Refonder l’Eglise J Moingt Nov 2017 – CCBF.
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Appel
de Joseph Moingt aux baptisés/es.
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Conférence
de J.P. Gallez sur le thème.
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R E F O N D E R L' E G L
I S E, Joseph MOINGT.
Appel de Joseph Moingt à tous les baptisé.e.s
de France
11 Novembre 2017.
Chers amis,
lecteurs et auditeurs,
Refonder
l'Église
Le projet a de quoi donner le frisson à d'éminents
gardiens du « dépôt de la foi ». Car l'Église n'est fondée que sur la
foi, qui est la sienne depuis toujours. Nous en convenons tous ; mais pas
sur la foi d'un passé depuis longtemps moribond, ni d'un « dépôt »
cadenassé, sans voix ni visage. L'Église ne peut se fonder que sur la foi
des baptisés. Pas de ceux, encore assez nombreux, qui peuplent la
France mais ont cessé de croire et de pratiquer la foi. Seulement sur la foi
des baptisés restés croyants, ardemment croyants et désireux que leur Église
redevienne vivante : c'est la foi des fidèles qui est le vrai et sûr
fondement de l'Église.
À condition
qu'elle soit restée fidèle à celle du passé ?
Mais non, du moins ne faut-il pas le dire comme
cela ! La fidélité au passé n'est souvent que le réemploi de formules et
de rites : rien de vivant, rien de solide. La foi qui sera le sûr
fondement de l'Église, c'est celle qui se sera attachée à repenser la foi du
passé, car la vie de la foi est d'être pensée, et la foi
d'aujourd'hui paraît chancelante dans la mesure où elle répète son passé à
défaut de le repenser.
Repenser la
foi
La pensée ou le logos de la foi, c'est la ‘théo-logie’,
science ou langage de la foi. Voici donc les baptisé(e)s de France
mis en demeure de devenir théologien(ne)s ! Auquel des deux sens de ce
mot ? Sans exclure le premier, car il y a déjà de nombreux laïcs
théologiens professionnels, il me semble que la vocation des baptisés laïques
soit plutôt de l'ordre d'un discours vivace : parler entre eux et autour d'eux un langage de foi, redonner
du sens à la foi en la
laissant parler dans le langage vivant
des gens d'aujourd'hui, parler de ce qui les intéresse et surtout les
inquiète, de leur vie personnelle, familiale ou professionnelle, des questions
d'éthique, d'économie ou de politique dont tout le monde parle autour d'eux et
qui peuvent avoir des répercussions sur leur métier, leur avenir ou leurs
enfants. Il s'agira aussi de la foi elle-même, de questions auxquelles ils ont
achoppé dans le passé, de réminiscences des années de catéchisme qui leur
reviennent en mémoire comme autant d'empêchements à croire ; vous saurez y
répondre en croyants qui ont éprouvé de semblables difficultés et appris à les
surmonter, non par de savantes recherches, mais le plus souvent, en découvrant
dans l'entretien avec d'autres croyants et dans une prière commune le vrai
visage, paternel et fraternel, de Dieu et du Christ.
Dans une
prière commune ?
Oui, c'est là seulement, dans la vérité de leurs
relations mutuelles d'amitié que les chrétiens découvriront, à la lumière de
l'Esprit Saint, le vrai visage de Dieu et de Jésus présents au milieu d'eux en
tant que Père et Fils et nous aimant d'un même amour, paternel et fraternel. En
d'autres termes, refonder l'Église exige de créer des communautés priantes et célébrantes dans
lesquelles la foi des chrétiens se fera interrogative et attentive pour
présenter à Dieu les questions des gens au milieu desquels ils vivent et qu'ils
pourront d'ailleurs inviter à leurs célébrations, dépouillées du formalisme
traditionnel.
Des
célébrations non traditionnelles ?
J'entends déjà les protestations de chrétiens
autoproclamés gardiens du temple. Ce sera le nouveau baptême auquel vous devrez
vous préparer.
Un nouveau
baptême à recevoir ?
Oui, bien que déjà baptisé par Jean dans le
désert, Jésus, vers le milieu de sa mission, parlait d'un autre baptême qui
l'attendait comme d'un feu qu'il
était « venu apporter sur la terre » et avait hâte d'allumer, et il
désignait ainsi les « divisions » familiales dont il serait cause
(Luc 12, 49-53), et les cassures à venir dans les sociétés et entre peuples.
Non qu'il recherchât la division, lui qui apportait la paix. Mais il savait que
les peuples ne l'accepteraient pas avant d'avoir vidé leurs querelles entre
eux, et c'est vers cet avenir pacifié que se portait son espoir.
Baptisé(e)s de France, le baptême dont vous vous
réclamez est toujours devant vous, à recevoir comme nouveau, parce que
l'histoire nous fait face, bruyante de menaces de guerre, toujours à
recommencer. Alors, armez-vous de la patience de Jésus pour tisser autour de
vous des liens de fraternité, toujours à renouer.
Joseph Moingt
PS.
Je ne suis pas
certain d'avoir le droit de signer, sous-signer ou co-signer cet appel qui va
vous être adressé par Jean-Pol Gallez, jeune théologien belge hautement
qualifié, qui a analysé ma pensée avec une telle méthode et profondeur que je
ne peux pas ne pas la reconnaître dans ce qu'il en dit, mais comme dans un
au-delà de ma pensée qui aurait germé dans la sienne, parce qu'elle vient de la
même source où je l'avais puisée, en sorte qu'elle lui appartient désormais
autant qu'à moi.
Merci, Jean-Pol,
d'être venu de loin parler à mes amis français, qui sont aussi les vôtres [*].
Merci à votre épouse, Thérèse, de vous avoir soutenu et accompagné. Et merci à
Anne Soupa d'avoir organisé cette rencontre, première pierre d'une refondation.
J. M.
[*] Le texte
intégral de la conférence de J-P Gallez à Paris le 21 octobre 2017 lors du WE
de rentrée de la Conférence catholique des baptisé-e-s francophones est
disponible dans le document PDF que vous pouvez télécharger ci-après.
JOSEPH MOINGT
: REFONDER L’ÉGLISE, Jean-Pol Gallez.
CCBF Paris
– 21 octobre 2017.
