T
I S S E R A N D S D E L A N O U V E L L E E R E
Pierre Riouffrait, Equateur, 2017.
La violence est la grande caractéristique de notre
époque. On pensait que les deux guerres mondiales du siècle dernier seraient le
point final de millions de morts dans les pays protagonistes. Il semble plutôt
que les belligérants se soient joints pour dépouiller pour mettre à feu et à
sang le reste de la planète. On se demande quand vont se terminer se termineront
les guerres du Moyen et Extrême-Orient, les dominations sur les gouvernements
africains et le pillage de leurs matières premières dans cette « 3ème
guerre mondiale fragmentée » comme dit le Pape François.
Malheureusement on constate que l'ONU (Organisation des
Nations Unies) est incapable de prévenir les guerres ou de les arrêter. Par
ailleurs les religions ont bien peu d’effet, d'une part, pour empêcher les
conflits et, d'autre part, arrêter les fanatismes de ses propres membres.
Peut-être nous avons pensé, à tort, que nous avions besoin de sauveurs pour
nous nous tirer d’affaire, individuellement et collectivement et nous indiquer
la bonne voie, les lois à accomplir et les cultes à célébrer obligatoirement.
Si tous ces moyens politiques et religieux ont échoués ou sont insuffisants, il
nous faut en chercher d'autres ou entrer dans les nouveaux chemins qui nous
tracent une humanité différente en matière civile et religieuse.
1. Tisserands de la dignité et de l'ouverture
Avec la fin du siècle dernier, les notions intouchables
jusque-là de hiérarchie, autorité, obéissance aveugle, vérités révélées ont
beaucoup perdu de leur intérêt et de leur valeur... Les personnes cherchent et
vivent l’autonomie et seulement. La fin du système patriarcal, au moins dans
les déclarations, nous a donné une liberté quasi sans limite extérieure ni contrôle
personnel. Nous nous croyons les maîtres inconditionnels de notre destin et
nous avons décidé de notre meilleur avenir dans la solitude de notre
conscience. Malheureusement, le résultat spectaculaire est
l'individualisme destructeur de la personne et générateur de violences
terribles sur les autres et la nature.
La liberté est nécessaire, mais accompagnée de dignité
personnelle et d'ouverture aux autres. Ce sont les chemins complémentaires de
l'autonomie personnelle. Nous venons tous d’un passé qui nous trace un chemin. Au
nom des erreurs et des mensonges dont nous avons hérités de ce passé, nous ne
pouvons pas fermer la porte sans découvrir les aux perles cachées
profondément au sein de structures sociales inadéquates pour la réalité
actuelle. La pensée philosophique et religieuse des siècles passés nous parlent
de dignité de la personne humaine.
Il se peut que les grandes idéologies et les croyances
nous fassent penser que l'obéissance à leurs règles soit la solution pour
mettre le bonheur à portée de main. La réalité est plus complexe. Mais la
pensée philosophique et religieuse nous dit aussi que la dignité fait partie
intégrale de nous-mêmes. Une croissance sans dignité n’est pas humaine :
celle-ci est irréductible. Toutes les générations, d’une certaine façon, ont
cherché à développer ensemble croissance et dignité mais chaque génération doit
trouver la manière la plus adéquate de réaliser son développement. Les temps
changent et appellent de nouvelles façons de se développer dans la dignité.
L'autonomie finit par détruire la dignité et nous fait tomber sous le joug de
nouveaux tyrans. L'ouverture aux autres va nous aider à corriger ces excès afin
de croître individuellement de manière harmonieuse qui ne porte préjudice ni à
nous-même ni aux autres et de nous permettre le vivre-ensemble.
2. Tisserands de la Communauté
La grande nouveauté que nous enseignent les peuples indigènes
de l’« Abya Yala » (nom indien des Amériques du Nord, du Centre et du
Sud) est la priorité de la communauté sur l'individu, sachant que la communauté
est au service des personnes. Une telle affirmation ne rentre pas facilement
dans notre façon de penser et d'agir. Dans la mentalité européenne, la personne
et les droits individuels ont la première place.
Si les peuples indigènes ont été en mesure de résister à
plus de cinq siècles de colonisation, de pillage et de destruction de leurs
cultures et religions, c'est grâce à la force et à la priorité données à la
communauté. Ces peuples nous partagent aujourd’hui leurs critères
communautaires pour construire une autre façon de vivre en société, de
retrouver l'harmonie avec la nature et renaître à une spiritualité
unificatrice. Nous faisons l’expérience que l’individualisme est mortel, mortel
pour les personnes et mortel pour l’organisation sociale. Personne n’est le
critère unique de sa morale et de sa façon de vivre.
Avec les progrès de la science et de la conscience, nous
nous rendons compte que l'univers est une seule unité ou tout et tous, nous, sommes
interconnectés et interdépendants. Le mythe de Robinson Crusoé seul et heureux
sur son île est un beau mensonge des plus dévastateurs : personne ne peut
vivre seul et heureux. Les propositions du « Bien vivre » des peuples
indigènes des Amériques sont des chemins qui nous ouvrent à un avenir meilleur
si nous mettons en premier le bien commun. Voici les principaux critères de ce
‘Bien vivre’, « nous offrons au monde la culture de la vie, qui est le
chemin de la vie en plénitude » proclament les peuples indiens :
-
Le travail est pour
le bien-être de tous. Le
« développement occidental » s’est limité au bien-être individuel aux
dépens des autres et de la nature. Malheureusement en Europe : on a troqué
le bien-être pour le ‘tout avoir’ individuel aux dépens des autres et de la
nature. Travailler c’est d'apprendre à grandir et à grandir ensemble.
