P O U R U N E E G L I S E S A N S P R Ê T R E S
Kevin Madigan, The New
Republic, Etats-Unis, février 2013.
Présentation du livre ‘Why priests?’ (Pourquoi des prêtres ?), Garry
Wills, 2013.
Face à la crise des vocations, rien ne sert
de se demander si la hiérarchie catholique doit autoriser le mariage des
prêtres ou l’ordination des femmes. La vraie solution consiste à se passer une
bonne fois pour toutes des ecclésiastiques, comme les premiers chrétiens.
La
renonciation du pape Benoît XVI, en février dernier, a réveillé quelques très
vieux mythes à propos de la papauté, notamment celui qui prétend que saint
Pierre fut le premier pape et Benoît son successeur, comme tous les pontifes.
En réalité, différents Saints-Pères ont forgé cette légende pour s’arroger le
pouvoir apostolique, le prestige et l’affection attachée à Pierre. (Cette
prétention est aisément réfutée par l’examen des textes bibliques du premier
siècle.) Plus tard les papes se sont dits les successeurs du Christ pour
accroître encore leur puissance.
Dans
‘Why priests ?’, Garry Wills pose un regard critique sur le lien existant
entre prêtres, pouvoir et piété eucharistique. La question qui anime l’ouvrage
est en effet la suivante : comment le christianisme primitif qui se pratiquait
sans prêtres, a-t-il engendré une tradition où ceux-ci jouent un rôle central
et même indispensable ? Comme le fait remarquer l’auteur, ancien
séminariste, aucun des livres du Nouveau Testament ou presque ne le
mentionne ; le seul qui le fasse -‘l’Épître aux Hébreux’- imagine
seulement Jésus en prêtre. Bien que l’Eglise catholique soutienne depuis des
siècles la position opposée, il est historiquement faux d’affirmer que le
Christ institua le ministère ecclésiastique. Non seulement il n’était pas membre
de la classe sacerdotale, mais il est anachronique de dire qu’un seul de ses
apôtres était perçu en ces termes, par Jésus ou par eux-mêmes.
Comment,
dès lors, les prêtres sont devenus dominants, puis essentiels dans le
catholicisme ? Et pourquoi, s’interroge Wills dans ce livre provocateur,
historiquement riche et légèrement donquichottesque, le Vatican continue-t-il
d’entretenir pareils mensonges ? De manière encore plus provocante,
l’auteur demande pourquoi l’Eglise, en ces temps de scandale et de crise des
vocations, ne revient pas à ses origines antiques pour se passer purement et
simplement des ecclésiastiques ?
L’empire
des prêtres, explique Wills de manière convaincante, prend sa source dans la
célébration eucharistique, où le pain et le vin deviennent le corps et le sang
de Jésus de Nazareth. Il montre que l’Eucharistie comme transformation
miraculeuse est officiellement une invention du XVIe siècle. Aux
premiers temps du christianisme, de l’an 35 à l’an 200 environ, la consécration
du pain et du vin n’existait pas et personne n’imaginait le repas comme un
sacrifice (les catholiques parlent encore du « sacrifice du la
messe » 1). Qui plus est, Jésus-Christ n’a jamais voulu instituer
l’Eucharistie au cours de la Cène, contrairement à ce que prétend la tradition
absurde depuis le Moyen-Âge.
C’est
précisément la manière dont Wills établit le lien entre le pouvoir
ecclésiastique et la prétendue capacité des prêtres à transformer le pain et le
vin de la célébration liturgique en corps et sang physique du Christ, qui fait
la force et l’originalité de ce livre. Ayant le monopole de cette faculté, les
ministres du culte deviennent, de fait, des « faiseurs de Dieu ».
L’auteur dissipe aussi les nombreux mythes qui entourent l’origine et le
pouvoir de la prêtrise, dont la plupart ont été conçus et entretenus pendant
plus d’un millénaire par l’Eglise romaine.