Textes de J. Moingt en italique, tirés de ses
livres :
HD = L’homme qui venait de Dieu (1993) ;
Dh = Dieu qui vient à l’homme (2002, 2005 et 2007)
;
CDV = Croire au Dieu qui vient (2014 et 2016) ;
ESE = L’Évangile sauvera l’Église (2013) ;
CQM : Croire quand même (2010) ;
INTRODUCTION
Joseph Moingt est-il « le
théologien » de la Conférence ? La question exige de croiser les orientations
respectives de la pensée de Moingt avec celles de la Conférence. Cela demande
un travail théologique un peu approfondi même si de sérieuses affinités
semblent assez claires : souci de la place des laïcs, du sensus fidei, appel à
garder le lien avec l’autorité, caractère inachevé de Vatican II… À cet égard,
je ne manquerai pas de relever les « atomes crochus » que j’ai repérés entre
les conclusions du think tank Ecclesia nova et la pensée de Moingt.
Mais je souhaite avant tout vous
proposer un parcours à travers la pensée de Moingt afin d’en reprendre les
grands mouvements. C’est ainsi que les propos les plus interpellant de l’auteur
-qu’il s’agisse du dogme ou de l’Église- ne se comprennent qu’à la lumière de sa définition du christianisme. Ce sera
le fil rouge de mon exposé, que je résume comme suit : le christianisme révèle une nouvelle idée de Dieu à laquelle la
tradition de l’Église se doit d’être fidèle. Pas d’ecclésiologie sans
théologie fondamentale ! Pas de vision de l’Église -de sa mission et de ses
structures- sans mise au point sur les concepts spécifiquement chrétiens de «
tradition » ou de « révélation ». Dit encore plus simplement, on ne peut
réfléchir aux questions d’organisation de l’Église ou à ses ministères, sans
être pénétré au préalable d’un « esprit du christianisme » tel que Moingt le
comprend.
Ce fil rouge commande le plan de
mon exposé. Je commencerai par élucider « les
fondamentaux » de la pensée de l’auteur. C’est ce fameux « esprit du
christianisme » dont je dirai d’abord ce qu’il n’est pas puis ce qu’il est
selon Moingt (point 1). À ces fondamentaux correspondront une vision de l’Église fondée sur un déplacement souhaité de son
centre de gravité. La réflexion s’opèrera selon un jeu de miroir faisant droit
au discernement effectué dans le premier temps afin de montrer comment le baptême constitue le cœur de la révélation
chrétienne (point 2).
1- L’ESPRIT DU
CHRISTIANISME
Lorsque Moingt cherche à définir
l’essence du christianisme, il le fait d’une double manière dont les deux
aspects ne sont que les revers l’un de l’autre. Il y a d’abord, négativement, ce que le christianisme
n’est pas ; puis, positivement, ce
que l’on peut affirmer à son sujet. Je prendrai les points dans le même
ordre.
a) Un fondement non-religieux
[1] « À
notre époque, où renaissent en différents endroits du globe de violents
conflits religieux, il est important que le christianisme se signale par ce qui
le différencie radicalement de toute autre religion, à savoir de n’être pas
fondé sur du sacré, sur l’autorité d’une loi et d’une tradition immémoriales et
intangibles, mais sur un Évangile, une Bonne nouvelle, une parole de libération
et de paix » (L’Évangile sauvera l’Église, p. 87-88).
Moingt rappelle ainsi que
le christianisme n’est pas fondé sur une religion mais sur un Évangile. C’est
pourquoi nous assistons avec le Christ à une « évolution capitale de l’humanité
» (HD, p. 472-473) dont les deux principaux éléments de basculement sont les
suivants :
-
Passage de la loi religieuse à la loi éthique : désormais, la moralité
est désacralisée du fait même d’être séparée de la religion. La loi nouvelle
est celle de la charité et elle s’exerce à partir de la conscience même de
l’individu guidé par l’unique double commandement de l’amour de Dieu et du
prochain qui « résume la totalité de la révélation » (HD, p. 478) ;
-
Changement de sujet : il ne s’agit plus d’adorer Dieu
dans un culte mais d’aimer le prochain en qui se trouve désormais l’absolu de
Dieu (HD, p. 483). La révélation s’accomplit donc en promotion du sujet. La
charité devient « principe de salut » auquel aucun acte de religion ne peut
suppléer (HD, p. 487-488) et le salut libération de la religion car il ne
s’agit plus « de se vouer à Dieu mais de se dévouer pour le prochain » (HD, p.
489).
Pour fonder son jugement
théologique, Moingt examine longuement le conflit originel entre Jésus et les
autorités religieuses qui le condamneront pour blasphème au nom de leur loi
religieuse. De ce conflit, Moingt livre une analyse théologique sans concession
sur la nature de la religion dont Jésus dénonce les prétentions hégémoniques en
relativisant l’obéissance à la loi (repas avec les pécheurs, guérisons le jour
de sabbat, enseignement sur le pur et l’impur, etc.) pour concentrer sa mission
sur la loi éthique qui n’est autre que celle de la conscience :
[2] « La
religion -toute religion- est travaillée par un besoin profond et un dynamisme
puissant d’intégration et d’exclusion en vertu de sa mission de “relierˮ les
hommes à la divinité, […] Il est donc de sa nature de fabriquer des exclus […].
Elle est par nature totalitaire […] : elle entend […] régenter la vie sociale, […], imposer sa
marque à la société, […] en toutes choses elle impose sa médiation. Or, […]
Jésus […] dénonce les prétentions hégémoniques de la religion […] Du fait qu’il
relativise l’obéissance à la loi religieuse, il donne toute sa force à la loi
éthique. […] Les institutions religieuses sont de fausses médiations […] Elles
sont utiles en tant qu’elles balisent un chemin vers Dieu, et il serait
téméraire de les rejeter, […] mais elles ne relient pas directement à Dieu, même
si elles le croient et que les fidèles le croient […] » (Dieu qui vient à
l’homme, t. 1, p. 387-391).
Le christianisme,
puisqu’il ne possède aucun fondement religieux, opère donc comme instance
critique de toute religion, y compris la religion chrétienne. Par la force de
l’Évangile, il conduit alors les hommes et les sociétés à sortir de religion.
L’Évangile accomplit un mouvement historique de sortie de la religion qui est
identiquement une histoire de révélation en cours depuis les lointaines origines
du croire, lui-même depuis toujours lié à l’attente d’un salut (CDV, t. 1, p.
