ÉLECTIONS : LE TRIOMPHE DE L'INCONSCIENCE, Pierre Pierre
Le manque de conscience a été plus fort que la lutte pour la dignité, la vie et
la souveraineté du peuple équatorien. La perversité d’un système de mort a été
plus forte que la construction d’un avenir meilleur pour l’Équateur. La ‘poupée
en carton’ dont faisait cadeau le candidat-président (sa propre image plus
grande que lui !) a été plus forte que le désir d’un changement
nécessaire. La cécité a succombé à une manipulation flagrante…
Les données, non encore officielles, des élections du dimanche 9 février sont
les suivantes. Pour la présidence, Daniel Noboa (parti ADN) a 44% des voix et
Luisa González (parti RC) 43%. Pour les membres de l'assemblée législative, la Révolution
Citoyenne (de l’ex-président Rafael Correa) en aurait 68, ADN (le parti de
l’actuel président Noboa) : 65 ; PC : 9 ; PSC : 5 et 1 : PSP, Accord Citoyen,
SUR, Construire et Nous sommes Carchenses. Votes blancs : 2,16% ; votes nuls :
6,8% et n'a pas voté : 17,73%.
Nous pouvons faire plusieurs commentaires. Premièrement, 2 candidats ont
recueilli 80% des votes valides et 7 partis sur 16 n'ont eu que 18 députés sur
151. D'autre part, il est à noter que toutes les provinces de la Côte ont voté
pour Luisa et que toutes les provinces de la Cordillère des Andes sauf
Pichincha (où est la capitale) ont voté pour Noboa ; en Amazonie, 4 provinces
ont voté pour Noboa et 2 (Sucumbíos et Orellana) ont voté pour Luisa.
On parle désormais des Alliances pour le 2e tour. Toute la
droite va soutenir Noboa. Et qui de la ‘gauche’ va soutenir Luisa ? Les
indigènes avec Pachakutik vont consulter leurs bases… Rappelons que ces bases
ont rejeté l’Alliance avec la Révolution Citoyenne pour le 1er tour
des élections : La Révolution Citoyenne avait offert a Leonidas Iza, candidat
de Pachakutik, la vice-présidence du gouvernement et la présidence de
l’Assemblée ! … Quelqu’un commentait qu’ ‘il n’y a plus de gauche parce
que tout le monde s’est vendu à Moreno ou à Lasso’, les 2 précédents présidents
de l’Equateur…
Revenons aux élections du 9 février. Les résultats révèlent un réel manque
de conscience : il semble incroyable que Noboa ait plus de voix que Luisa !
J'ai aimé l'explication suivante : « Tous celles et ceux qui rêvent d'augmenter
leur richesse financière votent pour Noboa parce qu’ils le considèrent comme
symbole de la réussite financière individuelle ou parce qu’elles veulent
satisfaire leur ego féminin qui veut ressembler à ladite ‘première dame de
l’Equateur’ ... Bien sûr, c'est de l'« inconscience caractérisée » mais avec
une motivation bien réelle que peu de personnes veut reconnaître. Cela devrait
être un aspect à révéler et à combattre.
Ce manque de conscience vient principalement de l’éducation scolaire, qui
n’apprend pas à vivre ou à coexister, mais plutôt à rivaliser et à gagner à
tout prix. Dans les familles, on encourage souvent les enfants à exercer une
profession qui leur assurera beaucoup d’argent. Les Églises ont une grande
responsabilité dans tout cela car, étant majoritairement conservatrices, elles
soutiennent consciemment et inconsciemment la droite. Elles se réfugient dans
un faux spiritualisme et un manque de solidarité avec les pauvres, ce qui les
rend complices de leurs défaites électorales et de leur appauvrissement. Les
évêques latino-américains avaient déjà souligné cette complicité inconsciente
lors de leur réunion de Puebla (Mexique, 1979) : « Cette instrumentalisation
(de l’Église)… peut venir des chrétiens eux-mêmes et même des prêtres et des
religieux, quand ils annoncent un Évangile sans implications économiques,
sociales, culturelles et politiques. En pratique, cette mutilation équivaut à
une certaine collusion (ou complicité) – bien qu’inconsciente – avec l’ordre
établi » (558).
