Quito, mars de 2012.
Bien chers/ères amis/es, bonjour.
Me voici à nouveau avec vous pour partager quelques nouvelles et réflexions sur mon travail, notre monde, l'Equateur, la France tels nous les voyons par ici.
Personnellement, je trouve que je vais bien. Dans quelques mois je vais avoir 70 ans. Les années ne passent pas en vain. D’une part je fatigue plus vite et je récupère plus lentement. Je dois faire attention à ma colonne vertébrale qui me rappelle à l’ordre lorsque je la malmène. Je m’aperçois également qu'augmente ma faculté d’oublier. Depuis mon appartement de Quito, je n’en continue pas moins mes activités à un rythme plus tranquille»?
̵ Des amis prêtres me demandent de les aider de temps à autre dans leur paroisse.
̵ Je participe chaque trimestre aux réunions nationales des responsables des CEBs (Communautés Ecclésiales de Base). J’accompagne plusieurs de ces CEBs sur Quito et sur Guayaquil.
̵ Je continue des rencontres de formation, mais moins nombreuses, car des « Ecoles de la Foi » m'ont remplacé, avec l'aide d'internet.
̵ Tous les 2-3 mois je me réunis avec les animateurs d’environ 70 Communautés Indigènes Anglicanes (plus exactement de l’Eglise « Episcopale », branche nord-américaine de l’Eglise Anglicane) : une expérience que je trouve très intéressante.
̵ J’écris toutes les semaines un article (2500 caractères pour les connaisseurs) dans le quotidien national El Telégrafo. Cela me permet de redire à plus grande échelle, ce que je dis dans des cercles plus réduits.
̵ Ce qui prend beaucoup de mon temps : ce sont les échanges par internet: quelques 300 correspondants en France et autant aux Amériques du nord, du centre et du sud. L’ouverture d’un blog (voir ci-dessous) s’est substituée aux envois mensuels que je faisais auparavant : est-ce mieux ? la réponse est à vous… Je ne me mets pas à facebook, car une fois dedans on ne peut plus s’en sortir ; encore que ce refus n’est pas nécessairement définitif : je pense qu’il faudrait être une équipe. Idée est à suivre et, si quelques-uns sont preneurs, à mettre en route…
Les nouvelles de France sont principalement le froid, les élections et la crise du système capitaliste. Par ici nous ne sommes pas si mal, car les nouvelles ne sont pas aussi alarmantes et l’espérance née
de ce que nous vivons, nous invite à croire que l’Europe a beaucoup à apprendre de l’Equateur et l’Amérique Latine en général.
Sur les élections françaises où les projets de société et les espérances m’apparaissent des plus limités, je ne vous citerai que ce qui circule sur internet, puisque j’ai reçu le message suivant de plusieurs correspondants :
« En 2012, faut pas que Sarkommence,
Mais faut pas croire non plus Hollandemains qui chantent.
Pas Lepen de se faire mal,
Mais surtout ne Mélanchons pas tout
Sinon c'est la Bayroute annoncée !
Eva être Joly l'année 2012... ! »
Remarque: on est tombé bien bas en croyant que la politique est l’affaire de spécialistes financiers et que les chrétiens ne devons pas nous salir les mains avec ces choses-là.
Quant à la crise financière, c’est un peu l’histoire du chasseur chassé. Ceux qui nous donnaient des solutions miracles durant la dernière décennie du siècle passé pour nous aider à sortir de la pauvreté et du sous-développement chroniques, étaient en fait ceux qui les créaient et dont les remèdes ont été pires que le mal. Mais comme les moyens de communications internationales sont en leur main, spécialistes en mensonges et désinformation (exemple : ce qui se passe en Grèce), les européens vont difficilement découvrir qu’ils peuvent recevoir des leçons de ceux qui sommes considérés citoyens de seconde catégorie. Et qui parle haut et fort de l’Islande que s’est refusée à entrer dans le jeu néolibéral style Sarkosy-Merkel, et qui s’en tire plutôt bien ? Où sont passés les indignés, les syndicats, les étudiants, les partis de gauche roses ou verts, les grandes manifestations de rue… ? Où sont les chrétiens et les Eglises, porteurs du projet du Royaume ? Les Indignés de la place de Madrid ont répondu : « Au fond, à droite ». Sans doute n’est-on pas à l’époque où les mouvements progressistes dans l’Eglise et la société étaient plus visibles.
