Nicole Jeammet(1), que cet amour va passer au feu de la forge. D’un amour passion, en miroir, idéalisé, il va devenir au fil des chants un amour fait de l’acceptation heureuse de l’autre et de sa nécessaire distance. Une fois ceci observé, il reste enfin à se demander si la subversion la plus inouïe n’est pas encore à découvrir.
Si ce livre aussi osé a été accepté dans le Canon des Écritures juives et chrétiennes -après bien des débats- c’est parce qu’on a vu dans l’amour du couple la métaphore de l’amour de Dieu et du croyant, ou de l’Église. Dieu aime comme un homme aime une femme, ou comme une femme aime un homme. Si l’amour humain devient capable de signifier l’amour de Dieu, n’avons-nous pas atteint l’absolu de la subversion par l’amour ? Plus encore, si l’amour est placé en Dieu même, est-il encore subversif ? Ce qui est devenu le langage même de Dieu n’est-il pas devenu, en quelque sorte, le bien commun?

(1) Nicole Jeammet, Amour, sexualité, tendresse : la réconciliation ?, Éd. Odile Jacob, 2005, 256 p. 23,90 €.

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