Reprenons
notre bâton des « pèlerins de l’espérance ». Jésus de Nazareth nous dit que le
salut vient des pauvres, unis, organisés, conscients, courageux, amoureux de
Dieu. C'est ensemble avec ces gens pauvres et dignes que nous pouvons changer
notre pays. Pour leur dignité et protagonisme, nous devons travailler et lutter
sans relâche. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés ni regarder ailleurs,
alors que les trois quarts de notre pays souffrent de la faim et de la
pauvreté. Le chômage et l’inconscience sont les deux plus grands ennemis de
notre pays… Au cours des 8 dernières années, nous les avons laissés prospérer
de manière incontrôlée. Voici les batailles que nous devons mener si nous
voulons parvenir à un changement significatif : donner aux pauvres les moyens
de prendre leur destin en main. C’est la tâche qui nous attend. Le Parti de la
Révolution Citoyenne est plus apte que celui de Noboa à progresser vers ces
objectifs.
Tout cela exige de nous un plus grand engagement humain et chrétien dans
les domaines sociaux et politiques. Nous devons dénoncer la perversité de la
droite avec ses mensonges flagrants et son exploitation criminelle. Nous devons
découvrir les motivations cachées et inconscientes qui nous poussent à avoir
plus au lieu d’être plus et meilleur. Nous devons examiner les implications du
Royaume dans les circonstances actuelles du pays, afin de ne pas devenir
complices de malheurs plus pauvres. Nous devons continuer à aider les pauvres à
ouvrir les yeux sur les causes structurelles de leur appauvrissement, à
réveiller leur dignité endormie, à revendiquer leurs droits et à s’approprier
le rôle qui leur revient, car « leur appartient le Royaume de Dieu »
qui commence sur la terre.
AVEC HOMERO PARIANT EN
GRAND, Pedro Pierre
Mon meilleur ami équatorien, Homero Poveda Muñoz, qui
fut mon maître tant dans le domaine ecclésiastique que social, vient de
décéder. Il était originaire de Riobamba. Je l'ai rencontré il y a exactement
60 ans lorsqu'il est arrivé au grand séminaire où j'ai étudié pendant 5 ans.
C'était dans la capitale de la région montagneuse du centre-sud de la France,
l'Auvergne, où je suis né de parents petits paysans qui parlaient l'occitan. Je
suis devenu ami de cœur avec Homero. Quelques années après avoir été ordonné
prêtre, il m’a invité à aller travailler avec lui à Guayaquil, où je suis
arrivé en 1976.
Nous avons rejoint un groupe de 6 paroisses qui
travaillaient dans la ligne pastorale de Monseigneur Leonidas Proaño. Le
Concile Vatican II avait été pour lui l’occasion d’un grand changement :
le service de l’Église des Pauvres en Amérique Latine. Avec Homero, nous avions
vécu ce changement dans les dernières années du séminaire. Ensemble, nous
approfondissions le Concile qui, sous la conduite du Pape Jean XXIII, a guidé
l’Église catholique à revenir à ses sources : Jésus de Nazareth, le Royaume et
les premières communautés chrétiennes. Jean 23 voulait que toute l’Église «
soit l’Église des pauvres », dépouillée de toute richesse et au service de
l’humanisation de toute l’Humanité.
Homero me fit rencontrer et connaître Monseigneur
Proaño, qui s'engageait depuis son diocèse de Chimborazo à promouvoir les
Communautés Ecclésiales de Base (CEBs) dans tout le pays. Son objectif était que
l'Église d'Équateur fasse de l'option pour les pauvres, c'est-à-dire une
option pour une pauvreté digne, pour les causes des pauvres et pour la lutte
contre la misère. Monseigneur Proaño nous montrait le chemin : « Les CEBs
marchent avec leurs deux pieds : celui de la Communauté Chrétienne et celui de
l’Organisation Populaire ». En 1979, la première réunion nationale des CEBs
urbaines avait lieu à Riobamba et, dans les années suivantes, s’intégraient les
CEBs rurales, indiennes et noires. En 1984, la 2e Rencontre
Continentale des CEBs avait lieu à Cuenca, en Equateur.