Avec l’annonce israélienne d’une guerre contre l’Iran (appuyé par le prix Nobel de la paix Obama), je vous transcris la phrase de la présidente d’Argentine, Christine Fernandez, lors de la réunion de la CELAC (Communauté des États Latino-Américains et Caribéens) au Venezuela il y a quelques mois. Elle est un peu dure, mais résume bien les perceptions que l’on a par ici des attitudes guerrières des gouvernements européens (l’OTAN) et nord-américains. « Quand je vois comment les pays dits civilisés règlent leurs affaires à coups de bombes, je me sens fières d’êtres sud-américaine ». Il est vrai que parfois je ne me sens pas très fier d’être français ; mais la honte ne tue pas, n’est-ce pas ?
Les défis sont là : un grand saut, un grand sursaut et un renouveau spirituel indispensables. Bien sûr il faudra un certain nombre d’années et peut-être de décennies pour un « printemps européen » pour ressusciter l’humanisme et la spiritualité, pour qu’ils soient à la hauteur de la globalisation planétaire et pour que les Eglises et les religions se mettent à leur service. Si je suis critique, je ne suis pas désespéré, car les signes de vitalité de cet humanisme spirituel ou de cette spiritualité humaniste existent nombreux aux niveaux individuel et collectif. Saint Paul l’écrivait aux chrétiens de Rome : « Nous voyons bien que toute la création gémit et souffre comme pour un enfantement ».
Deuxième remarque: au sujet de « l’enfantement », une amie me disait qu’il n’y a pas de « marche arrière » ! Je n’y avais jamais pensé auparavant ! Gare à ceux qui préfèrent en rester au « passé antérieur » ou au passé « décomposé » !
Ici en Amérique Latine, on ne s’en tire pas trop mal depuis le début du siècle. Les Indiens de l’Equateur commençaient à ouvrir le chemin dès 1990 et ceux du Mexique (les Zapatistes) en 1994 : « nous sommes des civilisations qui peuvent redonner espérance et vie aux peuples de la terre ». Cuba en est le phare solitaire et solidaire depuis plusieurs décennies.
Nous ne sommes pas encore sortis de la pauvreté ou plutôt de l’appauvrissement (matériel et religieux), mais de nouveaux gouvernements aident les pauvres à « sortir la tête de l’eau ». Les Indiens ne sont pas au pouvoir, ils n’ont pas encore conquis leur autonomie, mais cela commence en Bolivie et en Equateur : « Plus de projet de société, ni d’Eglises sans nous ». Bien sûr les résistances sont grandes : politique et religieuse. Le colonialisme anglais des Iles Malouines et les 20 bases nord-américaines en Amérique Latine le démontrent : Comment la « basse-cour latino-américaine », si riche en matières premières, pourrait-elle échapper à l’impérialisme des pays occidentaux ?