60) compris comme un accomplissement humain (CDV, t. 1, p. 133-134). Cela
expliquerait-il le mouvement actuel de sortie de la religion, constaté par bien
des sociologues ? Cela ne fait aucun doute pour Moingt.
[3] « […]
l’histoire n’est pas sortie de la religion par la vertu propre de la religion,
qui est, au contraire, résistance au mouvement, mais par la vertu d’autres
énergies spirituelles, raison, liberté ou appel d’une transcendance. La société
moderne ne doit donc pas sa naissance à ce que le christianisme a de commun
avec le genre religion -de ce côté-là, elle n’a reçu de lui que contrainte et
opposition-, mais à la force explosive de la “Bonne Nouvelleˮ, qui le propulse
dans l’histoire précisément pour faire histoire » (Dieu qui vient à l’homme, t.
1, p. 123).
Vous me demanderez alors
s’il est encore possible d’accoler les termes « christianisme » et « religion »
? Oui mais à condition de bien comprendre la nature spécifique de la « religion
chrétienne ». Car le grand basculement apporté par Jésus change la visibilité
de la religion :
-
la dimension invisible l’emportera désormais sur la
dimension visible car c’est « l’adoration en esprit et en vérité » (CQM,
p. 100-101) qui prévaut. C’est la « vie de foi » expérimentée à travers
l’exercice de la conscience personnelle qui l’emporte sur des « lois, des
règles de morale, des pratiques cultuelles, alimentaires, pénitentielles, des
dévotions » (CQM, p. 35) ;
-
la face visible de la foi chrétienne s’exprimera
prioritairement sur le terrain du comportement éthique, plus à travers le culte
comme le font toutes les religions. Car la vraie religion de l’Évangile, c’est
celle qui fait vivre Dieu dans l’agir du chrétien :
[4] « Dieu
vit au cœur de l’humanité, dans cet espace spirituel structuré par des
relations de charité. Dieu vit là. Son cœur palpite là, au cœur de notre
histoire humaine. Voilà la vraie religion “en esprit et en véritéˮ […] »
(L’Évangile sauvera l’Église, p. 145).
Au total, il apparaît que
le christianisme se distingue du genre « religion » car il révèle une nouvelle
idée de Dieu. Celle-ci n’est ni le Dieu tout-puissant, exogène et sacré (CDV,
t. 1, p. 129) de la religion -celui qui attend notre adoration-, ni le Dieu
lointain et impassible de la philosophie -l’architecte de l’univers insensible
à nos maux.
b) Un humanisme nouveau
Jusqu’ici, j’ai défini
négativement le fondement du christianisme : il est non-religieux. Le moment
est venu de le décrire positivement : le christianisme est un humanisme
nouveau, celui de l’Évangile, fondé dans un fait inconnu jusqu’alors dans
l’histoire des religions, à savoir le don de l’Esprit que Moingt considère
comme « principe […] d’une rénovation perpétuelle » (Dh 1, p. 129) qui
désormais « tient lieu de loi » au chrétien (Dh 1, p. 128).
De sa fondation dans le
don historique de l’Esprit, découle les conséquences suivantes :
-
L’universalité en tant que l’Esprit est donné à toute
l’humanité pour permettre à tout homme d’entrer dans la pratique de la loi de
charité alors qu’une religion sera toujours liée à une race, une culture, un
peuple, des frontières par la pratique d’un culte et le respect de règles
spécifiques ;
-
De ce fait nouveau découle un humanisme nouveau qui se
ressource directement dans l’événement de mort – résurrection de Jésus
[5] « En passant par la mort et la résurrection, le Christ
a donc acquis une dimension d’humanité universelle, il est devenu le frère de
tous les hommes […] capable d’une relation personnelle à chacun […] tout en
créant des liens de fraternité entre tous […] Il est le promoteur d’un “moiˮ
invité à s’intégrer à un “nousˮ […] appelé à s’élargir à “tousˮ. […] Cet
“humanisme évangéliqueˮ est caractérisé par l’effacement des frontières et des
inégalités […] La révélation se montre ainsi ouverte sur l’avenir de
l’humanité, en ce sens qu’elle vient aussi, en même temps que de la
résurrection, du terme de l’histoire, d’une histoire à faire par les hommes et
pour eux » (Dieu qui vient à l’homme, t. 1, p. 421-422).
Un mot des sources
scripturaires du concept d’ « humanisme évangélique ». Moingt en souligne deux
qui dessinent, en même temps, toute l’histoire de la révélation :
-
le prophétisme de l’Ancien Testament car c’est là que la
Révélation appelle déjà à ne pas réduire la foi à la religion et à la loi, à ne
pas prendre celle-ci « au pied de la lettre » (CQM, p. 91) ;
-
l’esprit des Béatitudes car elles sont la figure du
Royaume que les prophètes préfigurent et dont Jésus proclame qu’il est arrivé
en sa personne.
Cela nous conduit à
examiner le contenu de l’humanisme évangélique. Contrairement à la précision
casuistique des règles édictées par les religions, la religion de l’Évangile
renvoie à la conscience du sujet. Elle est pratique de la charité et
effectuation, dans la foi, de l’esprit des Béatitudes du Royaume :
[6] « Le
royaume de Dieu relève […] de la “règle d’or”, non d’un devoir de religion,
mais d’un devoir d’humanité […]. Cette règle, totalement indéterminée, est
livrée à notre désir, […] la voie du salut est celle de l’élargissement de
notre sens de l’humanité. Une précieuse conclusion se dégage : le salut est
plus proche d’une pratique humaniste que religieuse. […] L’humanisme
évangélique […] s’exerce dans le domaine de la sécularité » (Dieu qui vient à
l’homme, t. 2/2, p. 979).
C’est en rapprochant les
pensées de Paul et de Jean que Moingt fait le mieux apparaître les figures
concrètes que prend l’humanisme évangélique. De Paul, Moingt retient surtout sa
théologie de l’homme nouveau en Christ : « Si quelqu’un est en Christ, il est
une nouvelle créature. Le monde ancien est passé, voici qu’une réalité nouvelle
est là » (1 Cor 5, 17). On sait que Paul voit l’homme ancien comme celui qui
n’est pas encore mort au péché, c’est-àdire à son égocentrisme, voire à son
égoïsme – c’est le sens du mot « chair » chez Paul – dont l’antithèse se trouve
précisément dans le testament de Jésus, exprimé par Jean, et sur lequel Moingt
fonde sa lecture de la finalité de la révélation chrétienne : « Que tous soient
un comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’ils soient en nous eux aussi
[…] » (Jn 17, 21). Le Projet de Dieu est bien d’aider l’homme à dépasser ses
égoïsmes pour ramener toute l’humanité dans une unité fraternelle (ESE, p. 61).