Homero et moi n’avons jamais cessé de nous soutenir
mutuellement pour multiplier les CEBs au niveau national et aider les pauvres à
sortir de leur misère. Les CEBs se sont développées dans 12 villes du pays et
dans les campagnes de 12 provinces, dans les communautés indigènes du pays où
elles s'appelant « Églises Vivantes », parmi les noirs d'Esmeraldas et partout
où ils ont migré. En 2021, l’Assemblée ecclésiale d’Amérique Latine et des
Caraïbes a reconnu que les CEBs sont « une expérience d’Église synodale »,
modèles pour le renouveau de l’Église entière. Cette année, nous allons
célébrer le 50e anniversaire des CEB d'Équateur à Riobamba.
Malheureusement, Homero ne sera pas physiquement présent…
Avec Homero nous avons développé l’engagement social
de la foi et l’engagement politique des chrétiens. Depuis 1979, avec le retour
de la démocratie en Équateur, les CEBs ont découvert l’importance de la
politique comme service du bien commun et la coexistence nationale. Nous avons appris
à connaître les partis politiques et leurs idéologies, la nouveauté de la
vision indigène du Bien Vivre, la nécessité d’être « sel, lumière et levain »
pour un Équateur plus fraternel, plus équitable et plus inclusif. Monseigneur
Proaño reconnaissait que « les pauvres, avec les peuples indigènes, sont porteur
d’un projet alternatif de société. »
Homero lisait beaucoup et connaissait plusieurs
langues en plus du français. Il n’a jamais cessé de lire pour connaitre et
partager l’actualité ecclésiastique et sociale. Il s'est montré enthousiasmé
par la lettre des évêques nicaraguayens de novembre 1979 encourageant les
chrétiens à soutenir le socialisme du gouvernement sandiniste :
« Si le socialisme
signifie la prééminence des intérêts de la majorité des Nicaraguayens et un
modèle d’économie nationale planifiée, solidaire et progressivement
participative, nous n’avons aucune objection. Un projet de société qui
garantisse le destin commun des biens et des ressources du pays et qui permet,
sur cette base de satisfaction des besoins fondamentaux de tous, de progresser
la qualité de vie humaine, nous paraît juste.
Si le socialisme implique un
pouvoir exercé à partir de la perspective des grandes majorités et de plus en
plus partagé par le peuple organisé, de sorte qu’il va vers un véritable
transfert du pouvoir aux classes populaires, il ne trouvera à nouveau dans la
foi que motivation et soutien.
Si le socialisme conduit à
des processus culturels qui éveillent la dignité de nos masses et leur donnent
le courage d’assumer leurs responsabilités et de revendiquer leurs droits,
c’est une humanisation qui converge avec la dignité humaine proclamée par notre
foi.
En ce qui concerne la lutte
entre les classes sociales, nous croyons qu’une chose est le fait dynamique de
la lutte des classes, qui doit conduire à une juste transformation des
structures ; une autre est la haine de classe, qui est dirigée contre les personnes
et contredit radicalement le devoir chrétien d’être gouverné par l’amour. »
Homero nous laisse un grand héritage qui nous éclaire dans les temps actuels
pour nous confirmer dans la nécessité de faire nôtres les causes des pauvres, à
la fois pour renouveler nos Églises et pour construire un Équateur meilleur. Il
éclaire notre engagement envers les pauvres et les peuples autochtones en
faveur d’un éco-socialisme du Bien Vivre indien qui restitue à tous, et en
particulier à la grande majorité, leur dignité et leurs droits à vivre mieux.