Il en est de même dans notre Eglise catholique. Les problèmes ecclésiaux suscités l’an dernier en Equateur dans le diocèse amazonien de Sucumbios (où j’ai été pendant 2 ans) le montrent clairement. Les autorités vaticanes, en lien avec la conférence épiscopale -contrôlées par l’opus dei-, chargèrent la secte catholique des mal-nommés « Héraults de l’Evangile » -un de leurs responsables a fait l’objet en France d’une investigation financière par l’Assemblée des députés- de détruire -la parole exacte et écrite était « réorganiser »- l’Eglise de Sucumbios. Celle-ci, durant 40 ans, a eu la naïveté et le courage de prendre au sérieux le Concile Vatican 2 et son application en Amérique Latine lors d’une réunion de ses évêques à Medellin, en Colombie, en 1968 : rendre aux laïcs leur dignité et leurs responsabilités dans l’Eglise afin de construise le Royaume. Ces « Héraults » n’y sont pas arrivés puisque 6 mois après les chrétiens les chassaient de Sucumbios : néanmoins ils y ont fait beaucoup de mal. La situation encore conflictuelle n’est pas résolue : pas d’évêque nommé ; car « ces gens-là, messieurs » perdent des batailles mais ne sont pas habitués à perdre la guerre…
La question n’est pas d’aujourd’hui, tant pour l’Eglise que pour les sociétés : peut-il sortir quelque chose de bons des damnés de la terre ? L’Exode n’a-t-il pas été un peu ou beaucoup la même expérience ? Et Dieu était avec eux dans cette libération. A-t-on pris au sérieux le charpentier de Nazareth ? Quand il a secoué les fondements du temple juif et de l’Empire romain, ils l’ont crucifié. Mais Constantin et les seigneurs du christianisme de l’époque se sont chargés de le remettre dans le rang, jusqu’au Concile Vatican 2 (nous sommes-nous demandés pour quels motifs il n’y a, dans le Credo de Nicée qu’on récite les dimanches, aucune allusion au Royaume qui est, aux dires de l’encyclique du pape Paul 6, « l’unique absolu » ?). Et les Arabes et l’Islam vont-ils donner des leçons à l’Europe ?
Il y a beaucoup de pain sur la planche à tous les niveaux. Ce n’est pas pour rien que l’on dit que l’on est dans un changement d’époque et de civilisation. Les sociétés, les Eglises et les religions sont en train de se réinventer. J’ai l’impression qu’en Amérique Latine, grâce d’une part aux Communautés Ecclésiales de Base et d’autre part aux peuples indiens, depuis les Zapatistes du Mexique jusqu’au Mapuches du Chili, nous avons commencé depuis plusieurs décennies. En Europe c’est plus difficile à voir : les traditions religieuses et les structures financières sont plus fortes ; elles rendent plus difficile le travail des groupes religieux et sociaux en train de construire la nouvelle spiritualité et la nouvelle culture. Il est grand temps de nous unir pour semer et cultiver le futur que nous anhélons.
Je vais vous laisser avec une invitation à la lecture d’un livre sérieux (en français) si vous cherchez quelque chose de solide à vous mettre sous la dent : « Memoria passionis – Un souvenir provocant dans une société pluraliste » d’un théologien allemand, Jean Baptiste Metz, proche de la théologie de la libération, aux Editions du Cerf, 2009. Il nous aide à comprendre la réponse de Van der Meersch à la question de Pilate « Qu’est-ce que la vérité ? » : “La vérité, Pilate, consiste en ceci: se mettre du côté des pauvres et de ceux qui souffrent ».
Fraternellement.
Pierre.
Notes
1. Je cherche de nouveaux traducteurs ou traductrices, de l'espagnol en français, pour les envois
- Apocalypse, C. Mesters (1988). Résumé revu et corrigé: PR.
- Première lecture de la Bible depuis l’Amérique Latine. PR.
- Monseñor Leonidas PROAÑO, évêque de Riobamba (+ 1988), por Nidia Arrobo.
- Le “Bien Vivre” des Indiens des Andes, pour une alternative de société.
- Le Royaume dans la Bible, PR.
- Conflits de développement : andin et occidental, par Javier Medina (DIAL).
- La Théologie des Indiens des Andes, Eléazar López.
- « Le nouveau système-monde », Ignacio Ramonet (Le Monde Diplomatique).
2. Je me permets de vous envoyer l’adresse d’une bonne (à mon avis) agence belge d’information : Investig'Action - www.michelcollon.info
3. Je vous rappelle mes coordonnées :
- Comptes : CCP 1689 50 Y à Clermont Ferrand et au Crédit Coopératif du Puy en Velay. Merci pour vos partages.
- Courrier postal : Père RIOUFFRAIT Pierre - Apartado 17-02-6451 - Quito - EQUATEUR – Amérique du Sud.
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