LE FUTUR EST EN MARCHE EN AMÉRIQUE LATINE
Pierre Riouffrait, prêtre ‘sans frontieres’.
Guayaquil, Equateur. Janvier 2023.
Voici un résumé de ces 46 ans en Amérique Latine
depuis que je suis arrivé en Equateur en 1976. Je serai heureux de recevoir vos
réactions, car, d’une certaine façon, j’ai fait ce chemin avec vous et grâce à
vous et j’y moissonne beaucoup de joies. Je pense qu’actuellement l’Amérique
Latine est le creuset d’une nouvelle façon de vivre en société, en Eglise, en
communion avec la nature et le cosmos, et avec Dieu, en solidarité avec ces
mêmes options que se vivent sur tous les continents.
QUI SUIS-JE ?
Je suis Pierre Riouffrait, fils de petits paysans
d’un village de Haute Loire, en Auvergne. Après des études au Grand Séminaire
du Puy en Velay, je suis ordonné prêtre en 1969. Actuellement à Guayaquil, en
Equateur, je suis heureux de vivre 80 printemps, depuis juin 2022.
1. 1976 : DEPART EN AMERIQUE LATINE, pour l’Equateur
C’est à l’appel d’un prêtre équatorien connu au
Grand Séminaire que je décide d’aller travailler en Equateur. J’avais été
marqué par une expérience de 2 ans (1964-66) en Algérie comme instituteur dans
une école primaire d’un quartier pauvre d’Alger. Mon souci du Tiers Monde s’était
alimenté durant plusieurs années grâce à ma participation aux activités avec le
CCFD (Comité Catholique contre la Faim et le Développement) de Paris. Fils de
paysans pauvres, je sentais un appel pour me solidariser avec les pauvres
d’Amérique Latine.
2. EQUATEUR, GUAYAQUIL : A LA RENCONTRE DES PAUVRES
Je prévoyais de rester une dizaine d’année en
Equateur. Ce séjour allait être plus long que je ne pensais. Etant resté 11 ans
en Equateur, je remarque différentes options qui ont marqué ma vie et mon
travail pastoral.
L´option pour les CEBs selon message des évêques
latinoaméricains réunis à Medellín.
Dès mon arrivée à Guayaquil, j’ai la
chance de m’intégrer à une équipe de 6 prêtres qui travaillaient dans la ligne
des Communautés Ecclésiales de Base (CEBs) y de la Théologie de la Libération
avec monseigneur Léonidas Proaño, « l’évêque des Indiens » du
diocèse de Chimborazo, dans la Cordillères des Andes. Cette ligne d’action
provient du Concile Vatican II et du Document de la 2e Conférence
Episcopale Latinoaméricaine réunie a Medellín, Colombie, en 1968. On ne suit
bien Jésus-Christ qu’en Communautés vivantes.
L’option pour les pauvres
Cette option consiste à faire siennes en
premier les causes des pauvres. Il s’agit non seulement d’être avec les
pauvres, mais aussi d’agir avec eux, de penser selon eux et de croire comme eux…
pour la simple raison que hors des pauvres l’Eglise cesse d’être fidèle à
Jésus-Christ et la société est injuste. Ce fut l’option de vie de Jésus.
L’option pour le Royaume comme
« unique absolu »
Ce fut le choix des CEBs lorsqu’elles ont
commencé à exister au Brésil en 1955. Ce choix fut confirmé par le pape Paul VI
en 1975 : « Le Royaume est l’unique absolu ; tout le reste est
relatif » (‘L’Annonce de l’Evangile’). Cette phrase fut le nouveau sens de
ma vie et de mon sacerdoce.
L’option pour les laïques
Ce fut également l’intuition du
Concile : Que les laïques soient protagonistes dans l’Eglise. C’est
l’option et la pratique des CEBs. Il s’agit de revenir à la mission de tous les
baptisés comme ‘prophètes, prêtres et rois-pasteurs.’
L’option pour la méthode
‘vitale’ des CEBs
Il s’agit d’un processus en 3 étapes :
« Voir, Juger, Agir et Célébrer ». C’était la méthode de travail qu’utilisèrent
la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne), puis le Concile (‘Joies et Espérances’),
enfin les grands Documents de l’Eglise Latinoaméricaine. Si l’on ne parte pas
de l’incarnation dans la réalité actuelle, nous allons nulle part, sinon à la
confusion et à l’échec ou la superficialité.
1987-89 : Parenthèse à Rome pour études
Pendant 2 ans j’étudie à l’Université Grégorienne
la ‘Théologie dogmatique’ avec une ‘thésine’ finale sur l’option pour les
pauvres à partir des ‘Conclusions de Puebla’ (Mexique), lieu de la 3e
Conférence Episcopale Latinoaméricaine (1975). Cette option est valide tant
dans l’Eglise que dans la société.
2. 1989-97 : NICARAGUA : EXPERIENCE D’UNE ‘EGLISE DES PAUVRES’
C’était la ligne pastorale du diocèse ou Vicariat
de Bluefields, capitale de la province, sur la Cote des Caraïbes : Travailler
avec et à partir des laïcs pour actualiser le ‘rêve du pape Jean XXIII’ (1961) :
« L’Eglise est et doit être l’Eglise des pauvres ».