L’examen
des sources du christianisme primitif auquel se livre Wills s’avère
particulièrement probant. Il étudie, entre autre document, la ‘Didaché’. Découvert
au XIXe siècle, cet écrit prétend livrer « l’Enseignement des
12 apôtres » (‘didaché’ signifie ‘enseignement’ en grec). Les spécialistes
pensent qu’il fut rédigé en Syrie dans la 2e moitié du IIe
siècle (mais il ne s’agit que d’une forte présomption) et il laisse clairement
entrevoir les pratiques rituelles chrétiennes de cette époque, notamment le
repas eucharistique commun. Le plus frappant, c’est que ce texte ne contient
pas les prétendues « paroles d’institution » figurant dans chacun des
3 premiers évangiles qui ont fait du « dernier repas » de Jésus un
repas mémoriel et sacrificiel, et constituent l’un des fondements de la vision
de l’Eucharistie comme sacrifice (2).
Mais l’analyse que propose la ‘Didaché’ grecque prouve que, dans la
méditerranée orientale du IIe siècle, les chrétiens ne concevaient
pas ‘leur’ repas d’action de grâces dans les termes des évangélistes, même
environ un siècle après que les auteurs des Evangiles eurent composé leur récit
de la Cène. L’Eucharistie n’a donc pas toujours été imaginée en termes
sacrificiels.
Le
statut et l’autorité de la prêtrise sont fondés -ou infondés- sur l’affirmation
que Jésus a institué l’Eucharistie comme repas sacrificiel et que les
ecclésiastiques, suivant Son ordre et Son exemple, offrent le corps et le sang
du Christ en sacrifice à Dieu au nom de leurs paroissiens. Puisque Wills
conclut que cette célébration n’a pas été conçue comme sacrifice offert par le
prêtre, la question est alors : pourquoi le catholicisme a-t-il besoin
d’eux ?
Ni ce genre
de question ni le titre de cet ouvrage ne doivent laisser penser que l’auteur
est hostile aux ministres du culte. Non content d’avoir passé lui-même 5 ans au
séminaire, Garry Wills a consacré 3 de ses livres aux grands prêtres érudits et
prêtres prophètes de sa génération, comme Dan Barrigan (3).
Curieusement,
l’auteur suggère qu’au lieu de militer pour l’ordination des femmes, de prêtres
mariés ou ouvertement homosexuels, le plus logique et le plus honnête
historiquement serait d’imaginer un catholicisme sans ecclésiastiques. Voilà,
selon Wills, qui serait plus fidèle à la pratique chrétienne originelle que le
catholicisme moderne (en tant que catholique, Wills a de la sympathie pour
l’évolution de la tradition religieuse, mais, dans le christianisme, les
origines restent cardinales). Comme il conclut, « la tendance à condamner,
accuser et persécuter » qu’on trouve chez les papes de toutes les époques
« vient d’un attachement jaloux à leurs prérogatives et de l’orgueil né de
l’exclusivité » du rôle des prêtres. Séparé du reste des humains par leur
« pouvoir unique de transformer le pain et le vin en corps et sang du
Christ », ces derniers ont donc tenu les catholiques à distance des autres
chrétiens et du Jésus des Evangiles. Dès lors, pourquoi les prêtres ?
Même si
elle ouvre sur une réflexion fascinante, la proposition de Wills ne sera jamais
sérieusement envisagée par le clergé catholique, ni par les paroissiens. Elle
sera donc probablement rejetée comme irréaliste, voire cruelle. C’est dommage.
Quoi qu’on en pense, la manière dont l’auteur détruit de nombreux mythes
entourant les origines de la fonction sacerdotale, apporte des informations et
des éclaircissements essentiels, surtout pour les catholiques pratiquants.
Cet article est paru dans ‘The New Republic’, le 11
février 2013. Il a été traduit par Laurent Bury.
Notes
1. Dans la foi catholique, la messe est le
renouvellement, non sanglant mais bien réel, du sacrifice du Christ. Elle est à
la fois sacrifice et commémoration du dernier repas que Jésus prit avec ses
disciples avant sa mort.
2. « Prenez et mangez-en tous, ceci est mon corps
livré pour vous ». Puis : « Prenez et buvez-en tous ceci est mon
sang, le sang de l’alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et
pour la multitude en rémission des péchés. Vous ferez cela en mémoire de
moi. »
3. Jésuite nord-américain né en 1921, ce militant fut
condamné pour avoir brûlé les registres d’un bureau d’incorporation de l’armée
en pleine guerre du Vietnam.
No hay comentarios:
Publicar un comentario