2e
partie : LES CEBs ET LEURS ENGAGEMENTS ECLESIAL ET SOCIAL
Communautés
Ecclésiales de Base en Amérique Latine
Pedro Pierre, Equateur, décembre 2024.
En 2021 au Mexique,
l’Assemblée Ecclésiale (laïques, religieuses, prêtres et évêques) d’Amérique et
des Caraïbes a reconnu les Communautés Ecclésiales de Base (CEBs) comme
« une expérience d’Eglise synodale ». Elle confirmait ainsi, avec les
CEBs, la validité d’une nouvelle forme d’Eglise : « l’Eglise des
pauvres » souhaitée par le pape Jean 23. En Equateur et en Amérique Latine
j’ai participé activement à la croissance des CEBs et je m’en sens heureux.
TROIS
GRANDS EVEQUES ONT FORGÉ L’IDENTITÉ DES CEBs
1.
Léonidas
Proaño (+ 1988), de Riobamba en
Equateur répétait : « Les CEBs avancent avec leurs 2 pieds : le pied
de la communauté chrétienne et le pied de l’organisation populaire ».
2.
Enrique
Angelelli (assassiné en 1976), de
La Rioja, Argentine : « Les CEBs ouvrent une oreille sur le peuple et
l’autre sur l’Evangile ».
3.
Gonzalo
Lopez (+ 2016), de Sucumbíos dans
l’Amazonie équatorienne : « Les CEBs sont l’Eglise dans le quartier et le
quartier dans l’Eglise ».
C’est sur ce chemin-là que je me suis engagé en arrivant en Equateur en
1976… il y aura bientôt 50 ans !
AVEC
LES CEBs DE L’EQUATEUR EN AMERIQUE LATINE
C’est le pape Paul VI qui, en 1965, demanda que des prêtres d’Europe
aillent aider les Eglise du Tiers-Monde : Amérique Latine, Afrique, Asie,
dans une ligne de partage entre Eglises. C’était le temps du Concile : Une
ouverture de l’Eglise qui apportait des changements. Avant que je ne sois
ordonné prêtre en 1969, plusieurs prêtres du diocèse du Puy s’offraient pour
aller en Amérique Latine. Mais c’est seulement 6 après avoir été ordonné que
mon ami prêtre équatorien m’invitait à aller travailler avec lui en Equateur
1976 : Avec les
CEBs de Guayaquil en Equateur
Je suis arrivé en 1976 à Guayaquil, près de l’océan Pacifique, une ville de
800.000 habitants. L’Equateur a une superficie de 270.000 km2 et quelques 6
millions d’habitants. Déjà 6 paroisses de la ville étaient organisées à partir
des CEBs. Celles-ci étaient nées au Brésil dans les années 1950. Le Concile les
signalait comme nouvelle manière de rendre présent le Royaume inauguré par
Jésus de Nazareth dans le monde des pauvres.
Après une expérience de 2 ans dans un quartier en construction, j’allais
remplacer un prêtre dans une paroisse qui fonctionnait à partir des CEBs :
San Martín de Porres. Cette paroisse était assez étendue dans un quartier pauvre :
un bidonville d’au moins 35.000 habitants dont plus d’un tiers vivant dans des
maisons sur pilotis. Elle était divisée en 8 secteurs dont l’animation
religieuse et sociale était confiée à une CEB. C’était une paroisse très active
avec beaucoup de groupes : Equipe liturgique, Légion de Marie, Groupes de
jeunes dans la ligne de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne), Equipe de
préparation au Baptême, Confirmation, Mariage. La préparation de la Première
Communion était à charge des parents, accompagnée par une Equipe d’adultes. Une
Equipe de jeunes aidaient à la préparation de la préparation Confirmation pour
des jeunes de plus de 17 ans.
Tous les mardis il y a avait une réunion où participaient 2 représentants
de chacun des groupes paroissiaux pour le partage des expériences, des
difficultés, des nouveautés à entreprendre. C’était aussi l’occasion
d’approfondir la formation biblique dans la ligne de la théologie de la
libération, la connaissance de la réalité pour affronter la pauvreté, la
solidarité locale, départementale et nationale.