J’y avais la charge d’une paroisse très étendue dans
une région tropicale très pluvieuse, près du Costa Rica : 2.700 km carrés et quelques
120.000 habitants. (A titre de comparaison, le département de la Haute
Loire couvre 5.000 km2). Le centre-ville avait 15.000 habitants y j’y célébrais
l’Eucharistie 2 dimanches par mois. Il y avait une trentaine de villages unis
par des chemins de terre où l’Eucharistie était trimestrielle. Le reste était
composé de 90 hameaux où l’on accédait à dos de
mulets ou en petite barque : ils avaient une eucharistie para an.
En fait il s’agissait d’une paroisse aux mains des
laïcs. Toutes les communautés se réunissaient tous les dimanches, préparaient
les sacrements et travaillaient a une vie communautaire vivante. Il y avait plus
de 3.000 ministres répartis en 27 ministères différentes, 4 diacres mariés, 4
religieuses et un prêtre (moi-même). La
pastorale s’organisait en services religieux, sociaux et civiques. Tous les
ministres suivaient une formation annuelle de 3 à 5 jours. Tout se décidait lors
d’une Assemblée paroissiale annuelle de 3 jours avec 2 représentants de chacune
des 130 Communautés.
Le rôle du prêtre consistait à accompagner
les Communautés, leur rendre visite, organiser la formation des ministres,
célébrer les sacrements. Je passais plus de temps en visites des Communauté que
de présence à la maison paroissiale.
4. 1997 : RETOUR EN EQUATEUR au service des CEBs nationales et
d’Amérique Latine
De retour en Equateur, je pris en charge
successivement 2 paroisses de secteurs pauvres de la capitale Quito, dans la
Cordillère des Andes et de Sucumbíos, province dans l’Amazonie. En reprenant ma
participation locale et nationale dans les CEBs, celles-ci me demandèrent de
prendre en charge la formation des assesseurs et des animateurs des CEB. Je travaillais
également dans un ‘Centre de Formation Foi et Politique’, à Quito, avec des
chrétiens engagés dans des organisations sociales et politiques du pays.
Je participe également, à la demande de
l’Articulation Continentale de CEBs, comme tuteur chargé des élèves de l’Ecole
Latinoaméricaine virtuelle de Formation biblico-pastoral, en lien avec une
Université Catholique du Mexique.
Depuis 15 ans, je suis éditorialiste, une fois par
semaine, dans un journal national (pendant 10 ans) et dans différents sites
nationaux et internationaux.
Depuis 14 ans, je vis comme retraité à Guayaquil,
c’est-à-dire, sans charge paroissiale. Je continue d’accompagner, d’une part,
les CEBs pour la formation au niveau national et latinoaméricain et, d’autre
part, des organisations sociales et politique.
CONCLUSION
A mon avis, la mission des ‘prêtres sans
frontières’ (Fidei donum) consiste à collaborer à la construction de l’Eglise
des pauvres en Amérique Latine, dans la ligne du Concile et des Conférences
Episcopales Latinoaméricaines.
Je considère que la répercussion de mon travail en
France a été plutôt minime. Je le regrette, car notre envoi en Amérique Latine
était pour un partage d’expériences entre Eglises. Je pense que les évêques de France,
à de rares exceptions, n’ont pas été assez ouverts à notre double mission.
Quant à la Synodalité, elle est la mise en marche
de l’Eglise des pauvres comme Eglise aux mains des laïcs dont les pauvres sont
les protagonistes. C’est le nouveau modèle ecclésial que représentent les CEBs,
définies par l’Assemblée Ecclésiale d’Amérique Latine et des Caraïbes (Mexique,
2021) comme « modèle d’Eglise synodale ». Le Document du CELAM
(Conseil Episcopal Latino-Américain), comme synthèse de l’Assemblée, a été
reconnu par le pape comme « laboratoire pratique de la Synodalité ».
L’inculturalité dans l’Eglise catholique, prônée
en 1992 à Saint Domingue (République Dominicaines) par la Conférence Episcopale
Latinoaméricaine, et l’interculturalité entre les différentes religions ont
très peu avancées. « Pas d’Equateur sans les Indiens, pas d’Eglise sans
les Indiens », disaient-ils à Quito, en 1992, lors de leur soulèvement. Actuellement
la sécularisation avance très vite dans les jeunes générations.
Pour ce qui est de La Théologie de la Libération,
je dirais qu’elle continue vivante et diversifiée malgré les persécutions
ecclésiales et gouvernementales qui la déqualifient et la rendent invisible et
incompréhensible pour beaucoup de gens.
Je pense que le majeur défi actuel, dans notre
Eglise, est de reconnaitre les valeurs des diverses spiritualités actuelles, de
les promouvoir parmi les jeunes générations, de valoriser leurs expressions
humaines et religieuses… et d’aider les chrétiens et les gens de bonne volonté,
à entrer dans cette dynamique.