-
L'identité est plus
importante que la dignité. La dignité
n’existe pas s’il n'y a pas d'identité parce qu’on a perdu la boussole de la
mémoire et l’héritage du passé. La vraie dignité surgit du chemin hérité du
passé et conservé dans la communauté : celle-ci est la mémoire actualisée
du passé. Elle est conservée et cultivée dans la communauté.
-
Une vie harmonieuse
apporte la justice sociale. Le bien-être de
quelques-uns génère est une injustice pour la plupart des autres. De
plus, le modèle de justice sociale occidentale n’inclut pas le respect de la
nature. Le Bien Vivre cherche des équilibres multiples à l’intérieur de la
communauté entre les personnes, entre les peuples et avec la nature,
éliminant ainsi l’exclusion et la discrimination.
-
Le consensus surpasse
la démocratie. Avec le Bien Vivre on obtient
la « souveraineté collective », à savoir l'accord de tous et de chacun, y
compris les oppositions de chacun. Le Bien vivre est le « gouvernement de
toutes et de tous : la véritable démocratie »
-
La complémentarité
est plus importante que la liberté. Le bien être individuel justifie la liberté du vol, du saccage, de la
corruption, de la violence, des guerres… Dans le Bien Vivre, on promeut
prioritairement la complémentarité, parce que nous sommes tous frères :
les devoirs viennent avant les droits.
-
L'éducation est la
mère de la sagesse. L'éducation est à
la fois communication, communion et responsabilité au sein de la communauté:
nous apprenons tous les uns des autres. Nous apprenons surtout à vivre en
communauté.
3. Une communauté de vie avec la nature
Nous nous rendons compte que nous allons au suicide
collectif : une société qui détruit la nature n'a pas d'avenir. Toute la
création est une unité de vie et de destin: nous sommes interdépendants. Ou
nous collaborons à notre salut commun ou nous nous détruisons tous. Nous devons
tous apporter notre grain de sable ou notre goutte d'eau à l’ensemble de la vie
de la terre et du cosmos, car « une seule goutte d'eau modifie le niveau
de la mer ».
Nous devons nous reconnecter aux quatre éléments
originels et indispensables à notre existence et au bonheur : l'air,
l'eau, la terre et le feu. Ils sont les bases indispensables à notre développement
personnel, à la croissance collective et à la bonne marche du cosmos. Défendre
et promouvoir la nature est la meilleure manière de nous protéger nous-mêmes.
Cultivons plantes, fleurs, légumes, arbres fruitiers pour être partie prenante,
active et heureuse du grand développement de la vie, de la beauté et de la
félicité.
4 Une spiritualité libératrice
Dieu n'est pas en dehors de nous : il est l'énergie
vitale et d'amour qui nous habite et remplit tout l'univers. Tout est sacré et
le sacré est d’abord en nous, car nous sommes une parcelle, étincelle de Dieu.
Tous, y compris l’univers, nous sommes l'incarnation de Dieu. Il est mieux de dire
que nous sommes en Dieu plutôt que Dieu est en nous.
Notre spiritualité doit avoir quatre dimensions:
-
Être enraciné en
Jésus-Christ. Jésus s’est fait le compagnon
inséparable de l'humanité en particulier des plus pauvres et cela continue
aujourd'hui. Croire en sa résurrection c’est reconnaître sa présence parmi
nous, avec nous et en nous. Si nous sommes serviteurs les uns des autres, à son
exemple, nous sentons sa présence avec nous, une compagnie qui nous comble et
nous conduit au-delà de la souffrance et de la mort.
-
Vivre en
communauté. Aucun homme n’est une
île : personne n’est seul nulle part, c’est ensemble que nous grandissons correctement.
La communauté est notre façon humaine d'exister. Si nous nous isolons et nous
pensons que nous allons aller de l'avant tout seuls, nous sommes tout
simplement des morts-vivants. L'humanité doit devenir la grande communauté née
de l’union des différentes et multiples communautés humaines. Telle est notre
grande tâche : être communauté et former des communautés.
-
Parvenir à un
développement intégral. Nous sommes corps,
esprit et âme, trois dimensions à développer conjointement. Prenons soin de
notre santé et de la beauté et de la force de notre corps, mais n’en restons
pas là. Cultivons nos capacités intellectuelles, artistiques et poétiques. Éveillons
la mystique qui nous habite et qui est l’énergie même de Dieu. Si nous
développons notre dignité personnelle, la fraternité entre nous, l'harmonie
avec la nature, la communion intime avec Dieu, alors ce sera plus de
bonheur qui nous envahira.
-
Travailler pour la
libération dans l'Église et dans la société. Tant de choses nous limitent et nous détruisent, tant d’indifférence et de
la complicité nous diminuent ; tant de méchanceté, parfois, nous
habite… et habite notre Église et notre monde. Le pape François favorise un
grand mouvement de libération dans notre Église catholique, dans les religions
et le monde lui-même. Les temps nouveaux ont besoin d’hommes et de femmes nouveaux,
dignes, de villes fraternelles et de peuples frères. Les Églises et les
religions doivent être les artisans d’une libération universelle avec tous ceux
qui travaillent dans ce sens. Voilà notre mission, ce doit être la passion qui
nous habite et nous encourage inlassablement.
Ainsi sont et nous sommes les tisserands d'une nouvelle
société. La réalité ne s’arrête pas dans le passé. Parfois, nos mains en
saignent parce que la tâche est difficile. La vérité c’est la fraternité
universelle d’un monde réconcilié, respectueux de la nature et uni à Dieu.
Tisserands de tous les pays, unissons-nous, nous sommes déjà des millions
engagés dans cette tâche !
No hay comentarios:
Publicar un comentario