1979 : Première
réunion de CEBs au niveau national
Les 7 paroisses de CEBs de la ville, nous avions des réunions mensuelles
pour nous aider dans le travail pastoral, en particulier produire du matériel
pour les différents groupes paroissiaux. Avec leur première réunion nationale en
1979, les CEBs s’organisèrent au niveau national grâce à l’appui de monseigneur
Léonidas Proaño, de Riobamba dans la Cordillère des Andes. A cette rencontre
participèrent des représentants de CEBs de 5 grandes villes de 5 départements
différents. Dans ces années, naquirent des CEBs rurales, indigènes et noires
qui nous réunissions de temps à autre. Au niveau urbain, les CEBs étaient
présentes dans 12 départements, c’est-à-dire, dans la moitié du pays. Les
prêtres et les religieuses qui accompagnions les CEBs avions 3 réunions par an
afin de nous aider dans le travail pastoral, la connaissance de la réalité,
l’approfondissement biblique et théologique. Nous nous appelions
« l’Eglise des Pauvres », selon l’expression du pape Jean XXIII.
En 1984 se déroulait dans la ville de Cuenca, au sud du pays, la 2e
Rencontre Continentale des CEBs. Ces rencontres avaient lieu tous les 4 ans. La
thématique de cette Rencontre à laquelle participaient une douzaine de pays et
13 évêques, « Les CEBs : Alternatives d’Eglise et de Société » …
qui peut paraître un peu ambitieuse. Mais déjà en 1968 les évêques d’Amérique
Latine à Medellin en Colombie avaient reconnu que les CEBs était une expression
d’Eglise à part entière et le germe d’une nouvelle manière de vivre en société.
Grâce aux CEBs une nouvelle dynamique d’Eglise et d’organisation sociale était
en marche, en lien avec les Associations de quartier, les Organisations
sociales, les Mouvements populaires, les Syndicats et les Partis politiques.
Ces rencontres continentales étaient organisées par une Articulation
Continentale des CEBs (3 personnes au Mexique) qui était née à la 1e
Rencontre continentale au Brésil en 1980.
1987-89 : L’option
des CEBs pour les pauvres… à Rome
Après 11 ans en Equateur je
décidais de faire une pause pour passer plus de temps avec mon père âgé et
faire des études théologiques à Rome. Ce fut l’occasion de connaître d’autres
expériences de CEBs, en Afrique en particulier et d’approfondir ‘l’option
prioritaire pour les pauvres’. Je découvris que ce fut avec et à partir des
pauvres que Jésus de Nazareth avait accompli sa mission de faire naître le
Royaume, « l’unique absolu, car le reste est relatif » (pape Paul VI,
1975). D’autre part, j’appris que l’option pour les pauvres était un engagement
à vivre pauvrement, à se solidariser avec les causes des pauvres et à lutter
avec eux contre leur appauvrissement. C’est à cela que s’était engagé une
quarantaine d’évêques latinoaméricains à la fin du Concile.
AVEC
UNE PAROISSE DU NICARAGUA DANS LA LIGNE DES CEBs
Au moment où j’allais retourner en Equateur, le secrétariat des évêques de
France pour l’Amérique Latine me demandait d’aller travailler au Nicaragua car
les évêques nicaraguayens demandaient 2 prêtres qui aient déjà une expérience
en Amérique Latine.
1989-1997 :
Une Eglise aux mains des laïcs.
Au Nicaragua j’arrivais dans le diocèse
de Bluefields sur la Côte des Caraïbes, dans une paroisse immense (la moitié de
la Haute Loire), de quelques 120.000 habitants, mais très bien organisée.
C’était les laïcs que prenaient en charge les bourgs (une trentaine) ou les
hameaux où ils vivaient : Il y avait 130 Communautés chrétiennes avec leur
chapelle, leurs réunions et leurs ministres. Les Communautés se chargeaient des
activités ecclésiales, sociales et civiques. M’accompagnaient 4 diacres
(mariés) et 4 religieuses.
Chaque année, en décembre, nous tenions une Assemblée paroissiale de 150
personnes durant 3 jours complets pour évaluer l’année écoulée : Notre
travail répond-il aux besoins de la Communauté ? Nous utilisions la
méthode de réunion des CEBs : Analyser la réalité sociale et ecclésiale
des CEBs, l’évaluer à la lumière de la Bible et des Documents de l’Eglise
latinoaméricaine (la construction du Royaume est notre critère de travail) et
décider des nouveautés et des activités de l’année suivante, en particulier le
calendrier des visites mensuelles à chacune de 12 zones pastorales. Je rendais
visite une fois par an, à dos de mulet, à la centaine de hameaux de 11 zones
durant une journée entière pour chacun d’eux. La ville centrale, Nuéva Guinéa,
où était la maison paroissiale, avait quelques 17.000 habitants.