C’est cet esprit d’universelles liberté, égalité et fraternité que tout
chrétien est appelé à incarner. Moingt explique que Paul l’avait d’emblée
compris :
[7] « Paul
s’est efforcé de mettre cette vision en pratique dans ses communautés, […] mais
il leur confiait la mission de vivre en société, au milieu des autres, comme
chacune vivait à l’intérieur de soi-même, sans discrimination. […] et il
préparait l’évolution des sociétés antiques, si fortement cloisonnées, vers un
nouveau type de société, fraternelle et ouverte : ce fut, c’est la contribution
de l’universel chrétien à celui de l’humanisme, […] » (Dieu qui vient à
l’homme, t. 2/2, p. 573).
Cet humanisme nouveau de
l’Évangile tient dans l’unique commandement d’aimer Dieu et son prochain
(supra) : en aimant Dieu à condition d’aimer le prochain, je ne suis plus un
adorateur du divin comme dans les religions, je deviens peu à peu un disciple
de Jésus, c’est-à-dire un homme de foi.
L’idée de Dieu s’en
trouve du coup modifiée profondément : Dieu est proche et faible, il habite sa
Création ; le salut qu’il offre n’est plus objet de savoir, de croyance ou de
commerce avec lui mais est un don gratuit révélé par la vie et la mort d’un
homme ; le Dieu de Jésus est engagé dans la révélation d’un sens de
l’existence. Le concept de Dieu ne passe alors ni par l’adoration religieuse,
ni par la conceptualisation philosophique, mais par une réflexion de l’homme
sur lui-même :
[8] « […]
je ne peux appréhender Dieu qu’en essayant de m’appréhender moi-même […] et la
foi en Dieu donne sens à ma vie, c’est là où je peux accorder ma foi avec ma
raison parce que cette foi me permet de vivre, de vivre humainement, […] »
(L’Évangile sauvera l’Église, p. 262-263).
Tel est l’esprit du christianisme
qui doit imprégner l’Église, que ce soit dans sa mission ou dans son
organisation. Elle rend nécessaire de revisiter la tradition de la foi car
celle-ci a été recouverte du « voile » de la religion (Dh 1, p. 278).
2- HUMANISME
EVANGELIQUE ET STRUCTURES D’ÉGLISE
Commençons par constater à quel
point l’idée de Dieu révélée par Jésus constitue bien la préoccupation première
de Moingt et conditionne fondamentalement sa réflexion ecclésiologique :
[9] Choisir
un certain type d’Église, […] c’est d’avance dire quelle idée de Dieu nous
habite, quel Dieu nous voulons annoncer au monde – de même que Jésus, décrivant
en paraboles le Royaume de Dieu, révélait de quel Dieu il venait, […] » (Croire
au Dieu qui vient, t. 2, p. 437).
S’il y a un sens à refonder
l’Église, c’est bien celui qui consiste à le faire en vue d’annoncer l’idée
chrétienne de Dieu de la manière la plus fidèle possible à l’Évangile. Moingt
pose l’enjeu comme suit :
[10] « […]
nous aurons à nous demander si l’Église est bien organisée pour dire la foi,
soit au-dedans d’elle-même, soit au dehors ? » (L’Évangile sauvera l’Église, p.
103, 243). « Le problème […] relève de la théologie politique, il consiste à
organiser la politeia, la concitoyenneté, la vie de la cité (polis) chrétienne
(Ep 2, 19), afin qu’elle fonctionne harmonieusement à la fois en elle-même et
en accord avec la cité séculière. Cet accord est le point crucial » (Dieu qui
vient à l’homme, t. 2/2, p. 801).
Un principe-clé va guider Moingt
à travers son propos sur l’Église. Il existe, en effet, dans l’Évangile, un
appel lancé par Jésus et qui résume ce qu’est l’humanisme nouveau de l’Évangile
: il s’agit du paradoxe évangélique de l’exercice du pouvoir sans domination ni
inégalité (Dh 2/2, p. 703) prescrit par Jésus en Mt 20, 25-281.
Comme pour le premier point, je
procède en deux volets qui fonctionnent en miroir l’un de l’autre : le premier,
négatif, entre dans la critique du sacerdoce ministériel et renvoie au
fondement non-religieux du christianisme ; le second, positif, manifestera le
baptême en tant que pierre angulaire de l’esprit du christianisme et correspond
à sa fondation dans l’Esprit en tant qu’humanisme nouveau.
a) Christianisme et sacerdoce
La question est délicate
pour deux raisons au moins :
-
Elle concerne exclusivement la critique théologique d’un
modèle institutionnel inventé par la Tradition, en aucun cas un jugement
subjectif porté sur la foi de ceux qui ont fait le choix de devenir « prêtre »
;
-
Elle touche chaque chrétien dans son propre rapport avec
le sacré et la religion et le pousse à questionner les raisons de son propre
attachement à cette figure sacerdotale.
Mais l’enjeu est de
taille puisqu’il s’agit, ni plus ni moins, de concrétiser l’humanisme
évangélique au plan ecclésiologique via le paradoxe du pouvoir sans domination.
En effet,
[11] « […]
l’autorité sacerdotale doit obéir au même paradoxe évangélique que l’autorité
de commander admise par Jésus de la part des apôtres : ici, pouvoir sans
domination, là, pouvoir sans accaparement ni exclusive » (Dieu qui vient à
l’homme, t. 2/2, p. 854).