“G1,
G2, G3 Y G4”, Pedro Pierre
L'expression
originale est « G7 », qui désigne le « Groupe des 7 pays les plus
industrialisés » de la planète, c'est-à-dire ceux qui décident de la direction
de l'économie mondiale… pour leur propre bénéfice. Tout change lorsque Donald
Trump devient président des États-Unis lorsqu’il déclare « Amérique du Nord,
Première ! », car depuis plusieurs années, l’hégémonie américaine s’effondre
dans tous les domaines : politiquement, de plus en plus de pays
s’affranchissent de la domination nordaméricaine, économiquement, la Chine est
devenue la première puissance commerciale; militairement, la Russie possède les
armes les plus sophistiquées et les plus avancées ; et socialement, la
situation est de plus en plus chaotique à cause du chômage, de la violence, du
racisme, de la perte de valeur du dollar… Trump veut être le « G1 »,
c’est-à-dire celui tout seul qui rendra l’hégémonie mondiale à l’empire
américain…
Les
présidents américains précédents voulaient détruire l’économie russe avec le
soutien de l’OTAN (Organisation du Traité -militaire- de l’Atlantique Nord) et
de l’Europe. C’est pourquoi ils lancent une guerre entre l’Ukraine et la
Russie, avec d’un côté l’aide militaire et financière des États-Unis et de
l’Europe, et d’un autre avec des sanctions économiques contre la Russie, la
destruction de l’oléoduc russe qui amenait le pétrole et le gaz en Europe, etc.
… Mais la Russie montre que son économie est toujours en croissance, que les
armes américaines et européennes sont le blanc toujours détruit de l’armée
russe… et les Ukrainiens paient le prix fort en morts, en destruction et en
perte de plusieurs régions pour la folie de leur président nazi… Trump promeut
exclusivement le « G2 », c’est-à-dire, le « Groupe des 2 », lui et le président
russe Poutine pour parvenir à la fin de la guerre, en humiliant les dirigeants
européens qui ne participent pas aux pourparlers de paix (« Le diable paie
toujours mal ses fidèles ! »)… Trump veut aussi rouvrir le commerce avec la
Russie sur les « terres rares » nécessaires aux appareils technologiques
actuels et à d’autres matériaux comme les diamants… et certaines technologies
russes.
Quant
au « G3 », c’est avec la Chine. La guerre en Ukraine a été programmée pour
affaiblir la Russie (et soumettre l’Europe), mais aussi pour obliger Poutine à
mettre un terme à son alliance avec la Chine. En réalité, le lien entre la
Chine et la Russie a été renforcé, par exemple grâce à l’oléoduc russe de 4 000
km qui transporte du pétrole et du gaz vers la Chine. Après la fin de la guerre
en Ukraine, Trump prévoit de rencontrer la Chine pour harmoniser les tarifs
douaniers et les échanges commerciaux entre les deux nations. C'est pourquoi
Trump tente de déstabiliser leur économie en sa faveur... mais ce n'est pas si
facile : jusqu'à présent, « beaucoup de bruit pour bien peu ! » La Chine est
actuellement la plus grande puissance commerciale et diplomatique qui parvient
à conclure des accords avec de nombreux pays. Le « G3 », USA-Russie-Chine, est
plus que nécessaire en ce moment pour les États-Unis.
Et le «
G4 » ? Les États-Unis devront faire face à un nouveau groupe commercial et
économique composé à l'origine de quatre pays : les « BRICS »,
conformés par la Chine, la Russie, l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud. Ces
pays paient déjà leurs échanges en monnaies nationales ou avec le yuan chinois…
ce qui élimine le dollar. Une dizaine de pays supplémentaires rejoignent le
groupe des « BRICS » (le Venezuela, Cuba... ont demandé leur inclusion). Nous
ne sommes plus dans un monde « unipolaire », c’est-à-dire avec un seul pôle,
qui serait les États-Unis. Le monde a changé et Trump ne pourra guère inverser
la marche en avant d'un monde « multipolaire », c'est-à-dire de plusieurs «
pôles », rivaux entre eux : la Chine, la Russie, les BRICS et les USA. Le « G4
» est déjà une réalité.