Nous faisions aussi le calendrier des rencontres de formation pour les
différents ministères : Tous les ministres suivaient une formation
annuelle d’au moins 4 jours au centre paroissial. Ces ministères étaient de 3
catégories différentes (voir Annexe) : Les ‘ministères’ ecclésiaux était
une douzaine et se référait au travail autour de la chapelle pour les
célébrations dominicales hebdomadaires, la préparation des sacrements (le
sacrement des malades inclus), les fêtes de la Semaine sainte et de Noël… Les
‘services’ sociaux étaient 8 pour l’éducation scolaire, la santé par les
plantes, les droits de l’homme, les projets sociaux, l’environnement… Il y
avait aussi 3 ‘responsabilités’ civiques pour substituer le maire, le juge et
le policier. Tous les ‘ministères’, ‘services’ et ‘responsabilités’ étaient à
la charge d’une équipe de plusieurs personnes et personne ne pouvait conserver
la même charge plus de 5 ans.
RETOUR
EN EQUATEUR, 1997
Dix ans après avoir quitté
l’Equateur, j’y retourne avec des responsabilités, toujours avec les CEBs, à
Quito, Sucumbíos et Guayaquil.
1997-2007 : A
Quito avec les CEBs de la ville et au niveau national
Me voici à Quito, dans la capitale et la Cordillère des Andes (4.700 mètres
d’altitude), qui compte plus d’un million d’habitants dans 2 paroisses des
secteurs populaires. Plusieurs quartiers de Quito travaillent avec les CEBs.
Nous nous réunissons pour nous entraider et créer un « Centre de Formation
(pour unir) Foi et Politique », au service des CEBs y des Organisations
populaires au niveau national.
Les CEBs au niveau national continuent leur rencontres trimestrielles et
annuelles. Elles me demandent de les aider dans la formation. C’est à partir de
ce moment-là que voyage dans les 12 provinces du pays pour des rencontres d’un
ou plusieurs avec les membres des CEBs, mais aussi pour des réunions de
formation avec des prêtres, des religieuses, des organisations sociales. Les
thèmes sont principalement religieux, mais aussi sociaux et politiques et
toujours à partir des pauvres.
A ce moment-là, l’Articulation continentale nous met en contact, les
assesseurs latinoaméricains de CEBs, les uns avec les autres, pour partager nos
expériences et nos écrits, ainsi que les théologiens de la libération qui
accompagnent les CEBs. Nous nous écrivons à travers une page internet qui
reçoit les documents que nous écrivons. C’est pour moi une source de
communication intéressante.
C’est en 2007 que je commence à écrire un article hebdomadaire dans un
journal national ‘El Telégrafo’. Les thèmes proviennent des évènements
religieux et sociaux de caractère national et international.
2008-2011 : Sucumbíos,
dans l’Amazonie équatorienne, avec les CEBs d’Equateur et d’Amérique Latine
Après qlq discutions, financières en particulier, avec l’évêque de Quito,
je vais dans l’Amazonie dans un diocèse qui travaille dans la ligne ecclésiale
que j’avais connue au Nicaragua. Je suis dans une paroisse urbaine ou l’on
travaille en équipe : prêtres, religieuses et missionnaires laïcs à temps
complet. Il y a beaucoup d’activités religieuses et sociales avec de nombreux
ministères et responsabilités sociales. Je donne un coup de main aux
séminaristes pour la formation théologique et aux responsables d’une Ecole
secondaire catholique pour la catéchèse. Un groupe de laïcs chrétien forme même
un parti politique et me demande de les accompagner pour la formation.
C’est à ce moment-là que l’Articulation continentale des CEBs me demande d’être
‘tuteur’ dans l’Ecole virtuelle qu’ils ouvrent pour les animateurs et les
assesseurs des CEBs. Il s’agit d’un cours de 2 ans et demi avec une université
catholique des jésuites du Mexique pour une formation biblico-pastorale en lien
avec la réalité des secteurs populaires de la ville et de la campagne. J’ai
arrêté l’an dernier ce service, que j’ai trouvé très intéressant.
A cette même époque j’ouvre un blog où je mets la plupart des documents que
j’écris dont eux en français : une manière de partager mon travail avec
les animateurs de CEBs et les assesseurs. Douze ans après, j’en suis à plus de
90.000 visites et je continue d’y introduire les textes des rencontres de
formation et des réflexions que j’écris.
2012 : A
Guayaquil, comme assesseur national et latinoaméricain des CEBs
Je suis allé habiter à Guayaquil
et je demandais à l’évêque de ne pas avoir de charge paroissiale directe, pour
continuer de travailler avec les CEBs d’Equateur et d’Amérique Latine.