Pour Moingt, la prééminence d’un
sacerdoce ministériel pose un triple problème :
-
La thèse est mal fondée théologiquement. Elle est, en effet,
conçue sur le modèle de la médiation religieuse et sacrée plutôt que de reposer
sur la mission historique de l’Esprit Saint (Dh 2/2, p. 839)2. Elle vise donc
d’abord à répondre aux besoins internes et cultuels des fidèles bien qu’elle
prétende s’inscrire dans le dynamisme de l’annonce évangélique. C’est parce
qu’elle a éprouvé le besoin de remettre de l’ordre au sein des hérésies
gnostiques (CDV 2, p. 438) que l’Église a ressuscité la figure
veterotestamentaire du sacerdoce sacré. C’est aussi parce qu’elle est devenue
une religion établie soucieuse de prendre la place de la religion juive que
l’Église a lié à ce sacerdoce un sens sacrificiel qu’une liturgie devrait
renouveler indéfiniment (CDV 2, p. 490). Ceci nous mène à la seconde carence,
d’ordre historique celle-là ;
-
La thèse est mal fondée historiquement. Dans les deux premiers
siècles, aucun ministre ne se voit attribuer de pouvoirs sacrés et l’institution
a subi de nombreuses évolutions au cours des siècles. En conclusion de son
étude de la toute jeune tradition apostolique, Moingt lâche un propos laconique
et tranchant :
[12] « Bref, quand on consulte les récits des origines
chrétiennes, on ne voit aucun apôtre, ni quelqu’un d’autre, se mettre à part de
la communauté en vertu d’un caractère sacré, ni agir en tant que ministre d’un
culte nouveau, ni accomplir d’actes spécifiquement rituels ; on n’observe
aucune trace d’une distinction entre personnes consacrées et non consacrées,
[…]. Le cahier des charges d’une institution sacerdotale est vide » (Dieu qui
vient à l’homme, t. 2/2, p. 842).
Pour Moingt, la façon
dont le sacerdoce du Nouveau Testament – qui vise tous les chrétiens
indistinctement – a évolué en direction de l’institution d’un ministère
consacré spécifique montre que
[13] « la
fonctionnalité du sacerdoce est livrée à l’herméneutique de l’Église, qui la
définit selon ses besoins » (Dieu qui vient à l’homme, t. 2/2, p. 843).
-
La thèse est trop radicale. Privilégier le recrutement de
prêtres, c’est soutenir qu’aucune vie chrétienne n’est possible sans leur
assistance. C’est maintenir la majorité des chrétiens dans un état de
dépendance et de minorité à l’égard de quelques-uns. C’est en outre ne pas voir
que le problème le plus pressant concerne la fuite des chrétiens hors de
l’Église et le rejet de celle-ci par la culture actuelle.
Comme on le voit, le problème
n’est pas d’ordonner ou non des femmes, ni d’autoriser un prêtre de se marier
ou non (ESE, p. 39 et s.), mais d’inventer un nouvel être-ensemble ecclésial –
une « concitoyenneté » (supra) – en dehors de toute logique cléricale (QCM, p.
193) et de saisir que la question de la place des laïcs est un problème
structurel qui « interpelle la révélation au plus profond d’elle-même » (Dh
2/2, p. 797)3 :
[14] « […]
je pense que le salut de l’Église n’est pas de renforcer les rangs du clergé.
C’est d’abord d’établir l’égalité à la base, de redonner la parole dont jadis
ont joui les fidèles dans l’Église, de la laisser se répandre largement, pour
que les chrétiens puissent prendre leurs responsabilités, c’est-à-dire qu’ils
se sentent responsables de l’Église et de sa survie dans le monde. Je ne crois
pas, pour ma part, que l’Église risque de disparaître à cause du manque de
personnes consacrées, du manque de prêtres » (L’Évangile sauvera l’Église, p.
44).
À présent, nous
comprendrons mieux pourquoi Moingt situe la question du sacerdoce au cœur de ce
qu’il appelle une « crise de communication » (Dh 2/2, p. 796) entre l’Église et
le monde. En raison d’une collusion d’intérêts précoce avec le pouvoir mondain,
l’Église s’est habituée assez tôt à fonctionner selon des rapports de
domination qui ne font pas honneur au paradoxe évangélique de l’exercice du
pouvoir sans domination ni inégalité (supra). La distinction clerc-laïc était
née et allait se renforcer au cours des siècles en réservant l’annonce de
l’Évangile à un clergé. Tant que la société et l’Église ont fonctionné sur le
mode de l’exercice mondain du pouvoir, la communication interne et externe de
l’Église fonctionnait bien. Dans un monde presque totalement chrétien, tous
entendaient cette annonce. Mais dans un monde occidental démocratisé et sorti
de religion, le fonctionnement de l’autorité dans l’Église apparaît comme
inégalitaire et la Parole n’est plus annoncée au monde car le modèle religieux
qui la porte s’est épuisé. Aujourd’hui, c’est ce défaut de communication
interne à l’Église hérité du passé qui, renforcé par le tarissement du
recrutement sacerdotal, endommage fortement la communication de l’Église avec
le monde. Ce défaut ne fait que rappeler l’esprit de domination entretenu par
l’Église à l’endroit de la société pendant des siècles et que celle-ci, se
démocratisant, a légitimement rejeté. C’est pourquoi Moingt parle d’une «
homologie » profonde entre le rapport du clergé aux laïcs et celui de l’Église
à la société (Dh 2/2, p. 798) :
[15] « Ainsi
arrive-t-on à un point de rupture entre le ministère sacerdotal et le sacerdoce
commun des fidèles [qui] ne fait que redoubler, à l’intérieur de l’Église,
celle qui s’est produite dans les temps modernes entre le christianisme et la
société occidentale […] » (Dieu qui vient à l’homme, t. 2/2, p. 856).
D’une solution religieuse
d’annonce de l’Évangile – le sacerdoce ministériel – il convient donc
d’organiser la transition vers une solution non-religieuse, conformément à «
l’esprit du christianisme ». Or, cette solution est contenue dans le concept de
« sacerdoce commun des baptisés » remis à l’honneur par Vatican II. Moingt
resitue ce passage dans le long cours de la tradition :
[16] « On
ne reprochera pas à Jésus d’avoir oublié de doter les apôtres d’un rituel et
d’un code de droit canonique, on n’a pas reproché à l’institution
ecclésiastique d’y avoir pourvu en temps voulu. Alors, qu’on ne reproche pas
aux communautés de laïcs de chercher à mettre en œuvre le sacerdoce
communautaire qu’elles ont reçu de l’Esprit de Jésus » (L’Évangile sauvera
l’Église, p. 274).
b) Baptême et humanisme nouveau
Car le problème est bien
celui-ci : la Tradition a créé un sacerdoce ministériel auquel elle a
subordonné le sacerdoce commun en le vidant pratiquement de sa substance. En
bref, le sacerdoce commun est devenu le privilège des ministres consacrés (Dh
2/2, p. 849) en prenant la forme d’un sacerdoce ministériel exercé à
l’exclusion des autres. Or, ce que Vatican II appelle le « sacerdoce commun des
fidèles » symbolise justement ce changement historique apporté par Jésus à
l’égard de la religion (supra). C’est pourquoi il concerne l’identité du
chrétien et marque sa centralité dans la révélation chrétienne tant « sa
nouveauté annonce la substitution de l’Esprit à la Loi, la libération de la Loi
par l’advenue de l’Esprit » (Dh 2/2, p. 848). En toute bonne logique
évangélique, tout ministère doit rester subordonné au sacerdoce commun des
fidèles.