Les
mêmes tendances se dessinent en Équateur. Le « sauveur » d’un « Nouvel
Équateur » est le porte-parole de la « minorité prétendument blanche », la
plus riche du pays. L'ennemi à éliminer à tout prix est le corréisme, d'où les
campagnes de haine, de mensonges, de calomnies, de persécutions, de procès,
d'emprisonnements, d'exils... en abusant du pouvoir, des lois, de la
Constitution et en achetant la soumission des différentes entités étatiques et
des médias commerciaux. Parallèlement, de nouveaux pouvoirs émergent à travers
la coordination des mouvements sociaux et populaires, de l’information
alternative et de la recherche dans les médias numériques, ainsi que des
Églises engagées auprès des secteurs populaires, par exemple l’Église des
pauvres de Communautés Ecclésiales de Base et certains secteurs des Églises
anglicanes et évangéliques. La droite et l’extrême droite équatoriennes
deviennent plus violentes et fascistes à mesure que la résistance et les
propositions alternatives pour la société augmentent et les déplacent.
Nous
sommes dans un pays en dispute : D’un côté, la domination et l'exploitation des
grands riches représentés par Daniel Noboa continuent et s'approfondissent, de
l’autre, l’option pour une société alternative où il y a une plus grande
distribution des biens et des richesses nationales, où les services sociaux de
santé et d'éducation sont renforcés, où les emplois sont multipliés grâce aux
investissements étatiques, privés et internationaux, où la corruption et le
trafic de drogue sont stoppés en luttant contre le blanchiment d'argent dans
les banques et la fuite des dollars vers les paradis fiscaux... comme le
propose le plan de gouvernement de la Révolution Citoyenne avec Luisa González
et Diego Borja.
Nous,
chrétiens, cessons de soutenir ceux que Jésus dénonçait : « Ils se croient
chefs des nations et agissent en dictateurs ; ils occupent des positions
élevées et abusent de leur autorité. » Cessons de confirmer nos exploiteurs qui
se déguisent en « doux moutons » alors qu’ils sont en fait des « loups féroces
». Comme le dit le cardinal évêque de Guayaquil, monseigneur Gerardo Cabrera, lorsque
nous irons voter : « Faisons une bonne croix au bon endroit, car ensuite nous
devrons la porter ! »
CARÊME
POUR TOUS, Pierre Pierre
Le pape François, dans son bref « Message de Carême », pose très justement le
défi du moment à toute personne qui cherche un sens à sa vie : « Nous sommes
tous des pèlerins dans la vie… (sur) le difficile chemin de l'esclavage à la
liberté… Chacun peut se demander : suis-je vraiment en chemin ou un peu
paralysé, statique, apeuré et sans espoir ; ou satisfait dans ma zone de
confort ? Est-ce que je cherche des chemins de libération des situations de
péché et de manque de dignité ? » Le Pape nous pose la question que nous nous
sommes tous posés, chrétiens et non-chrétiens, à un moment donné : Que vais-je
faire de ma vie ? Si nous ne réagissons pas clairement, d’autres réagiront à
notre place afin de nous conduire dans une direction qui leur est bénéfique.
« Nous sommes de la poussière d'étoiles ! » Durant le temps du Carême, les
chrétiens se donnent environ 40 jours par an pour répondre à la question sur le
sens de la vie à la lumière de Jésus-Christ. Les musulmans, deuxième religion
du monde avec 1,9 milliard de fidèles, prennent un mois de jeune chaque année.
En tant que chrétiens, nous centrons notre foi sur la Pâques de Jésus,
c'est-à-dire sur son expérience de mort et de résurrection. « Mort et
résurrection » sont les deux pôles de toute vie, tant pour les humains que pour
la nature et le cosmos. Nous sommes en état de création permanente, un
renouvellement constant de notre personne et de notre existence : les cellules
meurent pour faire place à de nouvelles. C'est un processus permanent de « mort
et de résurrection ». C'est pour la continuité de la vie sur la planète et
l'univers, c'est le sens du mot « Pâques ».
Chez l’homme, ce processus « pascal » s’applique à notre mode de vie : comment
renforcer les forces de vie et de résurrection sur les forces de mort et de
destruction. Notre défi est d’être « poussières d’étoiles ». D'un côté, nous
sommes « poussières », c'est-à-dire faibles, limités, mauvais, mortels... De
l'autre, nous sommes « poussières d'étoile », c'est-à-dire partie du processus
créatif de l'univers en mouvement constant pour donner naissance à la vie et
l'améliorer. C’est à cela que nous sommes appelés. C'est notre vocation ou
notre défi : vivre consciemment et collectivement le processus vital de
création permanente vers une vie meilleure. C'est « la mort et la résurrection
», pour notre bonheur ou notre malheur si nous laissons la « mort » éteindre la
« résurrection ».