L’Articulation continentale m’invita à faire partie de l’Equipe d’Articulation,
ce qui me valut plusieurs voyages dans d’autres pays d’Amérique latine et
centrale pour des réunions.
Lorsqu’arriva à Guayaquil
l’évêque actuel, il y a 4 ans, il me demanda de faire partie d’une équipe de 6
prêtres et une religieuse pour se rencontrer chaque afin de parler de thèmes
ecclésiaux de manière libre. Cela dura à peu près 2 ans. Monseigneur Luis
Cabrera vient d’être nommé cardinal. C’est un homme ouvert qui nous laisse
travailler dans la ligne des CEBs… ce qui n’est pas le cas d’autres évêques et de
la grande majorité des prêtres.
En 2021, eut lieu une Assemblée
Ecclésiale d’Amérique Latine et des Caraïbes au Mexique. Une centaine d’évêques,
prêtres et laïcs y furent invités et plus de 900 autres participèrent
virtuellement durant 4 jours. Le Document final nous apporte la nouveauté de la
reconnaissance des CEBs (le seul Mouvement nommé) comme « une expérience
d’Eglise synodale ». Les conclusions du récent Synode sur la Synodalité y
font allusion.
Sont ainsi confirmé les
expressions qui identifient les CEBs : « Eglise des pauvres »
(pape Jean 23, 1961), « Espace complet d’Eglise » (Medellín, 1968 et
Aparecida au Brésil, 2007), « Expérience d’Eglise synodale »
(Mexique, 2021). L’an prochain, 2025, nous allons célébrer les 50 des CEBs
d’Equateur pour rendre grâce à Dieu et à tous ceux qui nous ont permis
d’avancer comme CEBs, de construire une Eglise synodale et de travailler à un
renouvellement social dans nos différents pays.
CONCLUSIÓN :
La reconnaissance des CEBs comme « Eglise synodale »
Je continue d’accompagner les
CEBs et les Organisations populaires, mais je ne vais presque plus dans
d’autres départements. L’internet me rend beaucoup de services pour la
formation et le partage d’expériences. Je poursuis donc mon ‘bonhomme de
chemin’ avec plaisir au service des pauvres d’Amérique Latine.
Avec raison il y a 25 ans, Lucéro (Luciole, en français), responsable des CEBs de Guayaquil,
disait avec lucidité et sûreté : « Les CEBs sont la ‘Bonne
Nouvelle’ du XXIe siècle ! »
Personnellement je me sens comblé
pour ces années que j’ai passé en Amérique Latine.
Annexe :
LES 23 MINISTERES, SERVICES ET RESPONSABILITES
A LA PAROISSE DE NUEVA GUINEA, AU NICARAGUA.
L’option d’une Eglise aux mains des laïcs était celle du diocèse, confié à
une congrégation nortaméricaine des capucins. Nous étions 12 prêtres, plus de
40 diacres, des religieuses et 2 évêques.
1.
Ministères
ecclésiaux (12), autour de la chapelle, toujours en équipe
1. Gestionnaires matériels de la chapelle. 2.
Animateurs (équipe avec président, secrétaire, trésorier) des célébrations
dominicales (avec communion), de Pâques et de Noël. 3. Chanteurs. 4. Musiciens.
5. Catéchistes responsables des sacrements : Baptême, 6. Première communion. 7.
Confirmation. 8. Mariage. 9. Bien mourir (confession, communion et onction).
10. Missionnaires (visites et solidarité avec les communautés voisines). 11.
Coordonnateurs de zone. 12. Équipe responsable de la trésorerie paroissiale (proposition
de dîme par Communauté).
2.
Services
sociaux (8), également en équipe
1. Responsables des écoles primaires :
Équipe de parents. 2. Enseignants (de la même Communauté), avec formation
pédagogique au Centre Paroissial. 3. Responsables de la santé : Médecine
naturelle. 4. Équipe des droits de l'homme. 5. Collectionneurs de pièces
archéologiques mayas. 6. Équipe d'accompagnement familial (conflits, grossesses
précoces...). 7. Equipe des projets sociaux (animaux, céréales...). 8. Gardiens
de l'environnement.
3.
Responsabilités
civiques (3) de plusieurs personnes ensemble
1. Maire et son adjoint (biens communs et
améliorations). 2. Le ‘sage’ ou ‘juge’ et son adjoint (résolution de conflits).
3. Inspecteur (ou ‘gendarme’) et son adjoint (respect des peines au profit de
la Communauté).
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