Outre cette disposition
fondamentale, relevons avec Moingt les traits caractéristiques du sacerdoce
commun :
-
Il est évidemment étranger à tout esprit de religion et
est, pour cette raison, « dépourvu de rites et de pouvoirs sacrés
» (Dh 2/2, p. 848). Pour la même raison, il est inapte à faire surgir de
nouveaux médiateurs attitrés comme c’était le cas dans l’ancienne Alliance (Dh
2/2, p. 850). S’il ouvre à un culte déterminé, ce sera sous la forme d’une
annonce et d’un témoignage collectif qui ne requiert nullement l’intervention
d’un expert consacré. Or, c’est le sens profond de l’eucharistie que de faire
mémoire du don que fait Jésus de son propre sacerdoce à tous ses amis ;
-
L’eucharistie ! Située au cœur du sacerdoce du Nouveau
Testament, lui-même au centre d’une définition du christianisme compris comme
humanisme nouveau, l’eucharistie est non seulement un droit mais un devoir en
tant qu’elle qualifie l’identité du chrétien (Dh 2/2, p. 863). À ce titre, elle
constitue un bien commun des chrétiens qu’aucun ministère, pas même « ordonné
», ne peut entraver. C’est pourquoi Moingt n’a aucune peine à envisager que des
petites communautés de chrétiens puissent célébrer l’eucharistie au titre de leur
baptême 4.
Voilà ce qu’exige
l’esprit du christianisme au niveau de la condition chrétienne. Cela se
traduisait aux origines par une grande diversité de ministères, ainsi que Paul
en rend compte (CDV 2, p. 109). Alors comment concilier cet esprit de liberté
avec la « constitution hiérarchique de l’Église » (CDV 2, p. 113) ? Moingt
souligne la légitimité et la nécessité d’une autorité dans l’Église mais il
entend la réaligner sur la façon dont l’autorité apostolique était conçue et
exercée aux origines, à savoir en stricte dépendance du sacerdoce commun et de
la mission d’annonce de l’Évangile confiée par Jésus. Concrètement, cela se
traduit par deux éléments fondamentaux qui devraient être, aujourd’hui, des
réformes prioritaires dans l’Église :
-
Un apôtre n’est pas, aux origines, un chef de communauté
locale. Il laisse celle-ci s’organiser et se gouverner en toute autonomie et n’y
intervient que pour y rétablir l’unité de la foi. Il possède une autorité
sacerdotale d’enseignement et de gouvernement universelle et souveraine mais
qui ne s’exerce qu’à distance des communautés locales et dans le seul but de
les aider à maintenir l’unité de la foi et la communion ecclésiale (Dh 2/2, p.
852-854). Le « prêtre » retrouverait alors sa posture originelle de
collaborateur privilégié de l’évêque et, avec lui, le caractère itinérant qui
sied au dynamisme d’annonce de l’Évangile (Dh 2/2, p. 865-866). Là où la
religion centralise, la foi décentre et universalise… 5
-
L’apôtre n’est pas non plus l’homme du sacré 6. S’il doit exercer un ministère cultuel quelconque au nom de
cette autorité universelle et souveraine, le respect dû au sacerdoce commun
impose néanmoins que ce ne soit pas à l’exclusion de celui que le peuple
chrétien doit pouvoir rendre au nom de son baptême. Cela corrigera cette
déviation historique qui a vu l’autorité apostolique se transformer en monde
clos et séparé – « consacré » – du reste du peuple chrétien (Dh 2/2, p. 855). À
l’inverse, le « laïc » ne cherchera pas à imiter le prêtre car cela reviendrait
à demeurer dans une logique de religion et de pouvoir contraire à l’esprit du
christianisme. Il ne s’agit donc nullement de « restaurer un clergé, même laïc
» (ESE, p. 148) : « ne singez pas le prêtre », commande Moingt aux laïcs (ESE,
p. 160.204)7.
Au total, l’on devrait
parvenir au rétablissement d’un équilibre qui verrait, d’un côté l’autorité
ecclésiastique renoncer à son monopole dans la mission commune d’annoncer la
foi et, d’un autre côté, le peuple chrétien respecter cette autorité dans sa
mission, reçue du Christ, de vigilance et d’unité de la foi (Dh 2/2, p. 857)8.
Chacun participe pour sa part à l’unique sacerdoce du Christ : l’autorité en
rassemblant l’Église, les communautés de chrétiens en disséminant 9 l’Évangile dans le monde (Dh 2/2, p.
858) 10. Ce principe de
réconciliation rétablira la communication interne et externe de l’Église. En
résumé :
[17] « […]
la Croix du Christ s’interpose, conjointement à la loi de l’Esprit, pour
limiter le pouvoir des uns et l’autonomie des autres et enjoindre de chaque
côté le respect de l’altérité de l’autre » (Dieu qui vient à l’homme, t. 2/2, p. 857).
CONCLUSION ET APPEL
Loin de vouloir ériger le modèle
paroissial contre le modèle « petites communautés » (CDV 2, p. 429. 459.466),
Moingt insiste au contraire sur le nécessaire accord entre les chrétiens et
l’autorité de l’Église quant aux restructurations à entreprendre car c’est par
ce dialogue que « passera la tradition de l’Église » (Dh 2/2, p. 835). Il en
fait même un impératif du point de vue de la pérennité de l’Église :
[18] «
L’établissement d’un dialogue interprétatif de la tradition entre le pouvoir
religieux et les communautés de fidèles me paraît être la condition nécessaire
à la survie de l’Église dans les sociétés démocratiques modernes » (Croire
quand même, p. 64)11.