« Nous sommes des pèlerins », dit le pape François, « sur le chemin difficile
de l’esclavage à la liberté » : « L’esclavage », c’est lorsque nous nous
laissons vaincre par les forces du mal et de la mort ; la « liberté », c’est
lorsque nous collaborons avec les forces de vie et de résurrection qui nous
habitent et qui habitent l’univers. Ce progrès créatif constant est contredit
et combattu par les forces du mal en chacun de nous et dans la société. À quoi et
à qui donnons-nous la priorité ? Ou bien nous suivons le mode de vie ambient ou
bien nous choisissons le processus de la vie et du bonheur ? La réalité est
qu’il existe de nombreux courants mauvais : les projets de mort sont très bien
implantés en nous, parmi nous, dans la société et dans le monde dans son
ensemble. Ce sont des « structures de péché » et des « péchés sociaux » qui
nous dominent si nous ne les combattons pas individuellement et collectivement.
Soit nous choisissons consciemment et collectivement un projet de vie, soit
nous nous laissons emporter et nous nous perdons dans des projets de mort dont nous
nous faisons complices. Un projet de vie implique de défendre notre dignité
d’êtres humains et de renforcer les relations de fraternité et de justice. C’est « l’appel
des étoiles », de l’univers pour que la vie naisse et progresse sans cesse…
Des appels qui attendent notre réponse, notre décision d’entrer dans cette
dynamique de vie, de fraternité et de justice. La vie est une lutte continue
pour la préserver et l’améliorer. Celui qui ne lutte pas pour cela a déjà perdu
la bataille car il se laisse pousser par les forces et les projets de mort.
C’est pourquoi la vie de beaucoup est « une vie sans
vie ! », parce qu’ils ont fait le mauvais choix ou qui permettent que d’autres
choisissent peur eux ; ainsi ils restent dans des situations de
destruction et de mort. Le christianisme est né d'une lutte pour la liberté,
lorsque Moïse et sa masse d'esclaves décidèrent de quitter l'esclavage de
l'Égypte et s’organisèrent pour conformer un peuple libre et équitable. Dans
cette dynamique, ils ont fait l’expérience d’un Dieu proche, ami et compagnon
de leur libération. Jésus de Nazareth a repris cette histoire et l’a confirmée
dans son projet du Royaume. Telle était sa mission : construire un monde
fraternel et équitable au nom du Dieu trouvé par ses ancêtres et suivi par ses
compatriotes. Dans ce processus, Jésus a dû affronter les forces de la mort,
tant religieuses juives que militaires romaines... qui ont gagné la bataille en
le crucifiant, mais ont « perdu la guerre » parce qu'il est ressuscité dans les
premières communautés chrétiennes qui ont continué son projet de Royaume...
jusqu'à aujourd'hui.
« Mort et résurrection », tel est le défi actuel : un
défi individuel qu’il faut assumer contre les forces du mal qui habitent en
nous ainsi qu’un défi collectif, car les forces de mort sont collectivement
organisées en structures et systèmes de domination. Le message du pape François
est clair : « Chacun peut se demander : suis-je vraiment sur le chemin ou
suis-je un peu paralysé, statique, apeuré et sans espoir ? ou satisfait dans ma
zone de confort ? Est-ce que je cherche des chemins de libération des situations
de péché et de manque de dignité ? »
La foi chrétienne est à la fois spirituelle et
temporelle, c’est-à-dire propre au temps dans lequel nous vivons. Elle est
aussi individuelle et collective : elle est personnelle et sociale avec une
dimension et un impact politique, car la politique est le soin et le
renforcement du bien commun d’une nation. Choisissons les forces de la vie, de
la fraternité et de l’équité… ainsi nous rencontrerons Dieu qui nous aidera à
faire de notre vie un chemin de résurrection permanente.