Mais l’homme ne se fait guère
d’illusions car la hiérarchie ne souhaite pas vraiment ces changements et
cherche plutôt des excuses pour ne pas bouger (ESE, p. 264) tandis que le
laïcat n’y est pas encore assez préparé (ESE, p. 272) même s’il est de plus en
plus instruit. Pourtant, il y a urgence (CQM, p. 195) :
[19] « […] il est vain de penser que l’Église puisse
changer ses structures : il lui faudrait se déjuger sur trop de points capitaux
à ses yeux. Tout ce qu’on peut espérer, c’est que, lorsqu’elle sera à bout de
ressources, l’Esprit Saint lui fera voir qu’elle détient dans l’Évangile toute
possibilité pour s’innover sans avoir à se renier. […] S’il y a un motif
d’espérer contre toute apparence, c’est de miser sur l’Évangile, non sur la
religion » (Faire bouger l’Église catholique, p. 56.58).
Moingt propose au laïcs d’adopter
une double posture conforme aux principes exposés à l’instant : bousculer
l’autorité tout en la respectant (ESE, p. 151-152) et respecter la temporalité
selon laquelle la tradition a toujours évolué, à savoir dans l’articulation
constante entre continuité et innovation (ESE, p. 166-167.203). Cette attitude
peut se résumer dans un principe paradoxal, par définition difficile à mettre
en œuvre : « se retirer sans rompre » (CQM, p. 236) – ce qui peut signifier en
langage plus usuel : « prendre ses distances ». Cet axiome rejoint – tout en la
poussant légèrement plus loin – la maxime de la Conférence des baptisés « ni
partir, ni se taire ». Ce hiatus empêcherait-il Moingt d’être « le théologien
de la conférence » ? Je crois que cet écart est plutôt une invitation à
poursuivre votre effort car il constitue précisément l’espace dont l’Esprit
Saint a besoin pour créer avec nous. L’appel ultime de Moingt pourrait bien
être le suivant :
[20] « […]
il s’agit de porter la liberté de la foi, d’une si grande légèreté que nous
sommes effrayés de ne pas en sentir le poids » (Dieu qui vient à l’homme, t.
2/2, p. 503).
Jean-Pol GALLEZ - Le 21 octobre 2017.
Annexe : SACERDOCE COMMUN DES FIDELES
ET MISSIONS DES COMMUNAUTES DE FIDELES (12).
Il s’agit d’envisager la place de
ces communautés dans l’annonce de la foi selon la logique de l’humanisme
évangélique. Deux aspects sont à considérer : leur rapport au monde et leur rôle dans l’Église.
-
Sur le premier point, de manière générale, il
s’agira pour ces communautés de demeurer ouvertes à l’accueil de tout
homme en recherche de sens, de rencontrer les souffrances du monde. Moingt
envisage que ces communautés soient des lieux où débattront, à la lumière de
l’Évangile, croyants et incroyants des problèmes de la vie qui les concernent
tous, imitant ainsi l’exemple de Jésus fréquentant les pécheurs (CDV, t. 2, p.
455). Assumer la mission reçue de Jésus, c’est prendre en charge l’histoire
humaine ainsi qu’il l’a fait (CDV, t. 2, p. 503). Moingt met les choses au
point : annoncer l’Évangile, ce n’est pas proclamer la Parole lors de la messe,
c’est – comme Jésus le faisait –, envoyer des disciples vers le monde ; ce
n’est pas davantage repeupler les églises mais prendre souci des souffrances de
l’humanité (CDV, t. 2, p. 453-454). Cela conduit au second aspect, montrant
ainsi que la structuration interne de l’Église dépend de sa mission et non
l’inverse !
-
Quant au second point, en effet, à force de chercher à
rencontrer l’humanité et de l’accueillir en leur sein, les communautés
pourront, lorsque cela se présentera, exercer une fonction d’accompagnement
catéchuménal car
« La venue à la foi ne se fait pas par mode
d’endoctrinement métaphysique, mais de cheminement aux côtés de Jésus, de
familiarité avec lui à travers ceux qui le suivent : « Maître, où habites-tu ?
– Venez et voyez. » Cet accompagnement, s’il va jusqu’au bout, se terminera par
un baptême, qui sera normalement célébré par cette communauté » (Croire au Dieu
qui vient, t. 2, p. 455).
Face à la décomposition actuelle
de la famille, aux nombreux problèmes liés au début et à la fin de la vie, aux
diverses exclusions liées au rigorisme de la loi religieuse de l’Église quant
au mariage, aux homosexuels ou l’accès à l’eucharistie, les tâches évangéliques
de ces communautés seraient infinies et participeraient selon Moingt, ni plus
ni moins, au ministère paulinien de la réconciliation (CDV, t. 2, p. 472).
Notes
1. « Vous savez que les chefs des nations exercent sur elles leur domination,
et que les grands exercent sur elles leur pouvoir. Il n’en est pas de même
parmi vous ; mais celui qui parmi vous veut devenir grand sera votre serviteur,
et celui qui parmi vous veut être le premier sera votre esclave, de même que le
Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa
vie en rançon pour beaucoup ». D’autres passages peuvent être cités. On pensera
évidemment, par exemple, aux conseils de Paul à Philémon à propos de son
esclave Onésime.
2. La question met en cause la finalité première de l’Église : celle-ci n’est
pas cultuelle et religieuse -ce qui conduit alors, en effet, à faire du prêtre
un « autre Christ » plutôt que d’accepter son départ pour faire place à la
mission historique de l’Esprit-Saint (Dh 2/2, p. 838-839). La question engage
aussi la critique des conceptions verticales de la révélation au profit d’une
réflexion faisant droit à l’existence de la transcendance divine à l’intérieur
de l’horizontalité de la création et de l’histoire.
3. Moingt souligne le point aveugle de la politique actuelle de l’Église : «
Se préoccuper avant tout du recrutement du clergé […], c’est plutôt chercher un
alibi pour la dispenser des changements auxquels elle doit consentir pour
renaître » (Dh 2/2, p. 866-867). Le problème est aperçu dans vos conclusions :
« Partir de la question du manque des prêtres et de son impact sur l’absence
des sacrements conduit à une impasse » : cf. TT 2, p. 10. Par contre, votre
souci de la place des femmes peut recevoir ici un éclairage nouveau : l’impasse
demeurera aussi longtemps que les ministères seront pensés à partir du
sacerdoce ministériel. Leur place ne sera reconnue que lorsque l’ensemble des
ministères seront repensés en référence, non plus au sacerdoce ministériel,
mais du sacerdoce commun (infra) : cf. TT 2, p. 5.
4. Cette conclusion permet d’opérer un décalage par rapport à la
problématique liturgique évoquée dans vos conclusions : cf. TT 2, p. 5 et 10.
La question n’est plus, en effet, pour
les laïcs de trouver leur place auprès de l’autel ni de vouloir à tout
prix « renouveler les liturgies » mais, dans une optique non religieuse,
d’imaginer à quoi pourrait ressembler une eucharistie domestique au sein d’une
communauté de disciples de Jésus. Ce n’est donc plus, en effet, à la communauté
de se déplacer là où se trouve un prêtre : cf. TT 2, p. 6.
5. On est loin du modèle monarchique de Bellarmin auquel vos conclusions font
référence : cf. TT 2, p. 8.
6. Vos conclusions soulèvent très justement la confusion qui existe entre le
sacré et la sainteté : cf. TT 2, p. 5. Cela est imputable à l’évolution
religieuse du christianisme qui a rapatrié la sainteté à l’intérieur de la
figure du prêtre dont il serait le modèle chrétien à imiter. Théologiquement,
la sainteté ne se conçoit pourtant qu’à partir du sacerdoce commun des fidèles.
Lors de mon intervention du 17 mars 2015 à l’invitation de la branche belge
francophone de la CCBF (BEM), un prêtre protesta que « la sainteté devait bien
être institutionnalisée quelque part », ne se rendant pas compte de l’erreur
théologique majeure que son propos contenait mais trahissant à merveille
l’infiltration de l’esprit de religion dans la théologie des ministères.
7. Ces deux principes-clé rejoignent pleinement une affirmation fondamentale
reprises dans les conclusions du TT 2, p. 4 : « quelle vision du prêtre
voulons-nous ? L’homme du pouvoir et du sacré ou le ministre du service et de
la sainteté ? ». La note précédente rappelle néanmoins qu’il n’existe aucun
ministère particulier de la sainteté puisque celle-ci est strictement liée à la
condition de baptisé.
8. Ce souci de l’équilibre se remarque dans votre attention portée au risque
de voir émerger des forces centrifuges dans l’Église : cf. TT 2, p. 9.
9. Le concept de « dissémination » est essentiel dans la pensée de Moingt. Il
prolonge le dynamisme évangélique de l’annonce et soutient le principe d’une
restauration de la communication entre l’Église et le monde. L’Église ne sera
le « dernier rempart contre le tout fout le camp » que si elle peut redevenir «
une puissance culturelle utile à la société, un force de progrès en humanité »
(ESE, p. 67). Relisant l’histoire de l’Église, Moingt rappelle aussi justement
et subtilement qu’ « il convient d’admirer […] qu’une Église tellement imbue de
son pouvoir sur la société […] l’ait néanmoins mis au service du monde […].
Tous ces signes donnent à comprendre que l’Esprit Saint, malgré les entraves
que subissaient sa mission, […] maintenait sauve la singularité du
christianisme en tant que religion : recherche du bien commun de l’humanité
voulu par Dieu lui-même […] » (Dh 2/2, p. 746). Cf. Conclusions TT 2, p. 3. Le
principe de « dissémination » fonde aussi la critique radicale adressée par
Moingt aux logiques actuelles présidant aux regroupements inter-paroissiaux.
Ceux-ci s’effectuent, en effet, selon une logique exclusivement religieuse et,
partant, centripète. L’Église continue donc à se réorganiser en fonction du
nombre restant de prêtres, d’où son impossibilité d’aller au monde (ESE, p. 201
et Dh 2/2, p. 836-837). Cf. TT 2, p. 5 : « Où est l’Église : là où se trouvent
les clercs ou là où se trouvent les communautés ? ».
10. À la même page, Moingt regrette que seul le premier dynamisme fonctionne
officiellement actuellement. En réactivant le second, Moingt ne fait que
vouloir restaurer pratiquement le sensus fidelium -d’ailleurs remis à l’honneur
à Vatican II- et en retranscrit même le concept à travers celui d’ « opinion
publique » (CQM, p. 68) dont il appelle à maintes reprises l’émergence dans
l’Église. En impliquant tous les chrétiens dans un débat ecclésial large,
l’Église humaniserait sa voix, nous dit encore Moingt (CQM, p. 215) : cf. Conclusions
TT 2, p. 2. Entre autres raisons d’être, une communauté chrétienne a pour
vocation de vivre le partage de l’Évangile et de débattre des questions de la
foi à la lumière de son interaction avec le monde (CQM, p. 184 ; CDV 2, p.
455). Le point est également souligné dans vos conclusions : cf. TT 2, p. 10. : « Les communautés doivent être
des lieux pour parler de la foi ». Le propos s’inscrit aussi dans votre souci
plus large qui consiste à « investir les communautés » -surtout non cultuelles-
en vue de leur reconnaître une place pleine et entière dans la mission
évangélique d’humaniser le monde : cf. TT 2, p. 6-7. À cet égard, il est
remarquable de voir comment Moingt opère une réception théologique de la pensée
de Marcel Légaut, en particulier en ce qui concerne le lien, pensé par ce
dernier à longueur de vie, entre un approfondissement humain effectué à la
lumière de l’Évangile et la nécessaire mutation de l’Église appelée à se
régénérer dans le souffle originel de l’Esprit à travers la création de petites
communautés de disciples de Jésus : cf. Dh, 2/2, p. 831-835. Voir aussi ma
note, en annexe, relative à la place de ces communautés dans l’Église et à leur
mission vis-à-vis de la société.
11. Je rajouterais que la Tradition ainsi comprise constitue l’antithèse d’une
conception verticale de la révélation dont Moingt souligne souvent le caractère
incompatible avec l’esprit du christianisme fondé sur la diffusion de l’Esprit
à travers toute la Création. La question dépasse donc un problème de décalage
culturel entre l’Église et la société mais touche à la fidélité de l’Église à
la Révélation : cf. Conclusions TT 2, p. 2.
12. Cf. note 10.
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